Lettre à Françoise Nyssen concernant les bâches publicitaires sur les monuments historiques

R.A.P. a écrit ce jour à la ministre de la Culture pour lui demander l’abrogation de l’article L621-29-8 du code du patrimoine qui permet l’installation de bâches publicitaires gigantesques sur les monuments historiques, bafouant ainsi l’interdiction absolue de la publicité sur les monuments instaurée par le code de l’environnement.

Pour plus d’informations, voir l’étude de R.A.P. sur l’invasion de l’espace public par les baches publicitaires.

De : Résistance à l’Agression Publicitaire

À : Françoise Nyssen

Madame la Ministre de la Culture

3 rue de Valois

75033 Paris Cedex 01

Objet : Abrogation de l’article L 621-29-8 et ses décrets d’application sur les bâches publicitaires de chantier sur les monuments historiques

Paris, le 14 Septembre 2018

Madame la ministre,

A l’occasion de ces Journées Européennes du Patrimoine, nous vous adressons cette lettre pour vous rappeler notre position au sujet de l’article L 621-29-8 du code du patrimoine et ses décrets d’application.

– Cet article est en parfait désaccord avec le code de l’environnement qui interdit toutes publicités sur les monuments classés, sans dérogation possible.

– Le fait que l’article R 621-90 permette un affichage pouvant aller jusqu’à 50% de la surface de la bâche de chantier autorise des formats pouvant atteindre plusieurs centaines de m² et qui peuvent être en opposition directe avec des législations locales. Par exemple à Paris, ce type d’affichage publicitaire ne peut excéder 16 m² ni dépasser 7,5 m de haut.

– Dans certains cas, on peut tout à fait légitimement se demander si les 50 % ne sont pas tout simplement dépassés, ce qui montre qu’un pourcentage est bien plus difficile à contrôler qu’une surface fixe.

– De plus, cette possibilité de formats gigantesques attise l’appétit des afficheurs. Ces derniers n’hésitent pas à valoriser ces emplacements sur leurs sites internet pour attirer de nouveaux annonceurs. Ils font alors des monuments historiques un terrain de jeu et une vitrine commerciale.

Le cas de la place des Vosges en avril 2014 montre qu’il est très facile de contourner la loi. Celle-ci prévoit que les bâches ne peuvent être publicitaires que pour les seuls travaux extérieurs. Or, en l’espèce, les travaux étaient à 99 % intérieurs et la bâche est restée en place beaucoup plus pour son affichage publicitaire que pour sa réelle utilité. Sans les interventions citoyennes, Exterion Media aurait même pu prolonger cette installation devenue illégale avec une certaine bienveillance de la DRAC.

– Par ailleurs, le cas de la gare Saint-Lazare interroge. Cette dernière est en effet bâchée depuis deux ans sans qu’on travaux extérieurs apparents, et alors que la rénovation de la gare avait été achevée en 2014, après onze ans de travaux.

– Depuis que l’article du code du patrimoine existe, nous dénonçons la marchandisation de la culture qui fait qu’au nom du patrimoine, on dégrade le patrimoine. Le Panthéon a échappé de justesse à une détérioration publicitaire de grande envergure. Mais l’Opéra Garnier a été gravement touché, alors même que son architecte Charles Garnier a écrit un article, Les affiches agaçantes, où il déniait, dès 1871 « le droit que s’arrogent quatre ou cinq industriels de maculer avec leurs enseignes outrecuidantes la ville qui abrite un million d’habitants ! ». Or, si comme le déclarait Philippe Bélaval, directeur du CMN, « Les tombes ne peuvent servir de support à un message publicitaire. Le besoin de ressources propres ne justifie pas que l’on fasse n’importe quoi. », ce « n’importe quoi » arrive très vite dès qu’on autorise les publicités sur les monuments historiques.

– Rappelons ici que la publicité est une forme d’impôt privé, puisque son prix est répercuté dans le prix du produit. L’argent ne tombe pas du ciel et c’est bien le consommateur qui paye la publicité, sans avoir de droit de regard sur les dépenses faites en son nom. Faire financer des travaux par la publicité revient donc à faire payer le consommateur, plutôt que le contribuable. Or, si dans le second cas, le citoyen peut exercer certain contrôle sur l’utilisation faite, dans le premier, le seul décisionnaire est l’annonceur qui n’a aucun compte à rendre, ni sur les sommes prélevées aux consommateurs, ni sur l’usage qui en est fait. On peut craindre des rénovations à deux vitesses : pendant que les monuments « non rentables » sont laissés à l’abandon, ceux situés dans des lieux touristiques à forte fréquence se voient privilégiés.

– C’est un très mauvais calcul parce que ces gigantesques publicités sont une pollution visuelle qui met en péril le tourisme et toute l’activité économique locale qui en dépend. Ainsi, en favorisant l’affichage des géants du luxe ou de gadgets informatiques, on compromet des centaines de PME (petits commerces, restaurants, hôtels…).

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de faire abroger l’article L 621-29-8 du code du patrimoine.

Et d’ores et déjà , a minima, de modifier l’article R 621-90, et plus particulièrement la disposition concernant « la surface consacrée à l’affichage » et remplacer « 50 % de la surface totale de la bâche de support » par « 8 m² », afin que des mécènes puissent apposer leur logo sur les bâches des travaux qu’ils financent, sans pour autant défigurer des lieux qui sont, rappelons-le, formellement interdits de publicité. Une telle modification n’a même pas besoin de passer devant l’Assemblée nationale.

En espérant recevoir une réponse positive à ce courrier, nous vous prions de croire, Madame la Ministre, en l’expression de notre considération la plus distinguée.

Héloïse Chiron, Présidente de Résistance à l’Agression Publicitaires