À l’occasion de la « Fête de l’Amour » la plus consumériste qui soit, la réputée Saint·e Valentin·e, les bénévoles de R.A.P. ont agi contre la publicité sexiste à Lyon, Strasbourg et Toulouse. Retour sur une mobilisation visant à réclamer plus de respect, de dignité, et à valoriser des relations dont la valeur ne dépend pas d’actes dépensiers.

On entend encore dire que la publicité s’est améliorée du point de vue de la représentation des genres. On lit que « les sous-entendus xénophobes ou misogynes » étaient fréquents dans les publicités des années 50 et 60 mais que ce n’est « plus le cas aujourd’hui » ; que les affiches sexistes font partie de ces « pubs qu’on ne verra plus jamais » ; voire que les hommes sont devenus « le sexe faible de la publicité »[1]. Mais ces discours ne reflètent pas la réalité. Les deux rapports de l’Observatoire de la Publicité sexiste, publiés en 2020, puis en 2023, ont prouvé le contraire. En recueillant et analysant plus de 430 contributions dans vingt villes de France sur 2 ans cumulés, R.A.P. a montré que le publisexisme est encore bien réel.

Problème : la publicité n’est pas une simple information proposée aux citoyen·nes les laissant libres de choisir des idées ou des produits. Elle impose au contraire une certaine vision du monde véhiculée à travers des choix sémantiques ou audiovisuels uniformes[2] (sexisme mais aussi consumérisme[3], valeurs « matérialistes » et individualistes[4], etc.). En multipliant les représentations sexistes dans l’espace public, la publicité contribue ainsi à les normaliser, à les rendre banales. Elle participe donc à la diffusion et la légitimation d’une représentation d’un monde dans lequel les personnes identifiées comme « femmes » sont désavantagées, et où certains privilèges sont réservés aux personnes identifiées comme « hommes ».

En analysant les publicités reçues par le biais de l’Observatoire, on voit apparaître les femmes comme éternellement belles et jeunes (voir infantilisées), sexuellement disponibles. Sont majoritairement absentes des publicités les femmes noires, vieilles, invalides, créant ce que le critique de cinéma Malvyn Stokes appelle des « absences structurantes »[5]. Ainsi, c’est tout un récit sur la place de la femme qui se crée, et qui s’impose au quotidien des personnes, que les publicitaires en soient ou non conscient·es. Les hommes restent dans le rôle du sachant, fort et protecteur. Autres éléments, le modèle du couple est systématiquement hétéronormé et le partage des tâches toujours aussi genré.

Les femmes sont représentées comme des objets sexuels soumis au désir des hommes. Par des positions (auto-contact, bouche entre-ouverte, jambes écartées), des cadrages (femmes-troncs, male gaze) et un vocabulaire souvent emprunté aux codes de la séduction, de l’humour avec des slogans sexistes, de la pornographie (traduit en anglais pour en atténuer la violence), les publicités établissent une association entre la soumission des femmes au désir-pulsion des hommes et des produits et/ou moments quotidiens, ancrant ainsi la culture du viol dans la banalité, la normalité. Des chercheureuses ont montré que la représentation médiatique des femmes comme victimes renforçait l’acceptabilité sociale de la violence à leur encontre[6].

Le rôle que jouent les contenus publicitaires sexistes sur les schémas mentaux individuels a été reconnu légalement. En effet, la loi du 5 mai 2017 oblige à mettre une mention « photographie retouchée » lorsque « l’apparence des mannequins a été modifiée par un logiciel de traitement d’image, pour affiner ou épaissir leur silhouette ». Ceci dans le but « d’agir sur l’image du corps dans la société pour éviter la promotion d’idéaux de beauté inaccessibles et prévenir l’anorexie chez les jeunes ». L’intention est louable, mais comme nous l’avons déjà montré dans d’autres publications, les mentions légales sont des dispositifs inefficaces qui ne servent qu’à faire perdurer l’autorégulation[7]. L’exemple de la publicité pour la malbouffe illustre très bien cette inefficacité.

De plus, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (l’ARPP, structure en charge de vérifier la conformité des publicités) est souvent saisie sur le sexisme de certaines publicités. Mais le temps de réponse est trop long et les campagnes sont interdites trop tard (en moyenne 14 semaines après leur diffusion[8]) ou provoquent un bad buzz, leur accordant ainsi une large diffusion… une aubaine pour les marques, qui peut parfois même les inciter à faire des campagnes choquantes et sexistes.
Le problème du publisexisme est donc reconnu autant par la société civile que par les pouvoirs publics, mais les mesures prises sont insuffisantes.

Résistance à l’Agression Publicitaire continue donc de se mobiliser afin de mettre en lumière le publisexisme et ses effets, pour sensibiliser un large public et faire voter des mesures politiques concrètes les limitant. Cette année, ses groupes locaux présents à Lyon, Strasbourg et Toulouse, ont procédé à du recouvrement d’affiches et à un concours de la publicité la plus sexiste, en partenariat avec Nous Toustes 31 !

Les revendications de R.A.P.
- Interdiction du sexisme en publicité dans la loi
- Interdiction de toute représentation des corps (entiers ou morcelés,
humain ou humanoïde, réaliste ou caricaturé) dans la publicité - Mise en place d’une instance de régulation indépendante

Notes
[1] Thierry LIBAERT et Guéraud GUIBERT, « Publicité et transition écologique », rapport commandé par le Ministère de la Transition écologique et solidaire, juin 2020, p. 22 ; Annie PASTOR, Les pubs que vous ne verrez plus jamais ; Jean-Marc SFEIR, « L’homme, nouveau sexe faible de la pub », L’Obs, 28 septembre 2014
[2] « La force du discours publicitaire réside dans ses effets cumulatifs et normatifs. La publicité ou, plus largement, le discours médiatico-marchand peuvent être définis comme […] l’expression d’une façon de concevoir les valeurs de l’existence et les catégories de l’expérience. » Anthony GALUZZO, La Fabrique du consommateur, 2020, éditions Zones La Découverte, p. 177.
[3] Voir notre article « Publicité, l’industrialisation de la manipulation » publié en 2021, blog Mediapart.
[4] Kasser, Tim, 2002, The High Price of Materialism, Cambridge (MA), MIT Press.
[5] Malvyn STOKES, « Structuring absences: images of America missing from the Hollywood screen », Revues françaises d’études américaines, vol. 3, n°89, 2001.
[6] N. M. MALAMUTH et J. V. P. CHECK, « The effect of mass media exposure on acceptance of violence against women: a field experiment », J. Res. Personal. 15, 436-446, 1981.
[7] Voir notre rapport « Légiférer sur la publicité pour limiter le gaspillage et favoriser l’économie circulaire », juin 2019, antipub.org.
[8] Voir notre rapport « Le sexisme dans la publicité française », janvier 2021, antipub.org.
