En pleine crise climatique, les publicités incitent à la consommation incessante de biens et services polluants; à l’origine d’une hausse des émissions de gaz à effet de serre, tout en entretenant un modèle de société qui nous mène droit dans le mur. Il est grand temps de les interdire !
Contexte
À ce jour, les secteurs à l’empreinte climatique élevée et leurs diffuseurs persistent à normaliser, par la publicité, des comportements très polluants tout en invisibilisant les alternatives existantes. Pire encore, certaines entreprises utilisent la publicité pour verdir leur image alors qu’elles ne comptent absolument pas remettre en question leur modèle économique mortifère.
Cette situation est incompatible avec l’urgence écologique : selon le GIEC, ne serait-ce que pour rester sous la barre des 1,5°C, nous devrions réduire les émissions de 7% chaque année jusqu’à 2030.
En 2020, nous avons co-publié le rapport « Pour une loi Évin Climat », reprenant le nom du texte ayant interdit toute publicité pour le tabac en France; a démontré qu’une telle loi appliquée aux biens et services les plus émetteurs représenterait une mesure efficiente pour faire décroître leur consommation. Et à plus long terme, impulser un nouveau modèle de société en transformant les imaginaires collectifs. Depuis, de nombreux organismes scientifiques indépendants comme le GIEC ont cité la régulation de la publicité parmi les mesures au fort potentiel de diminution des émissions sectorielles.
Or, malgré quelques avancées, les mesures de régulation de la publicité demeurent insuffisantes. Nous devons continuer à mettre le gouvernement et les entreprises face à leurs contradictions, jusqu’à l’interdiction de la publicité pour les entreprises qui contribuent le plus au dérèglement climatique !
Problèmes
Alors que le consensus scientifique devrait pousser les gouvernements et les entreprises à accélérer la transition vers une société décarbonée, les publicités commerciales continuent de mettre en avant des produits à l’empreinte climatique très élevée.
Ainsi les secteurs les plus néfastes pour le climat sont généralement ceux qui investissent les plus grandes sommes dans la publicité. A titre d’exemple, en 2019, les investissements de publicité et de communication des secteurs automobile, aérien et énergies fossiles en France sont estimés à plus de 5,1 milliards d’euros. Rien que les SUV, qui représentent l’une des principales causes d’augmentation des émissions de C02 de la France, dominent aujourd’hui largement le paysage publicitaire automobile.
Non seulement la publicité stimule les ventes de biens climaticides, mais elle augmente aussi le niveau global de consommation : une étude de référence sur le marché américain a conclu qu’elle constitue le facteur direct d’une hausse de 6,79 % du niveau de consommation du pays sur 30 ans. En d’autres termes, la publicité entretient un cercle vicieux à l’origine d’une hausse constante des émissions de gaz à effet de serre : surexploitation des ressources, fabrication en masse, stimulation de la demande, hausse de la consommation, renouvellement rapide pour cause « d’obsolescence », etc.
Rappelons enfin que la question climatique est aussi un enjeu de santé publique. La pollution de l’air causée par l’exploitation des énergies fossiles entraîne plus de décès que le tabac, dont la publicité a été interdite en France. Il est insensé de persister à faire l’apanage d’activités aux conséquences si dramatiques !
Au-delà de l’impact des activités promues, les publicités mentionnées rendent nos imaginaires captifs, conditionnés par le mirage de la croissance, basée sur la hausse perpétuelle de la consommation.
Non seulement la publicité aliène l’individu en lui faisant miroiter la consommation de masse comme composante indispensable du bonheur, mais elle lui fait également associer des valeurs culturelles dites « extrinsèques », c’est-à-dire indépendantes de l’individu en lui-même, à l’acte d’achat. Ainsi le statut social, la symbolique de la liberté, les stéréotypes liés à la virilité et la féminité ou encore le potentiel de séduction s’illustrent par l’utilisation et l’accumulation de marchandises climaticides.
En pleine crise énergétique, le gouvernement demande par ailleurs des efforts aux citoyen·nes –notamment les plus modestes- pour atteindre des objectifs de sobriété. Or, la publicité entretient des injonctions contradictoires : comment assimiler la nécessité de moins prendre la voiture, de baisser son chauffage, de faire attention aux vêtements que l’on achète lorsque partout, sont vantés les « bienfaits » des SUV, des week-ends à Dubaï, de la fast-fashion ?
En plus de générer de la frustration et du mal-être, cette incohérence contribue à rendre confus les enjeux réels du dérèglement climatique et retarde la réflexion vers la construction d’autres modèles de société(s) post-croissante(s).
Les techniques d’influence utilisées par les entreprises polluantes à travers la publicité visent à déplacer la responsabilité des émissions sur l’individu, plutôt que de l’inscrire dans le cadre d’actions politiques collectives. C’est d’ailleurs pourquoi la publicité s’adresse directement à notre personne, souvent à l’impératif.
Face à cela les mentions légales, telles que le hashtag #SeDéplacerMoinsPolluer sur les publicités pour voitures, apparaissent dépourvues d’utilité de par leur format en retrait et leur contenu trop généraliste (voire totalement contradictoire puisque le produit vanté est toujours présenté comme un besoin fondamental).
Un autre tactique à laquelle les grands pollueurs excellent, est la construction de leur réputation par des discours d’écoblanchiment. En effet, « l’image de marque » est aujourd’hui un actif intangible extrêmement précieux pour une enseigne. La publicité est ainsi un outil de renforcement positif de son image, parfois plus qu’un outil de vente d’un bien spécifique. Des chercheurs·ses ont par exemple démontré que la simple présence d’éléments de « nature » dans une publicité affecte positivement la perception qu’a son public de l'empreinte écologique de la marque annoncée. Le sponsoring culturel et sportif est aussi utilisé pour assurer l’acceptabilité sociale d’activités industrielles climaticides.
De nouveau, l’organe d’autorégulation de la publicité est un garde-fou bien trop faible au regard de l’urgence des enjeux climatiques. Sa mission étant de « préserver l’image de la publicité », il empêche l’émergence d’un droit véritablement contraignant en maintenant des « sanctions » tardives et très peu dissuasives.
Demandes
Certains biens et services sont excessivement polluants et peu nécessaires. Sont notamment concernés les secteurs des transports, de l’alimentation et du textile.
Il existe un indéniable lien de causalité entre la publicité pour un produit et ses impacts humains et environnementaux. Pour des raisons de protection de l’environnement et de la santé, il apparaît donc indispensable de mettre en place une interdiction stricte de ces publicités en se basant sur le modèle de la loi Évin pour le tabac.
Une interdiction stricte (c’est-à-dire, non partielle) est en effet plus efficace pour faire baisser la demande en biens et services climaticides. Aussi des interdictions de publicités pour la voiture, les déplacements en avion, les produits fonctionnant aux énergies fossiles, le textile neuf, l’alimentation agro-industrielle... feraient baisser leur consommation et ainsi les émissions de gaz à effet de serre.
Malgré les incitations de la société civile, le système d’autorégulation de la publicité ne fonctionne pas et avance à un rythme trop long. Aussi, nous demandons la création d’une autorité indépendante et publique de contrôle de la publicité.
Face à l’écoblanchiment institutionnalisé, l’existence d’une autorité dont l’objectif n’est pas de préserver l’image de la publicité mais bien de protéger les consommateur·ices, aurait un effet plus dissuasif envers les entreprises qui seraient moins tentées de nous faire croire que certains produits sont « écologiques ».
Cela réduirait aussi le recours par les particuliers et les associations, à des procédures juridiques, qui, bien que souvent efficaces pour faire reconnaître l’aspect trompeur d’une publicité, demeurent un processus long et coûteux.