Dans un nouveau rapport, des haut·es fonctionnaires jugent sévèrement le secteur publicitaire – notre analyse

Le 25 mars dernier, le journal L’informé a rendu public un rapport commandé en juillet 2024 par le Premier ministre d’alors, Gabriel Attal. Il était resté dans les placards depuis son rendu, en décembre 2024. Malgré son titre, Contribution et régulation de la publicité pour une consommation plus durable, qui pourrait laisser croire à un énième rapport qui encourage le secteur publicitaire à devenir un « levier pour la transition écologique », les haut·es fonctionnaires ont livré un travail remarquable qui va à rebours du discours des publicitaires.

Hasard du calendrier, en ce 25 mars 2025, journée mondiale de lutte contre la publicité, le journal L’Informé [abonné·es] a fait fuiter un rapport émanant des inspections générales des finances, des affaires culturelles et de l’environnement et du développement durable. Commandé quelques jours après le résultat des législatives de 2024 par Gabriel Attal, alors encore Premier ministre pour quelques semaines, il avait pour objet d’évaluer « l’impact de la publicité sur les comportements de consommation et de l’efficacité de la régulation des communications commerciales au regard des enjeux environnementaux. »

Pendant les six mois de la mission, les onze inspecteurices1 ont rencontré un nombre colossal de personnes : acteurs publics, tant nationaux qu’européens et internationaux, personnes représentant le secteur publicitaire (agences, régies, médias, plateformes numériques…), associations écologistes ou de défense des consommateurices (dont R.A.P.), chercheureuses et personnalités qualifiées. La mission a par ailleurs analysé les différents rapports, qu’ils proviennent du secteur publicitaire, d’institutions publiques ou d’associations citoyennes, mais aussi les travaux académiques sur le sujet. Le rapport à proprement parler fait 80 pages et est accompagné de six annexes2 qui sont en elles-mêmes des rapports à part entière3, pour un total de 465 pages ; le travail est remarquable. Le rapport émet treize propositions, avec, pour certaines, des sous-propositions. S’il ne reprend pas forcément les revendications de notre association, force est de constater que ce rapport met à mal le discours d’un secteur qui aime se faire passer pour le « bras armé de la transition écologique ». On peut notamment y lire que « en leur état actuel, ni la réglementation, ni l’autorégulation par les professionnels ne permettent d’assurer que les communications commerciales contribuent à une consommation plus durable. »

La publicité pousse à la consommation de biens et services non « durables »

Quand on pointe le rôle de la publicité dans la surconsommation, le secteur se défend généralement en mettant en avant le libre-arbitre des consommateurices. La mission, après une large revue des travaux académiques à ce sujet, n’aboutit pas du tout aux mêmes conclusions. Elle explique en effet que, certes, il y a un manque de données, tant sur l’impact environnemental des biens et services promus, que sur les communications commerciales, qui existent mais qui sont payantes, ce qui constitue notamment un frein pour la recherche. Cependant, elle estime que « si les résultats de la recherche ne sont jamais univoques au point de dicter l’arbitrage politique, ils sont suffisamment étayés pour orienter les acteurs publics dans les enjeux d’intérêt général liés à une meilleure régulation des communications commerciales. »

Le rapport affirme ainsi qu’il est « désormais largement démontré que les communications commerciales influencent les comportements des consommateurs » en mobilisant des ressorts cognitifs irrationnels pour « capter leur attention, provoquer des effets de mémorisation et, in fine, de désir. » Il confirme aussi que « les communications commerciales font évoluer les goûts et les attentes des consommateurs », entre autres par la répétition des campagnes qui se traduit par des effets sur les préférences et les choix. La mission considère que « la littérature démontre aussi de façon univoque que les enfants et adolescents sont significativement plus vulnérables aux communications commerciales, qui touchent également davantage les personnes âgées » et que « l’effet sur les personnes précaires est également plus fort car la contrainte financière affecte les capacités cognitives de prise de décision. » Elle rappelle par ailleurs qu’une « publicité pour un produit de marque Y augmente à la fois la part de produits vendus de la marque Y (effet de prédation) et les ventes totales de ce produit pour toutes les autres marques (effet de coopération). »

En bref, les inspecteurices arrivent à la conclusion suivante, qui n’étonnera pas les personnes qui nous lisent de longue date : la publicité incite à la (sur)consommation et cela fonctionne de manière non négligeable.

Mais la mission ne s’arrête pas là. Elle note en effet que « la publicité augmente le matérialisme, en particulier chez les enfants, alors qu’il existe un lien négatif entre matérialisme et attitudes environnementales : les individus qui privilégient le matérialisme consomment plus et agissent de façon moins respectueuse de l’environnement. Ce matérialisme se traduit par un bien-être moindre : la satisfaction immédiate à consommer s’accompagne d’une frustration à long terme identifiée par des études scientifiques ». Après une étude des données disponibles, la mission conclut que « les communications commerciales orientent les consommateurs vers des produits peu durables ou moins bons pour la santé » et qu’elles « sont aujourd’hui concentrées sur des annonceurs mettant en avant des produits qui sont à l’origine de surpoids et d’obésité (produits alimentaires au Nutri-Score D et E) et d’une part importante des impacts environnementaux de la France. » Le constat est aussi fait que « la majorité des communications commerciales ne fait pas connaître de nouvelles marques, mais préserve et fait évoluer l’image de grandes marques afin de contribuer à déterminer les besoins des consommateurs par l’offre […]. La publicité peut à la fois contribuer à imposer une offre et jouer un rôle de barrière à l’entrée pour des petites entreprises. »

Se concentrant sur les publicités sur le mobilier et le textile qui « ont cru significativement en dix ans », la mission explique que « le modèle de production moins cher et moins durable de ces produits se décline donc dans des communications commerciales visant à créer un besoin et une surconsommation, entendue ici comme une consommation sans raison et sans surplus de bien-être. » Et de conclure sur ce point : « La publicité y est autant une cause de la surconsommation qu’une conséquence de la surproduction de produits dont l’obsolescence est intrinsèque et constitutive d’un modèle économique insensé. »

La mission constate aussi que la communication des acteurs publics et des ONG ne représente que 2 % du marché. Ainsi, « la pression publicitaire et les campagnes d’information pour plus de durabilité placent le consommateur face à des injonctions contradictoires. » Et en définitive, « il est démontré que l’information actuelle des consommateurs suscite in fine des frustrations, en particulier pour des consommateurs dont le pouvoir d’achat ne leur permet pas de répondre à la pression consumériste exercée par la publicité et de procéder à l’acquisition de produits plus durables, difficiles à identifier et parfois plus chers ou indisponibles. »

L’autorégulation en question

Très loin de l’autosatisfecit des rapports annuels de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) au Parlement, rendus obligatoires par la loi Climat et résilience en 2021, celui des haut·es fonctionnaires rappelle que « malgré son nom, [l’ARPP] n’est pas une autorité publique » et que « les activités de coopération que l’ARPP entretient avec l’Ademe, l’Arcom et les rapports au Parlement, lui permettent d’afficher un haut niveau de coopération avec les pouvoirs publics, dont l’effectivité ne résiste pas à l’analyse approfondie. »

La mission estime en effet que « le niveau d’exigence des recommandations de l’ARPP en matière environnementale est perfectible ». Si elle considère « efficace » le contrôle avant diffusion, obligatoire pour les spots télévisuels et les services de médias audiovisuels à la demande (Smad), elle pointe le fait que la majorité des investissements publicitaires se fait dans l’espace numérique, où ce contrôle est facultatif, de même que pour tous les autres supports publicitaires : affichage extérieur, presse, cinéma, radio… Concernant la portée du contrôle a posteriori, par le Jury de déontologie publicitaire (JDP), instance de l’ARPP, la mission la considère « déficiente », parlant d’un « impact symbolique, limité par la faiblesse de la publicité qui en est faite »4.

Aussi, la mission considère que « la confiance avec les ONG environnementales et une partie des acteurs de la société civile est rompue. » On ne peut que lui donner raison. Alors que le dernier rapport de l’ARPP au Parlement ne cesse de vouloir faire croire que l’autorégulation du secteur est « concertée avec la société civile »5, notamment avec un siège prévu pour une ONG environnementale au Conseil d’administration de l’association et un autre à celui de son instance associée, le Conseil paritaire de la publicité (CPP), une simple visite sur leurs sites6 suffit à voir qu’aucune ne participe à ces instances. Rappelons qu’en 2020 France Nature Environnement a « claqué la porte » après douze ans de participation, constatant que « l’autorégulation de la publicité est un échec ». La mission conclut que l’autorégulation « n’a pas un fonctionnement satisfaisant dans son cadre actuel et ne permet donc pas d’assurer une évolution des contenus des communications commerciales proportionnée aux objectifs de politique publique. »

Or, malgré ces constats, que nous partageons7, la mission ne retient pas la proposition de créer une autorité indépendante telle que notre association le demande avec d’autres, mais recommande plutôt de mettre l’ARPP sous la tutelle de l’Arcom. Selon la mission, une autorité indépendante « constituerait un projet coûteux et difficile à mettre en œuvre, sans garantie d’efficacité par rapport au modèle actuel, et risquerait de démobiliser les professionnels. » Si nous pouvons entendre l’argument du coût d’une telle instance, nous nous étonnons en revanche de sa potentialité à « démobiliser les professionnels ». En effet, hormis pour peser sur le débat public afin d’empêcher toute réforme un tant soit peu ambitieuse, on ne peut pas dire que lesdits professionnels soient très mobilisés pour réduire leur promotion des biens et services les plus polluants.

Pour cette réforme de l’ARPP, la mission préconise ceci : « la loi définirait le cadre global d’une structure associative exerçant l’autorégulation et, une fois les modifications statutaires opérées, l’ARPP pourrait obtenir l’agrément ou l’accréditation par l’État comme étant la structure en charge des missions décrites. L’Arcom viendrait compléter le dispositif : elle assurerait les fonctions de supervision des règles éditées par l’ARPP et applicables aux adhérents, et contrôlerait le fonctionnement de l’ARPP sur son champ d’intérêt général. » Aussi, la loi prévoirait une ouverture de ses instances pour la définition des recommandations, et l’Arcom superviserait l’ARPP tout en étant un dernier recours en cas de dysfonctionnement, avec un pouvoir de sanction, inexistant actuellement.

Le mélange des genres entre droit dur (« la loi définirait ») et droit souple (« structure associative exerçant l’autorégulation ») nous paraît discutable, d’autant que les missions de l’Arcom ne concernent que l’audiovisuel, et pas les autres supports comme l’affichage extérieur ou la presse. De plus, il faudrait des gardes-fous sérieux et une réelle possibilité de peser sur l’instance pour que des ONG, notamment écologistes, décident de participer. Mais si nous doutons de cette proposition telle que formulée, nous retenons surtout la volonté de revoir le fonctionnement de l’ARPP qui, en l’état, est plus assimilable à un lobby qui empêche la réglementation qu’à une instance de régulation des contenus.

« Les contrats climat n’ont pas démontré leur efficacité »

La mission est aussi assez sévère sur les contrats climat. Ce dispositif a découlé de la loi « Climat et résilience » en 2021, elle-même issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) entre octobre 2019 et juin 2020. La CCC proposait notamment d’interdire la publicité des produits les plus polluants. Or, pour « filtrer » cette proposition, le Gouvernement d’alors a confié une mission à Arnaud Leroy, président directeur général de l’Ademe, et Agathe Bousquet, présidente de Publicis Groupe en France, qui a abouti à un rapport publié en juin 2020, à la veille du rendu de celui de la CCC. C’est ce rapport qui a proposé le dispositif des contrats climat, proposition qui a été reprise dans le projet de loi et validée par le Parlement dans la loi. La philosophie de ces contrats est d’inciter les annonceurs à « réduire de manière significative les communications commerciales relatives à des biens et services ayant un impact négatif sur l’environnement »8, mais de manière volontaire.

C’est un dispositif hybride, entre droit dur et droit souple, puisque la loi impose aux annonceurs9 dont les dépenses publicitaires dépassent 100 000 € par an de se déclarer sur la plateforme gouvernementale, avec un risque d’une amende de 30 000 € en cas de non-déclaration. C’est la seule contrainte du dispositif. Tout le reste est volontaire. Ces annonceurs peuvent, ou non, signer un contrat climat, et peuvent mettre ce qu’ils veulent dedans. Quel que soit le niveau d’exigence d’un contrat, qu’il contienne ou non des indicateurs, que ces derniers soient pertinents ou pas, que ses engagements soient ambitieux ou non, le contrat est publié, faisant rentrer l’annonceur dans la case « bon élève », étant affiché comme tel sur le site. Pour notre rapport sur la publicité automobile, nous avions analysé tous les contrats climat des constructeurs10. Nous en avions retenu qu’aucun constructeur ne s’engage à promouvoir des véhicules plus légers. Le seul engagement que l’on peut retrouver dans certains de ces contrats est de faire la promotion de véhicules hybrides ou électriques, ce qui n’empêche donc nullement de continuer à faire la promotion de véhicules très lourds, type SUV, et qui permet de continuer à vanter la voiture individuelle comme seul horizon pour la mobilité.

La mission inter-ministérielle arrive à la même conclusion que notre association : « les contrats climat n’ont pas démontré leur efficacité ». En effet, « au moins deux tiers des 219 contrats climat ne comportent pas d’engagement à réduire significativement les communications commerciales relatives à des biens et services ayant un impact relativement fort sur l’environnement. »11 Elle constate que « les contrats climat portent principalement sur des engagements d’éco-conception des campagnes et de formation des équipes marketing, les engagements sur le type de produits promus et les messages ou imaginaires utilisés étant souvent absents. Enfin, une part importante d’engagements n’est pas accompagnée d’indicateurs pertinents pour apprécier l’évolution des pratiques de communication. La diversité des indicateurs retenus, le cas échéant, ne permet pas de comparaison et d’évaluation de l’ensemble du dispositif. » Ainsi, « les contrats climat ne sont pas satisfaisants dans leur fonctionnement actuel : de fait, ce ne sont pas des contrats en tant que tels, les contreparties à leur publication et la possibilité de les mettre en valeur n’étant pas définies clairement. » La mission va jusqu’à affirmer que « fixer aux communications commerciales l’objectif de contribuer en elles-mêmes à l’objectif de sobriété est contradictoire avec leur raison d’être. » Nous n’aurions pas mieux dit.

Néanmoins, et malgré ces constats, les haut·es fonctionnaires ne proposent pas de supprimer ce dispositif – que nous considérons de notre côté comme une usine à gaz qui permet aux annonceurs de montrer « patte verte » à peu de frais – mais seulement de les transformer « en conditionnant leur publication à l’engagement à atteindre des objectifs précis, suivis par des indicateurs limités et obligatoires »12 avec des « engagements concrets et quantifiés ». Outre le fait que cette transformation ne peut se faire sans modifier la loi, nous nous interrogeons sur la pertinence de maintenir un dispositif qui mobilise tant de services et de moyens humains pour un résultat si défaillant, alors que, dans le même temps, une instance indépendante de régulation est jugée trop coûteuse. En effet, les contrats climat mobilisent beaucoup de fonctionnaires : des agent·es de l’Arcom, du ministère de l’Écologie et de l’Ademe. Ils et elles sont chargé·es de récupérer les contrats, les mettre en ligne, les analyser pour faire des rapports annuels, sans compter les réunions du comité de suivi du dispositif, où force est de constater que les acteurs de la profession sont de moins en moins présents13, montrant de fait leur faible niveau d’implication.

Faire le tri dans les labels, supprimer les mentions légales, inefficaces

La mission s’est aussi intéressée aux mentions obligatoires. De « l’énergie est notre avenir, économisons-la14 » à « pensez à covoiturer », en passant par « mangez cinq fruits et légumes par jour », ces mentions légales se multiplient depuis une vingtaine d’années. Elles répondent généralement à des velléités de parlementaires de réglementer le secteur, et sont préférées à d’autres mesures parce que ce sont les seules « contraintes » que les publicitaires tolèrent, bien qu’ils et elles viennent ensuite expliquer que c’est encore trop contraignant pour leur « créativité ».

Les inspecteurices se sont donc penché·es sur leur efficacité et leur conclusion rejoint nos propres analyses sur le sujet : « Les mentions obligatoires sont sans effet avéré sur les consommateurs au-delà de leur mémorisation. Ces messages à apposer obligatoirement dans les communications, parfois appelés mentions légales, concernent en particulier la santé, l’alimentation, les transports, les jeux, le crédit, les assurances. […] Pourtant, sur les 27 catégories de mentions identifiées par la mission, les mentions en lien avec la consommation durable (trois dispositifs sur les transports ou l’énergie) et la santé (quatre mentions depuis 2007) ont été renforcées depuis 2007. »

À l’inverse, concernant le Nutri-Score, la mission note que le label « a vu son efficacité démontrée par plus d’une centaine d’études scientifiques, à la fois pour faire évoluer l’offre (changement des recettes des produits pour atteindre un meilleur score) et la demande (amélioration de la qualité nutritionnelle des paniers d’achat) », bien que son affichage soit seulement volontaire…

À propos de l’étiquette carbone, à savoir l’affichage obligatoire de la classe d’émissions de CO2 dans les publicités automobiles, la mission la considère « obsolète » puisqu’elle ne prend pas en compte l’analyse du cycle de vie du véhicule, mais seulement les émissions liées à son usage. Une automobile de deux tonnes peut actuellement afficher 0g d’émissions de CO2 si elle est électrique. Un peu comme si une publicité de fast-food affichait un Nutri-Score A…

La mission propose donc de faire le tri dans les labels, de conserver les plus pertinents et de supprimer progressivement les mentions légales, qui ont prouvé leur inefficacité.

Le financement des médias, un frein majeur à des interdictions sectorielles de publicité

La mission s’est penchée sur l’intérêt d’interdire la publicité de certains secteurs ou produits, en étudiant notamment les effets de la loi Évin qui a, en 1991, interdit la propagande pour le tabac et l’alcool. Si le volet « tabac » a été renforcé depuis, le volet « alcool » a en revanche été détricoté au fil du temps15. Les haut·es fonctionnaires observent que cette loi « a représenté un saut qualitatif en matière de prévention des consommations nocives à la santé », bien qu’elle soit plus efficace en matière de tabac que d’alcool , puisque pour ce dernier, « la population française reste très exposée » à ses publicités, notamment en affichage ou sur Internet.

La mission estime que « les études disponibles, comme l’expérience acquise grâce à la loi Évin, montrent que les mesures d’interdiction de la publicité sur certains produits, jugés nocifs, sont les plus efficaces pour en diminuer la consommation. » Elle note que les mesures prises en ce sens dans la loi « climat et résilience », l’interdiction de publicité pour les énergies fossiles et celle pour les véhicules les plus polluants attendue pour 2028 n’ont que « peu d’effet » : « s’agissant des énergies fossiles, le législateur ne les a pas précisément définies dans la loi, conduisant le Conseil d’État à rejeter les mesures d’application pour incompétence négative. Concernant les véhicules, les mesures d’application attendues pour 2028, sont sans portée, ne devant concerner qu’un faible nombre de véhicules du fait du seuil retenu. En effet, dès 2020, les ventes de véhicules neufs étaient concentrées à plus de 98 % sur des voitures peu émettrices par kilomètre (étiquettes A, B, ou C). »

Les inspecteurices proposent donc de « limiter les communications commerciales pour des produits les plus dommageables à l’environnement », mais « en débutant par les produits les plus symboliques, porteurs d’impact et dont la consommation sans retenue est l’apanage d’un nombre réduit de consommateurs, que sont l’aviation et les véhicules particuliers les plus lourds. » Et de préciser que pour les trajets en avion, l’interdiction ne s’appliquerait qu’à ceux qui disposent d’une alternative en train, et pour les véhicules les plus lourds, de passer de 45 % à 25 % de publicités pour les SUV. Dans un second temps, il faudrait s’appuyer sur l’affichage environnemental qui « pourra servir à la réduction des communications commerciales sur les produits les moins bien notés, soit par des engagements volontaires dans le cadre des contrats climat, soit par la réglementation en cas d’échec. »Si la mission est si timide sur ces propositions, alors que dans le même temps elle constate que les interdictions sont les mesures les plus efficaces, c’est que la publicité constitue la première source de financement des médias d’information, à hauteur de 36 %. Elle s’en justifie en expliquant que « le plan d’actions proposé par la mission présente un risque économique maîtrisé. Les propositions ont été choisies pour éviter un impact significatif sur les acteurs économiques, en particulier s’agissant des médias traditionnels. »

Si nous comprenons que le financement des médias soit un enjeu important, nous réfutons la thèse selon laquelle la publicité permettrait leur pluralité, surtout concernant la télévision où la recherche de l’audience à moindre coût rend incontournable les « débats » entre personnes qui expriment des opinions avec aplomb, mais sans expertise particulière. Les altercations qui arrivent parfois entre elles permettent de capturer des extraits de quelques minutes, qui sont ensuite diffusés sur les réseaux sociaux, ce qui, certes, crée de « l’engagement » et du « clic », donc des recettes publicitaires, mais qui nuit surtout à un débat public apaisé. L’exemple de la campagne présidentielle de 2022 est parlant, où un multi-condamné pour propos incitant à la haine raciale était invité quotidiennement sur toutes les chaînes parce que sa simple présence créait de l’audience.

Aussi, nous nous interrogeons sur la possibilité de parler sérieusement d’écologie ou de « consommation durable » dans ces médias, entre deux tunnels de publicités qui font la promotion de l’aviation, de l’automobile comme solution optimale de mobilité, de téléphones portables à renouveler sans cesse ou encore d’alimentation malsaine. Même si les sujets peuvent parfois être abordés de manière sérieuse, ce double discours génère encore des injonctions contradictoires.

D’autant que le financement des médias par les industriels donne à ces derniers un moyen de pression pour taire ou édulcorer le traitement de la question. Un groupe comme Bolloré peut ainsi, via son agence de publicité Havas, sanctionner un journal comme Le Monde – qui avait publié un papier gênant sur ses activités en Afrique – en détournant les annonceurs du média.16 On se souviendra aussi des pertes de recettes financières de Libération après avoir écorné Bernard Arnault en 2012 et 201717, ou encore de La Tribune, qui en 2011, alors déjà en grande difficulté financière, s’était vue retirer les budgets publicitaires d’EDF à la suite d’un article qui avait déplu à l’entreprise.18 Si ces interventions directes ne sont pas quotidiennes, la menace sur les rédactions pèse et peut mener les journalistes à des mécanismes d’autocensure.19

Les États généraux de l’information (EGI), dans leur rapport rendu en septembre 2024, proposaient trois scénarios sur le futur des médias. Dans le premier, « âge d’or de l’information », « la publicité a disparu du modèle économique des médias ». Malheureusement, la seule proposition des EGI concernant le financement publicitaire20 était de capter une partie des recettes des plateformes numériques au bénéfice des médias d’information. Ces derniers seraient donc toujours, mais de manière plus indirecte, dépendants de la dépense publicitaire, ce qui risquerait de renforcer encore la publicité en ligne et déplacerait le problème sans régler celui des injonctions permanentes à surconsommer.

De la nécessité de baisser la pression publicitaire de manière générale

Néanmoins la mission inter-ministérielle semble avoir conscience de ces aspects et pose les limites de modifier le secteur à la marge. Elle estime que « mieux consommer en faisant évoluer les communications commerciales vers la promotion de produits plus durables ou meilleurs pour la santé sera un premier pas utile. Néanmoins cela ne suffira pas à atteindre les objectifs fixés pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et respecter les limites planétaires. En effet, ne chercher qu’à faire évoluer ces communications plutôt qu’à les réduire pourrait conduire à dissimuler l’enjeu de surconsommation des ressources sous une apparence plus acceptable, celle d’un « consumérisme vert », consistant par exemple à passer de la voiture à essence à la voiture électrique sans jamais interroger les modalités de déplacement. »

« Passer d’un mieux consommer à un moins consommer les biens « dont la production ou l’usage induisent une empreinte trop forte sur les ressources » nécessiterait de ne pas en rester à mieux informer les consommateurs et leur renvoyer des imaginaires désirables compatibles avec la transition écologique, mais aussi de mettre un terme à certaines communications, voire que la pression publicitaire globale, tous médias confondus, soit limitée. »

Cependant, le rapport ne donne que peu de pistes pour diminuer cette pression, hormis en proposant de plafonner la quantité de publicités sur les grandes plateformes numériques, ce qui nécessiterait de faire évoluer le règlement européen concernant les services numériques. Il semble toujours considérer la publicité comme une manne financière qui devrait revenir aux médias traditionnels plutôt qu’aux plateformes. Mais d’une part, la publicité ne tombe pas du ciel : ce sont bien les consommateurices qui la financent en achetant les produits promus, dont le prix de la publicité a été répercuté sur ces derniers. D’autant que, d’un point de vue comptable, les dépenses publicitaires d’une entreprise font baisser son résultat et donc diminuer d’autant son impôt sur les sociétés, donc les recettes de l’État. Une sorte de double peine pour les cerveaux disponibles21/contribuables… D’autre part, nous voyons mal comment imposer aux annonceurs d’aller vers tel média plutôt que tel autre. Surtout qu’en cas de crise (économique, sanitaire…) les annonceurs diminuent, voire arrêtent purement et simplement les budgets publicitaires, fragilisant ainsi les médias d’information qui en vivent.

Il y aurait donc une grande réflexion à avoir sur la meilleure façon de sortir de notre dépendance au système publicitaire pour le financement de services indispensables, comme les médias d’information, mais aussi les transports en commun ou la rénovation des monuments historiques.

Conclusion

Malgré ces critiques, ce rapport s’ajoute à d’autres rapports institutionnels qui invitent tous à réglementer plus strictement le secteur : ceux du GIEC, du Haut Comité pour le Climat22, du Réseau de transport d’électricité23, du Conseil économique, social et environnemental, du groupe d’expert·es dirigé par Benoît Heilbrunn, de la Convention citoyenne pour le climat, ou encore du Grand Défi des entreprises pour la planète, qui reprend en partie les propositions de la CCC. La nouveauté ici est qu’il est cosigné par l’Inspection générale des finances qui est sous la tutelle, notamment, du ministère de l’Économie et des Finances. Or, ce dernier est l’un des ministères les plus écoutés par le Gouvernement et, sur le secteur publicitaire, celui qui, d’après notre expérience, bloque le plus les décisions en faveur d’une réduction de la publicité.

Il nous semble qu’il y a maintenant suffisamment de rapports, sans compter ceux, nombreux, des associations, et qu’il est temps de réellement encadrer la publicité pour qu’elle ne s’impose plus à nous sans consentement et qu’elle cesse d’être la boussole qui indique la mauvaise direction en matière écologique et sociale. Malheureusement, le fait qu’il ait fuité et qu’il ne soit pas encore publié de manière officielle ne paraît pas être un bon signe pour la suite…

Notes

1 Six de l’Inspection générale des finances, trois de l’environnement et du développement durable et deux des affaires culturelles.

2 En comptant la liste des personnes rencontrées et la lettre de mission envoyée par Gabriel Attal, le total des annexes est de huit.

3 L’annexe 1 revient sur les réglementations du secteur publicitaire, la deuxième analyse le système d’autorégulation, la troisième compare la pression publicitaire de différents secteurs avec leur empreinte environnementale, la quatrième étudie la publicité en ligne, la cinquième étudie les données disponibles, et la sixième fait une revue des travaux académiques sur les impact des communications commerciales sur les consommateurices.

4 Le rapport rappelle en effet que le site du Jury de déontologie publicitaire ne reçoit que 50 000 visites par an, quand une campagne de publicité peut être vues des millions de fois en une seule semaine.

5 L’expression « société civile » apparaît 98 fois dans le rapport de 108 pages.
Notons d’ailleurs que Stéphane Martin, le directeur général de l’ARPP, a répété ces contre-vérités, sous serment, en commission à l’Assemblée nationale en février 2024. Voir : https://videos.assemblee-nationale.fr/vod.php?media=14663727_65cdde6e58ca0&name=%22Autorisations+de+diffusion+sur+la+TNT+%3A++Table+ronde+sur+les+communications+commerciales%22+du+15+f%C3%A9vrier+2024

6 Lien vers le Conseil d’administration de l’ARPP : https://www.arpp.org/qui-sommes-nous/conseil-administration/
Lien vers le Conseil d’administration du CPP : https://www.cpp-pub.org/qui-sommes-nous/composition-du-cpp/

7 Consulter à ce sujet les parties sur l’autorégulation dans nos différents rapports :
Pour une loi Évin Climat : interdire la publicité des industries fossiles, juin 2020 ;
Le sexisme dans la publicité française, janvier 2021 ;
Le sexisme dans la publicité française – Deuxième rapport, décembre 2023 ;
Stop à la Pub Automobile – La voiture à l’assaut de notre imaginaire, octobre 2024.

9 Le dispositif ne s’applique qu’aux annonceurs dont les biens et services sont soumis, soit à un affichage environnemental, une étiquette énergie ou une étiquette CO2.

12 Par exemple, la mission propose d’imposer de passer de 45 % à 25 % de publicités pour les SUV par les constructeurs automobiles, ce qui nous paraît encore très favorable à la promotion d’une mobilité non « durable ».

13 Lors de la dernière à laquelle nous avons assisté en présentiel, seules deux personnes de l’ARPP étaient présentes, avec quelques professionnel·les en visio-conférence.

14 C’est bien une mention légale et non le slogan d’EDF, comme on le pense souvent ; voir : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000002284644

15 Voir le rapport de l’association Addictions France, « La loi Évin : 30 ans d’offensives du lobby alcoolier », janvier 2021.

16 Comme le montrait notamment le documentaire « Media Crash » de Valentine Oberti et Luc Hermann (Premières lignes), disponible sur Médiapart.

19 La distinction entre publicité et journalisme, Conseil de déontologie journalistique, décembre 2010.

20 Proposition n° 12 : « Rendre le marché de l’intermédiation publicitaire en ligne plus concurrentiel pour permettre un partage de la valeur ».

22 Le HCC propose de « Poursuivre les actions pour encadrer la publicité afin que n’y soient pas promus des modes de consommation carbonés incompatibles avec la Stratégie nationale bas-carbone ».

23 RTE propose de diminuer les écrans numériques publicitaires, tant pour l’impact sur les consommations énergétiques directement associées que pour limiter les incitations à consommer au sens large.