Un projet de décret dicté par les afficheurs ?

Communiqué de presse du 1er septembre 2015

Paysages de France
Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP)
Collectif des déboulonneurs
Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France

Ségolène ROYAL veut-elle vraiment faire voler en éclats l’une
des rares avancées du Grenelle de l’affichage et annuler un arrêt
du Conseil d’État ayant donné raison au…ministère de
l’Écologie ? Réponse jeudi 3 septembre

Le nouveau projet de décret affichage publicitaire prend l’allure d’une véritable déclaration de guerre à l’environnement et, si par malheur il ne devait pas être retiré, d’un gigantesque et scandaleux cadeau aux délinquants de l’affichage.

En effet, s’il était entériné, ce projet de décret rendrait instantanément légaux des centaines de milliers de panneaux, devenus illégaux depuis le 13 juillet 2015 en application de l’une des dispositions phares du Grenelle.

Le comble est qu’un autre article aurait pour effet d’annuler une décision du Conseil d’État qui, en novembre 2012, avait donné raison au… ministère de l’Écologie !

Inversement, le décret ne prévoit aucune avancée en matière de protection de l’environnement, pas même celles qui avaient été envisagées au printemps 2013, au cours de trois réunions organisées par le ministère de l’Écologie, par exemple la limitation et la réduction des formats « pour les dispositifs ayant un impact particulièrement important sur le cadre de vie », la réduction du délai de mise en conformité des enseignes (actuellement de 6 ans !), etc.

Face à cette offensive, il est indispensable que Ségolène ROYAL interrompe dès à présent ce processus infernal.

Le 3 septembre 2015 à 9 heures, une réunion est convoquée par le ministère (tour Séquoia à La Défense) : ce sera le jour de vérité.

Le 31 juillet 2015, une convocation était envoyée par le ministère de l’Écologie pour une réunion le 3 septembre 2015. L’objet annoncé était la préparation du décret d’application de la disposition de la « loi pour la croissance » prévoyant un régime dérogatoire pour « les dispositifs publicitaires situés dans l’emprise des équipements sportifs d’une capacité d’au moins 15 000 places assises ». Il était indiqué que cette « préparation » concernerait également, sans davantage de précisions, « la mesure de simplification concernant la luminance et diverses mesures de clarification ».

Le 25 août, en début d’après-midi, le ministère adressait cette fois-ci un projet de texte présenté comme étant le projet du « décret d’application de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ».

En réalité, il s’agit bien, au-delà du décret d’application de la dérogation instituée par la loi Macron, d’une série de nouvelles mesures (voir ci-dessous), sans rapport avec la dérogation instituée par la « loi pour la croissance », mais que le ministère surajoute et dont les effets auraient des conséquences catastrophiques si elles devaient être entérinées. Face à cette situation, nous en appelons à Ségolène ROYAL et demandons à être reçus au plus vite par la ministre.

I – Un article vise à annuler une décision du Conseil d’État qui avait donné raison au… ministère de l’Écologie !

Le comble est que l’une de ces mesures envisagées consisterait à défaire en partie ce que le ministère avait obtenu en 2012 contre l’afficheur JCDECAUX à la suite d’un arrêt du Conseil d’État donnant tort à l’afficheur et raison au ministère sur un point crucial pour la protection de l’environnement (CE, n° 352916, 26 novembre 2012, mentionné au recueil Lebon).

En effet, le Conseil d’État avait alors confirmé l’analyse du ministère et de Paysages de France, selon laquelle les panneaux scellés au sol ne peuvent être installés dans aucune commune de moins de 10 000 habitants, hormis celles faisant partie de l’une des 61 unités urbaines de plus de 100 000 habitants, dont la liste est établie par l’INSEE.

Cette position n’était que la transcription sur le terrain de la loi de 1979 et de ses décrets d’application.

Or aujourd’hui, le ministère propose de revenir sur cet arrêt et, après avoir remporté une grande victoire judiciaire en faveur de l’environnement, de renoncer à cette dernière au profit du perdant JCDecaux et de l’ensemble de la profession.

Un tel retournement ne peut être que le résultat de « demandes » dont chacun peut bien deviner l’origine. On se rappelle que, pendant le Grenelle, Le Canard enchaîné avait épinglé JCDecaux : selon le journal, jamais démenti par l’afficheur, « les gens de Decaux [avaient] littéralement tenu [le] stylo pour écrire le décret. Dès qu’un truc ne leur plaisait pas, ils [le] faisaient réécrire ».

On pourrait penser à juste titre qu’on est en pleine schizophrénie.

Surtout que, le 15 juillet 2015, le ministère diffusait en interne le message suivant :
« L’annonce faite pas l’ex-secrétaire d’État chargée du commerce, C. Delga, début juin en réponse à une question orale sans débat concernant le rétablissement des scellés au sol dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants des unités urbaines de plus de 10 000 habitants n’a pas été débattue avec le ministère de l’Écologie. Elle ne reflète absolument pas la posture de Mme la ministre de l’Écologie.
Aussi, il convient de maintenir l’interdiction, entrée en vigueur le 13 juillet dernier, d’installation des scellés au sol dans ces agglomérations. »

Comment en est-on arrivé là ? Qui en France fait les lois et les réglementations ? Et qui les défait ? Qui s’efforce, à chaque pas, comme c’est le cas pour l’affichage publicitaire et notamment pour cette mesure insensée, de les rendre toujours plus complexes pour les rendre toujours moins applicables ?

Le projet de décret prévoit la possibilité d’autoriser des panneaux de scellés au sol de très grand format là où ils étaient interdits depuis 35 ans !

Le décret prévoit en effet la possibilité d’autoriser des panneaux scellés au sol de très grand format là où ils étaient interdits depuis toujours.

Il suffirait désormais, selon le projet de décret, qu’une commune de moins de 10 000 habitants « [appartienne] à une unité urbaine comprenant au moins une agglomération communale de plus de 10 000 habitants. » Or il s’agit d’un cas de figure extrêmement courant qui affecterait quantité d’unités urbaines d’une certaine importance. Le projet précise que ces panneaux seraient installés « à proximité immédiate » des « centres commerciaux ».

Interdire les préenseignes de 1,50 m 2 , mais autoriser les panneaux scellés au sol de plus de 12 m 2 !

Une telle disposition est d’autant plus scandaleuse et incohérente qu’elle vient en outre contredire une autre mesure également intervenue le 13 juillet 2015, mais qui concerne les préenseignes dérogatoires. Ainsi, on supprimerait les panneaux de 1,50 m 2 qui, en effet, proliféraient (et prolifèrent toujours !) aux abords des villes, mais on autoriserait le long des centres commerciaux, qui constituent la plupart des entrées de villes françaises, l’installation de panneaux publicitaires sur pied et d’« d’écrans de télévision » numériques, qui sont les plus agressifs de tous les dispositifs !

Si par malheur la mesure envisagée ne devait pas être abandonnée dès ce 3 septembre, cela reviendrait donc à porter un coup terrible au paysage des entrées de ville de milliers d’agglomérations, entrées de ville qui sont la honte du paysage français. Cela alors même que l’un des objectifs du Grenelle de l’affichage était la réhabilitation de ces dernières, sujet récurrent et objet de multiples colloques, séminaires, études et déclarations solennelles depuis des années !

L’inverse très exactement de ce qu’il est urgent de faire pour mettre fin à cette « abomination » des entrées de ville à la française

Le comble aussi, c’est que cela va exactement à l’inverse de ce qu’il convient de faire, à savoir abroger la scandaleuse dérogation concernant les unités urbaine de plus de 100 000 habitants qui est l’une des principales causes de « l’effet dévastateur » (communiqué de presse du ministère de l’Écologie du 11 juin 2008) que peut avoir l’affichage publicitaire sur le paysage, et de « l’abomination » (Michel Serres) des entrées de ville à la française.

En effet, cette dérogation, vieille de 35 ans, supprimée pendant quelques jours au moment du Grenelle, mais aussitôt rétablie à la demande des afficheurs, permet d’installer ce type de panneaux de grand format, y compris de type écrans de télévision géants, jusque dans des agglomérations de quelques centaines voire quelques dizaines d’habitants pour peu que ces dernières fassent partie d’une unité urbaine de plus de 100 000 habitants. C’est ainsi par exemple que, « grâce » à cette dérogation scélérate, la commune de Saint-Fargeau-Ponthierry, située dans le parc naturel régional (PNR) du Gâtinais-Français, a pu autoriser des panneaux scellés au sol… parce que cette commune, située à 70 km de Paris, fait partie de l’unité urbaine de Paris !

Il va de soi qu’il fallait et qu’il faut plus que jamais aujourd’hui mettre un terme à ce genre d’aberration environnementale.


II – Le projet de décret remet en cause l’une des mesures phares du Grenelle de l’affichage (la diminution de la surface maximale des publicités) ainsi que le mode de calcul de cette surface, tel que défini depuis 35 ans par le code de l’environnement et confirmé par la jurisprudence

L’une des mesures phares du Grenelle de l’affichage, du moins selon ses concepteurs, a été la diminution de la surface des panneaux publicitaires et de certains types d’enseignes.

C’est ainsi que, hormis les publicités géantes dont l’installation a été facilitée et entérinée par le Grenelle (sic), l’on est passé pour les autres panneaux :

• de 16 m 2 à 12 m 2 maximum dans les communes de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie des 61 unités urbaines de plus de 100 000 habitants
• de 12 m 2 à 4 m 2 pour les communes de plus 2 000 habitants et de moins de 10 000 habitants (pas de changement pour les communes de moins de 2 000 habitants)

Cette mesure est entrée en vigueur le 13 juillet 2015.

Or, à peine la mesure est-elle entrée en vigueur que le projet de décret propose de modifier la façon de calculer la surface d’un panneau publicitaire, laquelle est définie de façon fort claire, depuis 1979, par l’article L. 581-3 du code de l’environnement.

Pour satisfaire les afficheurs, il semble en effet que tout soit bon. Ces derniers se plaignaient depuis quelque temps de la manière dont la loi définit depuis toujours la surface d’une publicité. Cette définition précise très logiquement que la surface d’un panneau publicitaire ne se limite pas à la surface de l’affiche (article L 581-3-1° du code de l’environnement). Ce qui compte, c’est l’encombrement visuel du dispositif dans son environnement et non l’impact de la seule affiche.

Le Conseil d’État avait d’ailleurs tranché cette question (CE, req. 169570, 6 octobre 1999).

Le projet de décret envisage donc ni plus ni moins de revenir sur cette surface maximale en proposant que seule compte désormais la surface de l’affiche, indépendamment du dispositif destiné à la recevoir. En particulier, on ne compterait plus, pour le calcul de la surface des publicités, ce que dans le jargon des afficheurs on nomme « moulure ».

Des centaines de milliers de panneaux dont la surface devait être réduite dès le 13 juillet 2015 pourraient être maintenus en place et même agrandis

Résultats : la réduction de surface, qui devait concerner notamment les centaines de milliers de panneaux muraux ou scellés au sol de grand format actuellement en place dans les communes de plus de 10 000 habitants ou dans celles de moins de 10 000 faisant partie des 61 gigantesques unités urbaines de plus de 100 000 habitants, serait purement et simplement annulée.

Pire, on verrait même des panneaux au cadre énorme, comme les affectionne JCDecaux qui s’en était fait la spécialité et dont l’impact visuel est sans commune mesure avec un panneau dont la surface totale est de 12 m2.

La même logique prévaudrait dans les communes où la surface maximale du panneau est actuellement fixée à 4 m2 par le code de l’environnement.

Une modification qui serait gravement entachée d’illégalité

Pourtant, une telle modification serait entachée d’illégalité puisqu’elle va à l’encontre de ce que dit la loi et qu’un décret ne peut bien évidemment aller à l’encontre de la loi.

Et ce n’est pas tout !

1. L’article 3 du projet, qui concerne « l’éblouissement » que peuvent engendrer les panneaux lumineux revient purement et simplement à démanteler les mesures d’encadrement prévues initialement. Il est notamment envisagé à la place « une déclaration d’engagement selon laquelle les dispositifs ne seront pas éblouissants ». On en rirait, si le sujet n’était si grave. Lorsqu’on a été soi-même témoin des flashs diffusés par les nouveaux panneaux numériques, on comprend que ce n’est pas seulement le paysage urbain et les citoyens qui sont affreusement agressés, mais que c’est aussi la sécurité de ces derniers qui est en cause.

2. Le décret Grenelle avait interdit dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie d’une unité urbaine de plus de 100 000 habitants la publicité sur panneaux dits de mobilier urbain, qui envahissent nos trottoirs. C’était une erreur, nous dit-on aujourd’hui…

3. La réglementation était compliquée ? Pas de souci : on peut faire plus compliqué encore. Ainsi, il est question désormais de façades commerciales non pas de plus ou de moins de 50 m2 , mais de façades de plus ou de moins de 84 m 2 (sic).

4. Ensuite, pour les enseignes, on s’empresse de préciser que « les éléments de support, de fonctionnement et d’encadrement ne sont pas compris dans (la) surface (des enseignes) ».

5. Enfin, toujours à la demande des afficheurs, l’article 5 oblige désormais le maire ou le président de l’EPCI à consulter les professionnels de l’affichage (ce qui n’est pas le cas des associations de défense de l’environnement)…

Dans ce projet de décret, tout est mauvais

Le comble encore, c’est qu’aucune mesure qui pourrait avoir une conséquence positive, même minime et relevant du simple bon sens, n’a été retenue, bien au contraire. Cela alors qu’au printemps 2013 trois (très longues) réunions de concertation avaient été provoquées par le même ministère et que des propositions d’amélioration avaient été avancées par le ministère lui- même. Cela alors que des contributions extrêmement détaillées et argumentées, assorties de fiches explicatives, avait été remise par Paysages de France, RAP et les déboulonneurs au ministre de l’Écologie.

Or de tout cela il n’a été tenu aucun compte, malgré les multiples tentatives des associations pour être reçues par Philippe MARTIN, puis par Ségolène ROYAL.

Bref, alors que la réglementation n’a jamais cessé d’être violée, y compris par ceux qui la connaissent le mieux, un tel projet, si jamais il devait être appliqué, serait une invraisemblable prime à la délinquance, avec pour conséquence le saccage de pans entiers de notre environnement quotidien.

Il est donc urgent que la ministre de l’environnement interrompe ce processus infernal.

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