10 jours de pub TV par an, pas assez pour le gouvernement ?

Le gouvernement s’organise pour déréguler par décret la publicité à la télévision. Obligé à une consultation publique qui vient de terminer, l’association Résistance à l’Agression Publicitaire (R.A.P.) a accepté de jouer le jeu, tout en dénonçant une initiative à sens unique sans autre vision politique pour le rôle de l’audiovisuel en France que d’être une caisse de résonance pour les industriels annonceurs.

L’arrivée de la publicité ciblée à la télévision serait le début d’une nouvelle ère de la surveillance publicitaire

La consultation publique du Ministère de la culture autour de l’assouplissement des règles encadrant la publicité à la télévision s’est terminée ce vendredi 13 octobre. Résistance à l’Agression Publicitaire a apporté ses analyses et les études qui les soutiennent. L’association restera vigilante sur la prise en compte de ses apports par la Direction Générale des Médias et Industrie Culturelles du Ministère de la culture, le seul qui a vocation à suivre les questions sociales liées à la publicité commerciale, et donc de prendre en compte l’impact de la publicité sur l’offre culturelle, l’indépendance des médias d’information ou encore les effets sociaux potentiellement nocifs sur les citoyens et les populations vulnérables.

Pour autant, R.A.P. dénonce cette initiative du gouvernement qui in fine vise explicitement à augmenter la quantité de publicité à la télévision et à la rendre plus intrusive. De nombreux reculs sont envisagés, en particulier l’introduction de la publicité ciblée par la voie télévisée, qui consiste tout simplement à permettre aux annonceurs d’ajuster les publicités aux téléspectateurs dont ils auraient ainsi les données personnelles, comme c’est déjà les cas pour les internautes.

D’autres reculs majeurs sont envisagés comme l’introduction de la publicité dans les journaux télévisés, ou l’introduction de la publicité à l’intérieur des programmes pour enfants, quelques mois à peine après le vote de la loi de suppression de la publicité dans les programmes jeunesse de l’audiovisuel public.

Lien vers le document de la consultation publique

Notre Réponse

Paris, le 13 octobre 2017

Préambule

L’association Résistance à l’Agression Publicitaire, dont l’objet social est de « lutter contre les effets négatifs, directs et indirects, de la publicité sur l’environnement et la société » accueille positivement cette consultation publique sur le cadre normatif lié à la publicité audiovisuelle, dans la mesure où il nous parait important que la société civile puisse se saisir de ces enjeux. 

Nous nous inquiétons cependant que cette consultation se positionne en amont de l’analyse des résultats dans une volonté politique d’ « assouplir » ces règles. Compte tenu de la pression déjà importante en France de la publicité audiovisuelle et de son influence sur les valeurs, les attitudes et les comportements des citoyens, un assouplissement pourrait renforcer les problématiques sociales et culturelles liées à l’omniprésence de la publicité commerciale, maintenant largement documentées.

Par ailleurs, l’influence de la publicité sur les médias de divertissement ou d’utilité publique constitue un enjeu qui appelle aujourd’hui plus de régulation par les pouvoirs publics, comme l’indique le rapport du Conseil des droits de l’homme, publié le 8 août 2014 et présenté à l’Assemblée Générale des Nations Unies le 28 octobre 2014 :

« La presse et l’audiovisuel sont de plus en plus tributaires de leurs recettes publicitaires et le secteur de la publicité fait lui aussi l’objet d’une concentration de plus en plus prononcée. Ils sont quelques groupes à disposer d’un énorme pouvoir de négociation pour s’attribuer les espaces publicitaires, en préférant les médias qui servent le mieux les intérêts de leurs clients, c’est à dire ceux qui n’en donnent pas une image négative et qui encouragent la consommation de leurs produits ou de leurs services. Les journalistes et les propriétaires des médias ont donc tendance à s’autocensurer largement avec des sensibles conséquences sur les contenus éditoriaux et les  programmes culturels » [ p10 du rapport] 

Ce panorama décrit effectivement la situation du marché français des médias et de la publicité, où il faut noter que 550 grandes entreprises détiennent 80% du marché publicitaire (chiffre tiré du rapport de l’Union des Annonceurs)

1. Secteurs interdits de publicité

Question n°1 : Si vous aviez contribué à cette consultation, maintenez-vous les termes de votre réponse aujourd’hui ? Si vous ne vous étiez pas exprimé, vous paraît-il pertinent d’assouplir ce dispositif et si oui, selon quelles modalités qui soient de nature à protéger la diversité culturelle et le pluralisme des médias ?

En cohérence avec le propos préliminaire (préambule), nous considérons qu’assouplir les secteurs interdits de publicité à la télévision n’est pas pertinent.

Concernant la distribution, il s’agit du secteur dont les dépenses publicitaires sont les plus importantes, noyant déjà, de fait, les petits commerces dans une marée publicitaire. Autoriser la publicité pour les opérations commerciales de promotion à la télévision serait une mesure qui aggraverait encore cette situation qui favorise les plus gros acteurs au détriment des plus petits, comme indiqué en préambule.

Concernant la littérature et le cinéma, nous nous inquiétons de la situation actuelle qui permet déjà aux productions aux plus gros budgets de rendre invisibles des œuvres culturelles de moins grande ampleur financière. Autoriser la publicité pour ces secteurs serait donc une grave entorse pour la diversité culturelle, mettant en avant des grosses productions au détriment des plus petites.

Concernant le pluralisme des médias, la présence de la publicité est un facteur d’homogénéisation des programmes, les chaînes qui vivent exclusivement de la publicité ayant tendance à programmer des émissions propices à rendre disponibles les cerveaux aux messages commerciaux. Comme le rappelle le rapport de l’ONU précité [page 21] « Pour attirer les publicitaires, les chaînes doivent capter l’attention des publics ciblés par les entreprises commerciales. Des études ont montré l’influence de la publicité sur le contenu des émissions, certaines chaînes ne proposant aucune émission aux groupes cibles ayant un faible pouvoir d’achat« . Assouplir les règles de diffusion de publicité ne ferait qu’aggraver la situation en termes de diversité des programmes.

2. Publicité segmentée

Question n° 2 : Quelles observations cette proposition d’évolution appelle-t-elle de votre part ? Quelle est votre analyse de l’impact sur cette nouvelle technique communication publicitaire du projet de règlement européen e-privacy 3 en cours négociation qui propose un encadrement des traceurs et qui pourrait entrer vigueur le 25 mai 2018 ?

Tout assouplissement de l’obligation de diffusion simultanée des messages publicitaires correspond à l’introduction de la publicité ciblée à la télévision. L’expérience de la publicité ciblée qui s’est développée de manière exponentielle en quelques années sur Internet et maintenant avec les objets connectés indique que celle-ci soulève systématiquement des problèmes d’atteintes à la vie privée. L’introduire à la télévision consisterait en un déploiement encore plus important du marché des données personnelles qui pose d’ores et déjà de grandes difficultés de régulation.

Comme l’indique le rapport des Nations Unies précité : « on prétend souvent que le consommateur renonce à sa vie privée et consent à devenir la cible de messages publicitaires, en particulier dans la sphère numérique, pour pouvoir obtenir des produits et des services à des prix plus avantageux. La rapporteuse spéciale note toutefois que dans bien des cas, consommateurs et citoyens ne sont pas pleinement conscients que leur vie privée est en train d’être violée, ni dans quelle mesure elle l’est, et de ce que cela implique sur le plan de leur liberté de pensée et d’opinion. » [page 9]

Nous déplorons que la question du recueil du consentement ne soit pas abordée dans le projet de décret, de même qu’il est insuffisamment protégé dans le cadre de la directive e-privacy, comme l’indique notamment l’association spécialiste du sujet, La Quadrature Du Net.

Nous soulignons de plus qu’au delà du monde numérique, la vie privée des citoyens est de plus en plus menacée dans l’espace public, avec les capteurs d’audience et de fréquentation qui essaiment un peu partout. Nous trouvons préoccupant d’ouvrir cette boîte de Pandore à la télévision, compte tenu du fait qu’il s’agirait ici d’une étape décisive, et que les quelques restrictions accompagnant le décret seront d’autant plus faciles à éliminer. 

Enfin, nous considérons évidemment que le maintien des restrictions pour la publicité locale et concernant les émissions pour enfants doivent être maintenues.

3. Durées maximales autorisées de diffusion de messages publicitaires

Question n° 3 : Estimez-vous que les plafonds actuels doivent être relevés et dans quelle mesure, compte notamment tenu de la nécessaire traduction réglementaire de la jurisprudence « Sanoma » ?

La pression publicitaire générale – tous supports confondus – est en augmentation constante depuis plusieurs décennies, comme l’indiquait l’étude du cabinet de marketing Yankelovich, qui chiffrait à 2000 le nombre de messages quotidiens reçus par une personne vivant en agglomération il y a 40 ans, contre 5000 en 2007.

Il est évident qu’avec l’explosion de messages publicitaires dans le monde numérique durant la dernière décennie, ce chiffre a encore fortement augmenté, si bien que l’on parle aujourd’hui d’une saturation de la capacité d’attention, comme le montre l’étude de Microsoft Canada en 2015.

Or, la consommation des médias et notamment de la télévision, qui reste, malgré la montée du numérique, le média dominant, joue un rôle majeur dans ce phénomène.  Les plafonds actuels en France sont incontestablement déjà très élevés. À raison de 12 minutes de publicité par heure et 3h30 de télévision en moyenne par jour, le téléspectateur subit 42 minutes de réclame quotidiennement, ce qui donne plus de 10 jours complets par an.

Augmenter encore la pression publicitaire audiovisuelle, en connaissance de cause, ne peut qu’indiquer que les enjeux économiques de l’économie des médias sont évalués sans considération de son rôle dans la société et de son impact sur les individus.

4. Interruption publicitaire des programmes autres que des œuvres

Question n° 4 : Dans les limites fixées par la directive, êtes-vous favorable à un assouplissement de ces dispositions ?

Nous sommes défavorables à l’assouplissement des dispositions existantes, y compris dans les limites fixées par la directive SMA qui vont à rebours des nouvelles politiques mise en œuvre pour la protection des enfants, et de la protection de l’indépendance des médias d’information d’utilité publique, nécessaire à toute société démocratique.

Concernant l’exposition des enfants

À l’heure où la loi relative à la « suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de l’audiovisuel public » entre en application, l’introduction de coupures dans les programmes pour enfants de plus de 30 minutes serait un non-sens politique et enverrait un signal désastreux aux citoyens qui ont accueilli très favorablement la nouvelle de cette loi en décembre 2016.

Selon le rapport de l’ONU « de nombreuses études effectuées à la demande des gouvernements ou de groupes de la société civile montrent que la publicité commerciale est facteur d’angoisse pour les enfants, qu’elle aggrave les inégalités et influence la formation de leur identité en tant que garçon et filles ». [page 10]

Des enjeux de santé sont également à prendre en compte : il est acquis que les enfants de moins de sept ans ne distinguent pas la publicité du reste des programmes. Or la publicité télévisée à destination des enfants concerne majoritairement des produits trop gras et trop sucrés. Une étude UFC-Que Choisir montre que 80 % des spots portaient sur de tels produits en 2010. Un sondage de septembre 2016 faisait en outre apparaître que 87 % des sondés se disaient favorables à l’interdiction de la publicité à destination des enfants sur les chaînes de la télévision publique, montrant ainsi que la préoccupation des parents est forte sur ce thème.

La France doit montrer l’exemple en matière de protection des enfants des flux d’information commerciale. Certains pays interdisent la publicité télévisée à destination des enfants (Belgique, Danemark, ou l’Espagne) et le Québec va même jusqu’à interdire la publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans quels que soient les supports et les moyens utilisés. Il serait dommageable que la France aille à ce point à rebours du sens de l’histoire et privilégie l’industrie agro-alimentaire au détriment de la santé des enfants.

Concernant les journaux télévisés

Comme indiqué par le rapport des Nations Unies « Les journalistes et les propriétaires des médias ont donc tendance à s’autocensurer largement avec des sensibles conséquences sur les contenus éditoriaux » [p. 10] Le rôle du financement publicitaire sur le traitement de l’actualité par les rédactions et les journalistes apparaît à travers l’arrêt de financements publicitaires en réponses à des articles compromettant des annonceurs. Les quelques exemples suivants, dans la presse, donnent le ton :

  • Selon un extrait de courriel publié par le Canard Enchaîné, l’agence MediaCom en charge de la publicité de Volkswagen aurait tout simplement demandé aux médias français de ne rien publier sur le scandale des émissions Diesel les 6, 8 et 10 octobre 2015, date de lancement d’une série automobile par le constructeur. (source)

  • En novembre 2011, c’est le quotidien économique La Tribune qui se voyait retirer ses financements publicitaires par EDF à la suite d’un article critique de l’EPR de Flammanville. (source)

  • Fin 2012, c’était le groupe LVMH qui privait Libération de 700 000 euros de recettes publicitaire pour sa une critiquant Bernard Arnault (source)

  • Le milieu financier est également impliqué, révélé ici par un exemple récent en Angleterre : l’éditorialiste Peter Oborne démissionnait avec fracas du Daily Telegraph, accusant le quotidien britannique d’avoir sous-couvert les révélations du SwissLeaks. Deux ans auparavant, la même banque HSBC avait retiré au Daily Telegraph des financements publicitaires à la suite de son enquête sur une filiale du groupe bancaire à Jersey.

Or ce type de faits ne représente naturellement que la partie émergée de l’iceberg, et les témoignages et confidences des journalistes indiquent que l’essentiel de l’influence des annonceurs sur les lignes éditoriales opère en amont de la publication, à travers la diplomatie des agences de communication sur les régies média, l’autocensure directe des journalistes et des rédactions. Les chaînes de télévision sont naturellement tout aussi exposées – voire plus lorsqu’elles sont entièrement financées par la publicité – que les supports de presse.

De fait, en juin 2015, Nicolas de Tavernost assumait le fait qu’on ne puisse dire « du mal » de ses clients, les annonceurs, sur M6 (source).

La présence de tunnels publicitaires avant et après les journaux est donc déjà un facteur mettant en péril l’indépendance des chaînes vis-à-vis des acteurs économiques, et par conséquent un facteur de déstabilisation de l’activité d’information qui doit être protégée. Autoriser une coupure publicitaire dans les journaux télévisés constituerait ainsi une augmentation du risque et serait un grave recul pour notre démocratie. Nous considérons que les journaux télévisés devraient être des programmes sanctuarisés. A minima, ils devraient être mieux protégés en interdisant les coupures publicitaires 30 minutes avant et 30 minutes après.

5. Troisième coupure publicitaire des œuvres

Question n° 5 : Estimez-vous opportun d’assouplir cette réglementation et dans quelle mesure ? Durée de l’interruption ; troisième coupure (œuvres cinématographiques ; téléfilms unitaires d’une durée d’au moins 90 minutes ; séries, feuilletons et documentaires sans considération de leur durée) ; voire alignement sur le minimum prévu par la directive SMA ?

Comme indiqué en question 3, toute mesure participant à l’augmentation de la pression publicitaire générale nous parait ignorer les enjeux sociaux et politiques que posent l’omniprésence publicitaire actuelle.

Dans le cas spécifique des œuvres culturelles et artistiques, les coupures publicitaires peuvent être considérées comme une altération des œuvres cinématographiques. Par respect pour ces œuvres, il conviendrait d’interdire toute coupure publicitaire, plutôt que d’en autoriser une troisième, moins de 10 ans après l’autorisation d’une deuxième.

6. Télé-achat

Question n° 6.1 : Souhaitez-vous un assouplissement des conditions de diffusion des émissions de télé-achat ?

Les programmes de télé-achat sont déjà, en soi, des programmes publicitaires qu’il conviendrait d’encadrer de manière plus restrictive. Il faudrait donc a minima maintenir les restrictions actuelles, et envisager des conditions de diffusion plus drastiques.

Question n° 6.2 : Estimez-vous opportun d’autoriser cette pratique ?

Ne se prononce pas.

7. Autres observations

Question n° 7 : Outre les réponses aux questions qui précèdent, souhaitez-vous formuler d’autres observations ou propositions ?

A l’heure actuelle de saturation des messages commerciaux dans la société de l’information, nous considérons qu’introduire des espaces supplémentaires de communication à la télévision pourrait être envisagé si ces messages avaient vocation à équilibrer la qualité des flux d’information, en contre-balançant les contenus promotionnel et commerciaux par des contenus et messages à but non lucratif, issus d’associations d’intérêt général, et plus généralement du secteur non marchand.

C’est en tout cas une recommandation explicitement soulevée par le rapport de l’ONU:

« Il faut toutefois se demander si les acteurs qui n’appartiennent pas au monde de l’entreprise ont accès, ou devraient avoir accès, aux espaces publicitaires pour faire contrepoids aux vues diffusées par le monde des affaires, qui tournent largement autour de l’incitation à la consommation de services ou de produits (pour l’essentiel manufacturés), et sous quelle forme et dans quelle mesure. Les valeurs, les visions du monde et les aspirations incarnées dans la publicité à but commercial ne sont pas neutres, et surtout pas celles véhiculées par les grandes entreprises. » [page 38]

Naturellement, un tel dispositif pour les messages d’organisations à but non lucratif ne pourrait être financé par ces seules associations et reposerait sur un un soutien financier qu’il revient au pouvoir politique d’élaborer en concertation avec la société civile et les autres parties prenantes.