Pub au sol : petit cadeau de fin de mandat

Plusieurs sources nous alertent depuis quelques jours sur une initiative de Bercy : une expérimentation qui consisterait à autoriser les publicités au sol, pendant 18 mois, dans les villes de Bordeaux, Nantes et Lyon. Cette initiative se fait dans le cadre du projet « France Expérimentation » qui utilise l’article 37-1 de la Constitution, autorisant des dérogations temporaires afin d’évaluer en conditions réelles les conséquences d’un changement de réglementation. Le Canard Enchaîné du 8 mars 2017 semble confirmer l’information.

Nous avons pu nous procurer le dossier de presse de Bercy concernant le projet France Expérimentation. Le ministère des Finances se donne pour objectif de « stimuler l’innovation », puisque les normes juridiques seraient un « frein au déploiement de nouvelles solutions ».

Un appel à projet à été lancé du 29 juin au 31 décembre 2016 s’adressant aux porteurs d’un projet « innovant dont le développement est freiné par certaines dispositions réglementaires ».

En matière d’affichage extérieur, le Grenelle de l’Environnement avait validé un principe : plutôt que de lutter contre des pratiques illégales, il est toujours plus simple de les légaliser.

– Un écran numérique JCDecaux de 50 m² implanté dans un aéroport, donc hors agglomération (interdit par l’art. L581-7 du code de l’environnement) ? Il n’y a qu’à autoriser les écrans numériques de 50 m² dans les aéroports ! (art. R581-41)

– Des milliers d’affiches illégales sur les baies vitrées des magasins (art. L581-8-III – version avant Grenelle) ? Il suffit d’autoriser les publicités sur baies pour régulariser ces milliers d’affiches, sans avoir rien d’autre à faire (art. L581-8-III – version après Grenelle).

Ici, autre gouvernement, mais même logique : Bercy constate que le code de la route interdit la publicité sur les trottoirs par l’article R418-3 du code de la route. Or cette interdiction serait un frein insupportable pour une société, Biodegr’ad, dont nous avions déjà parlé ici, et dont l’activité consiste à apposer de la publicité sur les trottoirs avec un pochoir en « nettoyant » le sol avec un jet d’eau à haute pression, pour ne laisser voir que la publicité. Ils appellent cela « clean tag », se disent « bio », leur activité est donc forcément innovante. En plus ils parlent anglais, ce qui est bien une preuve de plus que les lois sont un frein à leur activité…

Bercy n’a cependant pas vu un autre « frein » à leur activité. Le code de l’environnement. Certes, Bercy a souvent tendance à oublier le code de l’environnement quand il s’agit de laisser les entreprises communiquer, mais tout de même : l’article L581-24 de ce code prévoit qu’une autorisation écrite du propriétaire d’un immeuble doit être délivrée pour pouvoir y apposer une publicité. Les trottoirs sont considérés comme des immeubles (non meubles), et le propriétaire est généralement la Mairie. Donc, pour faire ses publicités au sol, Biodegr’ad devra demander une autorisation aux mairies concernées, pour chaque campagne, et pour chaque « tag ».

En fait, elle devrait déjà le faire mais ne le fait pas. Elle devrait aussi déjà respecter le code de la route, mais n’en a cure. Et donc, plutôt que de faire respecter la loi, Bercy préfère légaliser une pratique difficile à endiguer.

Questions à Bercy : cette autorisation de tag au sol s’appliquera-t-elle uniquement pour les marques qui payent une société pour le faire ou s’appliquera-t-elle aussi aux artistes de rue ? Dans le premier cas, comment s’opérera la distinction ?

Notre proposition à Bercy : autoriser les tags au sol uniquement dans les couloirs du ministère des Finances, afin qu’ils évaluent par eux-mêmes les conséquences du changement de réglementation.