L’autorégulation de la pub, ça marche… selon l’organe d’autorégulation de la pub

En ce début août, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a publié son premier rapport destiné aux parlementaires. Prévu par l’article 14 de la loi « climat et résilience », ce rapport est censé faire état des dispositifs d’autorégulation existants et présenter le bilan des actions de l’ARPP. Or si cette dernière fait bien un bilan de ses actions, l’organisme d’autorégulation en profite pour faire passer des messages politiques aux parlementaires.

Rappelons de prime abord que l’ARPP n’a d’autorité que le nom. C’est en effet une simple association loi 1901 à laquelle l’adhésion des professionnel·les n’est pas obligatoire. Ainsi, par exemple, le deuxième plus gros afficheur en France, Clear Channel, n’est pas adhérent de cette association. L’afficheur peut donc estimer que les recommandations édictées par l’ARPP ne s’appliquent pas à lui et diffuser des campagnes problématiques sans limite. Par exemple, une campagne éminemment sexiste, jugée comme telle à plusieurs reprises par le Jury de déontologie publicitaire1 (JDP), trois ans après l’avis dudit JDP…

Rappelons aussi que, jusque très récemment, dans sa page de présentation, l’association se donnait pour mission de « préserver l’image de la publicité auprès des consommateurs et d’aider la profession à se prémunir contre un renforcement de l’encadrement législatif par de bonnes pratiques déontologiques »2. Tenter de « prémunir la profession d’un renforcement de l’encadrement législatif », c’est ce que va faire ce rapport de l’ARPP, qui montre ici son rôle de lobby plutôt que celui d’une institution vouée au bien commun.

L’autorégulation s’auto-congratule

Le rapport est introduit par une note rédigée par son président, François d’Aubert, et son directeur général, Stéphane Martin, intitulée « L’autorégulation se révèle plus efficiente que le droit dur ». Pour pouvoir affirmer cela, il aurait fallu pouvoir comparer l’autorégulation avec du droit dur, or ce denier n’existe que peu en matière de contenus publicitaires. La note introductive affirme que « [L’] efficacité [de la régulation professionnelle] a été mesurée et évaluée par des rapports divers, y compris de personnalités et d’organisations indépendantes. » Aucune source vers ces études n’est donnée. Il suffit de l’affirmer, c’est la marque de fabrique du secteur publicitaire !

D’autres affirmations sont problématiques :

« La rapidité du traitement des plaintes, sa capacité à délivrer des conseils (souvent en quelques heures) confèrent à l’Autorité un levier très fort pour inciter les professionnels à respecter les règles de déontologie. C’est la puissance de l’autorégulation. » (p. 40)

Sur la rapidité de traitement des plaintes, nous nous demandons en quoi elle pourrait démontrer la puissance de l’autorégulation. En effet, l’ARPP annonce dans ce rapport un traitement en 34 jours en moyenne pour les plaintes reçues par le JDP, tandis que la publication de l’avis sur le site du JDP a généralement lieu un mois plus tard, soit environ deux mois après la plainte. Sachant en outre qu’une campagne publicitaire dure majoritairement une semaine, parfois deux, et très rarement plus, l’avis du JDP est toujours pris et publié bien après la fin de la campagne, quand la publicité problématique a déjà été vue des millions de fois.

« Les règles sont acceptées par l’ensemble de l’interprofession. Lorsqu’un acteur s’en affranchit, il est donc sanctionné par ses pairs, ce qui confère à la sanction une force toute particulière. Le fait que la sanction soit rendue publique, entraîne un coût d’image important, or la marque est un actif incontournable et stratégique de l’entreprise. » (p. 40)

Il suffirait donc d’une « sanction par les pairs » pour que le secteur se corrige par lui-même. Rappelons ici le système de sanction du JDP en cas de manquement aux règles déontologiques :

  • pour les cas les moins graves : publication de l’avis sur le site du JDP ;

  • pour les cas un peu plus graves : communiqué de presse de l’ARPP ;

  • éventuellement : encart dans la presse spécialisée (Stratégies, CB News…) ;

  • pour les cas les plus graves : faire cesser la campagne de publicité.

Hormis quelques très rares exemples de cessation de campagne, à notre connaissance, seule la publication de l’avis3, prévue pour tous les cas et donc systématique, a été appliquée. Si communiqué de presse il y a eu, les articles en faisant état sont passés sous nos radars, et nous n’avons jamais vu un seul encart dans la presse spécialisée. Et ce, même lorsque Thierry Libaert, dont le rapport est pourtant cité favorablement dans celui de l’ARPP, le demandait lors d’une plainte qu’il avait émise au JDP. Ce dernier refusa, malgré la demande de faire appliquer le règlement intérieur de l’organisme.

Pour comparer, le site du JDP est consulté par moins de 100 000 personnes4 par an. Une campagne publicitaire peut être vue plusieurs fois par des millions de personnes en une seule semaine. Selon l’ARPP, le risque de réputation serait tel que les annonceurs et les publicitaires n’oseraient pas braver ses recommandations, tant la pression serait intense à ce sujet dans le secteur. Or, même si l’avis était publié dans la presse spécialisée, et il ne l’est jamais, il ne toucherait que les professionnel·les du secteur et pas les millions de personnes qui ont été désinformées par le message.

Et si le fait de nommer et porter atteinte à la réputation d’une entreprise (le « name and shame » vanté par l’ARPP) était efficace, personne n’irait dans certaines enseignes de restauration rapide, ne boirait d’eau minérale ou de sodas dans des bouteilles en plastique, tout le monde aurait boycotté les constructeurs automobile épinglés dans le « dieselgate », les gens ne commanderaient plus en ligne sur des sites qui évitent l’impôt… Il y a tant d’exemples où, même si une partie importante de la population connaît les méfaits d’une entreprise, elle continue d’utiliser ses biens et services. Si le risque réputationnel existe bel et bien, même s’il est plus ou moins maîtrisable, ce ne sont pas les 100 000 visiteurs et visiteuses par an du site du JDP qui vont faire peur à un annonceur qui souhaiterait communiquer « hors de la boîte » (out of the box, comme on dit dans le milieu) et s’affranchir des recommandations somme toute assez permissives de l’ARPP. Certaines marques récidivistes semblent en attester.

« Il apparaît évident qu’il est plus pratique et, surtout, rapide et efficace de faire modifier ou cesser une publicité qui ne serait pas conforme à une règle déontologique contenu (sic) dans le Code de l’ARPP des Recommandations de la publicité en mettant en marche le dispositif d’autorégulation qu’en intentant un procès au tribunal. » (p. 40)

Si nous voyons bien qu’il est plus pratique pour le secteur d’avoir un système d’autorégulation, son efficacité reste à démontrer. L’ARPP semble ici affirmer qu’elle ferait parfois cesser des campagnes publicitaires. À notre connaissance, en 14 ans d’existence sous ce nom5, l’ARPP n’a interrompu que deux campagnes alors en cours. L’une, celle d’une ONG qui lutte contre le tabagisme, et l’autre, celle d’un film. Il n’y a eu en revanche aucune cessation de campagnes d’automobiles qui se vendaient comme « zéro émission » (y compris à la télévision où les contrôles sont censés être systématiques et établis avant diffusion), ni de campagnes qui appelaient à renouveler prématurément son ordinateur (« C’est les soldes »), ni de campagnes ouvertement sexistes (« C’est de l’humour »).

Alors certes, un procès au tribunal interviendrait effectivement après coup6, comme pour les avis du JDP, mais l’expérience, comme on aime dire en marketing, d’une condamnation pénale serait bien plus dissuasive que ce risque réputationnel tout relatif que constitue l’autorégulation.

Et cerise sur le gâteau, avec le droit dur le principe du name and shame, si cher à l’ARPP, serait bien respecté et sans le « droit à l’oubli » prévu par le JDP, au bout de trois ans.

L’ARPP est injustement caricaturée et critiquée

À plusieurs reprises dans le rapport, l’ARPP indique qu’elle est soumise à des critiques et des caricatures. L’organisme ne cite ni les critiques, ni les caricatures, ni les personnes qui les émettent. Elle les juge cependant injustes et infondées.

« Notre fonctionnement reste assez méconnu, parfois victime de caricatures injustes et infondées » (p. 6)

« Trop souvent le secteur de la publicité est l’objet d’accusations ou d’attaques, injustes et infondées. Il est désigné comme le bouc-émissaire « pratique » des maux de notre société. » (p. 50)

« L’ARPP a constaté que, sur de nombreux sujets, le débat public est de plus en plus traversé de radicalités. Celles-ci s’expriment avec force, souvent sans preuve, parfois dans une volonté délibérée de semer le trouble dans les esprits. L’une des caractéristiques de ces radicalités s’identifie dans le développement des « Fake News » (fausses informations) sur les réseaux sociaux, les supports d’information et qui sont considérées par certains acteurs au même niveau que les informations vérifiées. » (p. 50)

Lorsque l’on veut s’attaquer à la surconsommation et ses méfaits divers, s’intéresser à la publicité et proposer d’interdire certaines pratiques, donc passer par le droit dur, est un levier important pour parvenir à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, les pollutions trop nombreuses ainsi que la perte du vivant. C’est en tout cas ce que suggèrent fortement des institutions comme la Convention citoyenne pour le climat (CCC), le Groupe d’expert·es intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le Haut Conseil pour le Climat7 (HCC), ou encore ces « désinformateur·ices » (?) du Gestionnaire du réseau de transport d’électricité8 (RTE). Si c’est cela que l’ARPP appelle des « radicalités fortes », alors oui, il faut être radical·e !

La publicité n’est certes pas seule responsable de la situation actuelle9, mais pour un secteur qui affiche autant sa volonté d’être « responsable », il serait temps de ne plus s’apitoyer sur son sort de soi-disant « bouc-émissaire » et de commencer à assumer ses responsabilités historiques. Car on pourrait aussi voir en son sein des « radicalités fortes » qui « s’expriment avec force, souvent sans preuve, parfois dans une volonté délibérée de semer le trouble dans les esprits ».

Le fait, par exemple, d’avoir nié la nocivité du tabac et incité à sa consommation avant qu’on en interdise la publicité ; d’avoir consciemment semé le doute sur le réchauffement climatique depuis 1971 ; d’avoir imposé le modèle de plastique jetable et laissé penser que le recyclage le rend vertueux ; de faire actuellement croire qu’une automobile peut être « zéro émission », voire qu’elle pourrait « purifier l’air » ; de promettre un avion « vert » ou encore de faire croire qu’une crème anti-rides peut rendre heureux·se. La liste n’est pas exhaustive.

Toutes ces forces radicales ont été accompagnées par des agences de conseil en communication, ont bénéficié, et continuent de bénéficier du système publicitaire tel que défendu par l’ARPP : avec le moins de droit dur possible et « régulé » par les acteurs eux-mêmes, car ils seraient « responsables ». Il faudrait, selon l’ARPP, considérer les annonceurs comme délivrant des « informations vérifiées ». Mais le système publicitaire, n’étant à ce jour pas assez régulé, est plutôt la boussole qui indique le sud, tant en matière d’écologie que de sexisme ou de santé publique (malbouffe, régimes, jeux d’argent, alcool…).

Le rapport se veut néanmoins transparent : « Nous n’éludons rien dans ce rapport que nous voulons transparent à votre égard. Son chapitre final « Propositions pour un pacte de confiance renouvelé » évoque des critiques dont nous avons été l’objet et nos réponses concrètes et argumentées. » (p. 7).

Malheureusement, nous n’avons pas trouvé de « réponses concrètes et argumentées » aux critiques que nous, notre association et tant d’autres10, avons pu émettre sur le secteur publicitaire et son autorégulation, notamment en matière de sexisme ou, de santé publique ou d’écologie. En lieu et place : une totale inversion de la réalité.

De puissants lobbies asphyxieraient le secteur publicitaire, qui ne serait pas assez consulté

En effet, le rapport de l’ARPP insinue que des décisions politiques seraient prises à cause de puissants lobbies qui asphyxieraient le secteur publicitaire par des règles excessives.

« Parfois, les décideurs publics prennent des décisions sous la puissante pression de lobbies divers, qui ne révèlent leurs effets asphyxiants qu’au fil du temps, faute d’étude d’impact, faute de débat au fond, faute de nuance. » (p. 50)

Le rapport ne dit pas quels sont ces puissants lobbies qui arriveraient à faire plier le système publicitaire. Si l’ARPP pense à une association comme la notre11, c’est malheureusement loin d’être le cas dans les arbitrages politiques. Ce serait même plutôt l’inverse.

Doit-on rappeler quelques arbitrages pris lors de ces quinze dernières années ?

– En 2008, un écran numérique de 50 m² de JCDecaux était implanté dans l’emprise de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaule. Ce support publicitaire était hors agglomération et, de ce fait, interdit par le code de l’environnement de l’époque, donc illégal. Vint alors le Grenelle de l’environnement. Que fît-il ? Une dérogation pour les publicités hors agglomération, pour les écrans numériques dans l’emprise des aéroports pouvant aller jusqu’à 50 m², et pouvant être éclairés 24h/24, bénéficiant aussi d’une dérogation sur l’obligation d’extinction.

– En 2009, à la suite du rapport sur la prévention de l’obésité, la députée UMP (à présent Les Républicains) Valérie Boyer proposait de limiter la publicité pour les produits trop gras et trop sucrés à la télévision. L’industrie a répondu avant l’examen du texte par une « charte alimentaire », tuant dans l’œuf l’amendement. La députée promettait alors qu’elle reviendrait à la charge si les publicitaires ne faisaient pas leurs preuves. Il n’y eut aucune suite de sa part, malgré des résultats inexistants… En revanche, la charte alimentaire fut prise comme modèle pour les « contrats climat » de la récente loi Climat et résilience.

– En 2011, le projet de décret du Grenelle de l’environnement fut soumis à consultation publique. Il y eut plus de 7 000 réponses à celle-ci, dont le projet visait notamment à autoriser les écrans numériques – alors prévus avec une surface allant jusqu’à 2 m². Près de 90 % des contributions demandaient la réduction de l’affichage publicitaire et la plupart l’interdiction de ces écrans. Lorsque le décret parut en 2012, loin d’être interdits, les écrans numériques furent autorisés et non plus jusqu’à 2 m², mais 8.

– En 2020, la Convention citoyenne pour le climat rendait ses 149 propositions qu’Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre « sans filtre ». La CCC suggérait entre autres d’interdire la publicité pour les produits les plus polluants, à commencer par les voitures les plus émettrices de gaz à effet de serre (GES), et d’interdire les écrans numériques publicitaires. Or, s’il y a bien eu une interdiction de publicité de produits polluants, elle ne vise que les énergies fossiles, secteur qui communique fort peu. Et si une interdiction de publicité pour les véhicules émettant plus de 95g de CO2/km est bien prévue, elle n’interviendra qu’en 2028, soit deux ans avant l’interdiction européenne de leur vente. Quant aux écrans numériques, ils sont toujours là. En revanche, le secteur a obtenu que l’autorégulation soit gravée dans la loi, grâce aux « contrats climat » qui permettent aux entreprises du secteur (annonceurs, régies, médias…) de proposer des « engagements volontaires ». Ce que ne proposait absolument pas la CCC.

Nous comprenons donc difficilement cette phrase : « La régulation professionnelle de la publicité pourrait être plus systématiquement consultée avant que des textes portant de nouvelles obligations ne soient votés afin d’envisager un recours préalable aux engagements volontaires. » (p. 55)

La profession est systématiquement consultée lorsque de nouveaux textes sont en cours de rédaction. Elle est consultée et écoutée. Oser affirmer l’inverse relève de la fausse information et vise à semer le trouble dans les esprits des parlementaires à qui s’adresse ce rapport.

La publicité serait martyrisée par les mentions légales

L’ARPP revient longuement sur les nouvelles mentions légales issues de la loi d’orientation des mobilités et de la loi Climat et résilience. La première impose des messages en faveur des mobilités actives, du covoiturage ou des transports en commun dans les publicités automobiles. La seconde impose une étiquette des émissions de CO2 des voitures, sur le modèle de l’étiquette énergétique ou du nutriscore.

« À partir du 1er mars 2022, pour le secteur automobile, avec la Loi d’orientation des mobilités, deux mentions de plus sont à ajouter dans toutes les publicités des véhicules à moteur (quelle que soit la motorisation, sans distinguer les véhicules électriques des véhicules thermiques et, y compris les deux et trois roues à moteur). Le message prévu par la loi est un message de promotion des mobilités actives ou partagées (covoiturage ou autopartage) ou des transports en commun. » (p. 53)

« Ces nouvelles obligations interviennent dans un contexte de profonde crise du secteur automobile. Son industrie opère l’une des transitions les plus radicales et rapides de l’ère industrielle, en même temps qu’elle subit une baisse relative de ses ventes très marquée. En outre, l’essentiel de ses publicités est consacré aux véhicules hybrides, hybrides rechargeables et aux véhicules électriques. » (p. 53)

L’ARPP semble ici regretter que les mentions légales soient obligatoires sur toutes les publicités automobiles, y compris celles pour les véhicules électriques. Or si ces derniers émettent un peu moins de GES que les véhicules thermiques12, la voiture individuelle, même électrique, reste le moyen de transport du quotidien le plus nuisible à l’environnement. En effet, les véhicules électriques sont plus lourds, du fait de la batterie (voire pour les véhicules hybrides du fait qu’il y ait deux moteurs), donc plus polluants et émetteurs de GES à produire. Le secteur automobile fabrique des véhicules de plus en plus gros. Sans parler des aberrations que constituent les SUV, même les citadines d’aujourd’hui sont bien plus lourdes que celles d’il y a vingt ou trente ans. Or propulser 1,5 tonnes pour déplacer en moyenne 80 kg d’être humain ne peut et ne pourra jamais être une solution écologique. Si « l’énergie est notre avenir, économisons-la », il faudrait se passer au maximum de la voiture individuelle, qu’elle soit thermique, hybride ou électrique.

Sans même parler de l’énergie, si un véhicule électrique, selon la source d’énergie utilisée, émet peu de CO2-eq en phase de roulage (aucun véhicule n’est « zéro émission »), il est démontré que le freinage émet des micro-particules très polluantes. À trop regarder les seuls gaz à effet de serre, il ne faudrait pas oublier les autres « émissions ».

Aussi, la société tout-automobile est responsable de l’étalement urbain, de l’artificialisation des sols, de la prédation des ressources et de fortes pollutions tout au long de son cycle de vie, de la fabrication à la mise au rebut. Et n’oublions pas les milliers de personnes tuées ou blessées chaque année à cause de cette mobilité.

Au regard de cette situation, les mentions qui imposent de valoriser d’autres types de mobilités paraissent une mesure bien timide, tant le secteur automobile déroule sa propagande à longueur de journée. Rappelons qu’il a longtemps été le 1er ou 2e secteur qui dépensait le plus en publicité chaque année et que malgré une nette baisse en 2021, il reste bien placé dans le classement de plus importants annonceurs13.

« Plus largement, les mentions obligatoires sont aujourd’hui trop nombreuses dans la publicité et elles sont devenues inopérantes. La France bat un record dans le nombre de mentions rendues obligatoires dans les publicités et, dans une même publicité. » (p. 54)

Sur ce point, nous rejoignons l’ARPP : les mentions légales type « manger bouger » ou « covoiturez » sont inopérantes, voire contre-productives. Malheureusement, le lobby publicitaire est si réticent à accepter la moindre mesure contraignante qu’elles sont quasiment le seul type de dispositif que les politiques osent avancer et voter. En conséquence, si la France bat un record de nombre de mentions obligatoires, c’est bien parce que les publicitaires s’opposent à toute autre contrainte. Ce qui ne les empêchent manifestement pas de s’en plaindre pour autant…

« Le paradoxe est de ne pas prévoir cette simplification des mentions avant d’en ajouter de nouvelles qui, de plus, ne seraient pas synthétiques comme le prévoit la loi, mais du fait de leur format, de leur volume ou de leur longueur, impacte encore plus les messages publicitaires et donc leur intelligibilité pour les consommateurs, produisant in fine l’effet inverse de celui recherché, à savoir son information. » (p.54)

Sur le score carbone obligatoire, notre lecture est que celui qui est imposé est très en faveur du secteur automobile. D’une part il autorise les véhicules électriques à afficher des émissions de 0g de CO2/km14, puisque ce n’est pas l’analyse du cycle de vie qui est prise en compte, mais la simple phase de roulage, et ce, alors qu’aucune énergie ne permet le « zéro émission », de l’avis même du JDP. D’autre part, le score carbone évalue les automobiles entre elles. Ainsi, une automobile thermique qui émet 120 g de CO2/km sera classée « B », ce qui envoie un signal positif pour les personnes qui lisent l’étiquette. Or un tel véhicule, à raison de 50 km par jour, émettra en un an deux tonnes de CO2eq.

Deux tonnes de CO2eq par an, c’est l’objectif d’émissions moyennes par habitant·e qu’il faudrait atteindre le plus rapidement possible pour respecter l’Accord de Paris, toutes activités comprises. Pour respecter ce seuil, une personne qui utiliserait ainsi ce véhicule ne pourrait donc plus rien faire d’autre (manger, se vêtir, se chauffer en hiver…).

Si l’objectif recherché était bien l’information, comme le suggère l’ARPP, il faudrait donc d’une part prévoir une étiquette de score carbone qui prenne en compte l’analyse du cycle de vie, et non la seule phase de roulage, et d’autre part, comparer l’automobile avec les autres types de mobilité (actives – marche, vélo – et transports en commun notamment). Avec une étiquette de ce type, aucun véhicule individuel, même électrique, ne pourrait avoir une note supérieure à F ou G, ce qui serait bien plus informatif et représentatif du poids que l’automobile fait peser sur notre empreinte écologique.

« Les nouvelles mentions obligatoires apparaissent décalées avec la situation d’un secteur essentiel pour l’économie et pèseront sur l’efficacité des messages destinés à acculturer nos concitoyens à l’achat de véhicules électriques. » (p. 53)

Nous estimons qu’il ne faut pas « acculturer nos concitoyens à l’achat de véhicules électriques » mais bien décoloniser nos imaginaires de l’automobile qui serait, selon les publicités, synonyme de liberté, de séduction ou de prestige social. Le plus simple serait plutôt d’interdire purement et simplement la publicité pour la voiture individuelle, tant ce secteur est responsable en grande partie de la situation écologique dramatique que nous connaissons.

Changer le système publicitaire pour conserver une planète habitable

Pour conclure, à l’inverse de ce que semble penser l’ARPP, nous n’affirmons pas que la publicité telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui est le seul « bouc-émissaire », l’unique responsable de la situation. En revanche, si transformer le système publicitaire ne mettra pas un terme à lui seul à l’effondrement du vivant, nous voyons mal comment nous pourrons conserver une planète habitable tant que nous serons soumis·es à des centaines de messages publicitaires par jour, nous invitant à prendre l’avion, acheter des voitures et renouveler nos téléphones et garde-robes le plus souvent possible ; à faire des paris sportifs pour gagner beaucoup d’argent et donc prendre l’avion, acheter des voitures et renouveler nos téléphones et garde-robes le plus souvent possible ; à contracter un crédit à la consommation pour pouvoir prendre l’avion, acheter des voitures et renouveler nos téléphones et garde-robes le plus souvent possible ; et ce, à l’infini, sur une planète aux ressources finies.

Le système publicitaire a une influence, c’est même sa raison d’être, ce qu’il vend à ses clients annonceurs. Si elle est bien planifiée, une campagne de publicité peut être vue par absolument toute la population, des dizaines, voire des centaines de fois durant sa période d’exposition. Or si nous ne sommes pas des « chiens de Pavlov » et n’allons pas acheter un soda dès que nous voyons une publicité pour celui-ci, la simple exposition récurrente crée cependant un biais positif et facilite l’achat au moment des courses. La publicité normalise des comportements (téléphones portables, VTC, livraisons à domicile de plus en plus rapides, voyages au bout du monde, automobiles, cosmétiques…) sans vouloir prendre sa responsabilité sur les méfaits de ces comportements qu’elle encourage, tout en se targuant d’être « responsable » – mais pas coupable.

Le droit souple élaboré par le secteur publicitaire ne fera jamais rien pour que nos consommations soient plus sobres. Le terme n’apparaît d’ailleurs nulle part dans le rapport. Le secteur se veut le « bras armé de la transition écologique » mais continue à chérir les causes dont il affirme déplorer les effets.

Si la France s’était cantonnée au droit souple et uniquement au droit souple, l’industrie du tabac ferait encore de la publicité15. L’interdiction par la loi Évin fut certes moins efficiente pour l’industrie du tabac, mais bien plus responsable pour l’intérêt général. Aujourd’hui, le droit souple est encore très efficient pour l’industrie automobile, du tourisme de masse, du luxe, de la malbouffe, des jeux d’argent, de l’alcool, des gadgets électroniques ou de la mode. Mais est-il responsable ou coupable ?

Nous attendons toujours les réponses du secteur à nos propositions pour une sobriété publicitaire ou des conditions pour avoir une publicité réellement responsable et sommes ouvert·es à un « débat de fond », mais le secteur est-il prêt ? À lire le rapport de l’ARPP, il semblerait que non.


Notes

1 Le JDP qui, comme l’ARPP, n’a de jury que le nom est une instance associée à cette dernière. Il est en charge de prendre en compte les « plaintes » de toute personne physique ou morale qui constaterait un ou des manquement(s) aux recommandations de l’ARPP.

2 L’ARPP a modifié cette page entre la rédaction et la publication de cet article pour supprimer cette affirmation. On pourra retrouver la précédente version à cette adresse.

3 Avis qui sont rendus anonymes au bout de trois ans.

4 97 737 visiteur·ses en 2020. Rapport annuel ARPP 2020

5 Elle s’appelait auparavant Bureau de vérification de la publicité et encore auparavant « Office de contrôle des annonces » Voir la fiche Wikipedia pour un historique plus détaillé.

6 Notons que des procédures de référés existent en droit dur.

7 Qui, dans son rapport annuel de juin 2022, invite à « Encadrer la publicité afinn que n’y soient pas promues des modes de consommation carbonés incompatibles avec la SNBC »

8 Celui-ci explique dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 » de juin 2022 que « De manière plus anecdotique, la diminution de la publicité aura un impact sur les consommations énergétiques directement associées (écrans, affichages vidéo), ainsi que sur la consommation de biens au sens large. »

9 Qui dit cela ?

10 Citons pêle-mêle, Greenpeace, WWF, Réseau Action Climat, Foodwatch, Halte à l’obsolescence programmée, Addictions France, Les Amis de la Terre…

11 Nous sommes après tout la seule association dont l’objet social cible spécifiquement la publicité.

12 En prenant en compte l’analyse de cycle de vie et non la seule phase de roulage

13 Source : Baromètre Unifié du Marché Publicitaire 2021 – Kantar / France Pub / IREP

14 Nous pouvons donc voir actuellement des publicités pour SUV qui affichent fièrement un score « A » pour « 0g de CO2/km ».

15 Voir par exemple le cas de l’Allemagne qui a pris beaucoup de retard sur cette question → https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/27/clap-de-fin-pour-la-pub-sur-le-tabac-outre-rhin_6024143_3234.html