Ce mardi 28 mars, était débattue en commission « développement durable » une proposition de loi visant à interdire la publicité lumineuse et numérique, déposée par Delphine Batho pour préparer la niche parlementaire du groupe écologiste du 6 avril en séance plénière à l’Assemblée nationale.
Cette proposition de loi aurait été une grande avancée. En effet, la publicité lumineuse, et d’autant plus numérique, est le procédé le plus agressif en matière d’affichage extérieur : impossible à éviter du regard, ce sont aussi des dispositifs énergivores, et, pour le numérique, très polluants à fabriquer et difficiles à recycler. Alors qu’au gouvernement, on parle enfin de « sobriété » et qu’il nous demande de faire des efforts pour faire face à la crise énergétique, le pouvoir aurait pu saisir cette occasion pour démontrer que les efforts ne sont pas seulement demandés aux individu·es mais aussi aux entreprises. D’autant que c’est une mesure simple à mettre en œuvre et plébiscitée par la population. Un récent sondage de l’institut BVA, commandité par Greenpeace, montre que 85 % des sondé·es sont pour la réduction du nombre d’écrans publicitaires et que 54 % sont pour leur interdiction. Une pétition demandant leur interdiction réunit actuellement plus de 67 000 signatures. Comme le rappelait la rapportrice de la PPL Delphine Batho pendant les débats : « Lors des débats parlementaires sur les enjeux climatiques, nombre d’entre vous ont mis en avant la question de l’acceptabilité sociale d’un certain nombre de mesures. En l’occurrence, elle est totale : plus de 80 % des Français jugent qu’il y a trop d’écrans publicitaires lumineux et numériques et une majorité d’entre eux souhaite leur interdiction. Les sous-entendus coutumiers sur l’écologie « punitive » sont sans objet : cette mesure est demandée socialement. »
Barrage publicitaire plutôt que « républicain »
Les député·es Renaissance en ont décidé autrement et par une alliance très droitière avec les député·es Les Républicains et Rassemblement National, ont demandé et obtenu le retrait pur et simple de l’unique article de cette proposition de loi. Les député·es de ces trois partis ont enchaîné les éléments de langage du lobby des afficheurs : « la consommation totale de ces panneaux ne représente pas grand chose » ; « le secteur a déjà fait des efforts de réduction grâce aux LEDs » ; « le secteur compte 15 000 emplois » ; « ça favorisera les GAFAM » ; « ça fera baisser la taxe locale sur la publicité extérieure » ; « ça permet de contribuer au financement des transports publics et les collectivités locales via les redevances » ; « le secteur est déjà très encadré »… On retrouve la plupart de ces arguments dans ce document diffusé par l’Union de la Publicité Extérieure, syndicat professionnel qui représente les plus grands afficheurs1.
Le député Stéphane Buchou (Renaissance), défendant la suppression de l’article unique de la PPL, est même allé jusqu’à affirmer que les panneaux 4×3 avaient une empreinte carbone beaucoup plus importante que le numérique, reprenant ainsi les affirmations qu’on retrouve sur le site de la régie d’affichage extérieur Cocktail Vision dont il était le directeur-adjoint avant d’être député2.
Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que ce député venait défendre l’activité de l’entreprise qu’il administrait avant de siéger à l’Assemblée nationale, puisqu’il avait déjà aidé à faire retoquer une précédente proposition de loi similaire de Matthieu Orphelin, en octobre 2020. Nous notons que la macronie sait mettre en avant des député·es issu·es du secteur pour combattre les avancées législatives en matière publicitaire. En effet, la rapportrice du volet « consommer » de la loi « Climat et résilience » n’était autre qu’Aurore Bergé, ancienne salariée de l’agence Publicis3.
Gouverner par des chartes de bonne conduite
Les député·es hostiles à toute mesure contraignante pour le secteur ont aussi pu s’appuyer sur une manœuvre conjointe des afficheurs et du gouvernement puisque, la veille, les ministères des transports et celui de la (prétendue) « transition écologique » signaient une charte d’engagement avec les régies publicitaires en matière de sobriété énergétique. Cette manœuvre, assez classique pour le secteur, a encore une fois porté ses fruits4. Pourtant, cette charte est loin de répondre aux enjeux, et constitue même un recul par rapport aux textes existants, ce qui n’a pas empêché les ministres de s’en féliciter.
Cette charte comprend trois engagements :
– équiper d’ici le 1er janvier 2024 les panneaux lumineux d’interrupteurs pour pouvoir les éteindre à distance, notamment en dehors des heures de fermetures ;
– éteindre ou mettre en veille les panneaux lumineux lors de la fermeture des gares, stations ou aéroports ;
– établir une stratégie « sobriété » fondée sur des trajectoires de réduction des consommations électriques et d’émissions carbone du parc des publicités lumineuses.
Sur le premier engagement, il est étonnant que le gouvernement signe une charte d’engagement qui va moins loin que la loi. En effet, l’article 31 de la loi portant sur les mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat votée l’été dernier prévoit que le ou la ministre chargé·e de l’énergie puisse faire éteindre tous les panneaux lumineux en cas de menace pour la sécurité d’approvisionnement en électricité (signal « Ecowatt » rouge). Or, le décret d’application de cet article paru le 17 octobre 2022 prévoit que de tels interrupteurs soient équipés d’ici au 1er juin 20235, soit sept mois avant l’engagement de la charte. Le secteur s’engage donc ici, avec l’aval du gouvernement à… ne pas respecter la loi dans les temps ?
Sur le deuxième engagement, il est déconcertant que le secteur s’engage à faire ce qu’il affirme déjà faire6. Donc et puisqu’il est impossible de vérifier, soit le secteur le fait déjà et ce n’est pas un engagement. Soit le secteur ne le fait pas et ça veut dire que des panneaux éclairés sont allumés toutes les nuits dans des endroits fermés depuis des années. Mais nous sommes rassuré·es, le secteur s’engage maintenant à faire ce que nous faisons lorsque nous sortons de chez nous.
Enfin, sur le troisième engagement, le secteur se propose donc de renouveler son parc de panneaux lumineux et numériques par des panneaux qui consomment moins et qui émettraient moins de carbone. Or toutes les études sur les impacts du numérique expliquent que le plus lourd dans le bilan carbone, c’est la fabrication (environ 80%). Par exemple, dans cette dernière étude de l’ADEME et de l’Arcep paru ce 13 mars.
Cette étude analyse différents scénarios. Un seul « entraîne une diminution de l’empreinte du numérique », celui nommé « Génération frugale ». Dans ce scénario, « les écrans publicitaires ont disparu. ». À noter que le rapport « Futurs 2050 » de RTE ne dit pas autre chose : « Enfin, le dernier gisement repose sur l’hypothèse d’une disparition progressive des écrans publicitaires. Au-delà des économies d’énergie associées aux écrans eux-mêmes, qui sont faibles, cette mesure pourrait s’inscrire dans une approche globale de régulation de la publicité (discutée à l’occasion de la Convention citoyenne pour le climat) visant à limiter les incitations à consommer. Elle aurait également une forte valeur symbolique pour favoriser la sobriété : les ménages et entreprises seront vraisemblablement plus enclins à limiter leur consommation d’énergie dans le cas où leur environnement n’est pas saturé d’écrans publicitaires. Une telle évolution nécessiterait toutefois une inflexion forte par rapport à la tendance actuelle, le nombre d’écrans publicitaires étant actuellement en forte croissance d’année en année. »
Nous notons donc que les député·es de la commission « développement durable » qui ont voté contre la proposition de loi se sont donc appuyé·es sur les éléments de langage du lobby des afficheurs et sur une charte qui n’engage pas à grand-chose, plutôt que sur les études et scénarios d’organismes d’État bien plus neutres.
Après ce vote que reste-t-il de la proposition de loi ?
Le retrait de l’article unique de la proposition de loi a fait tomber énormément d’amendements, notamment certains venant du Modem, du groupe Horizons ou de LIOT. Ces groupes n’étaient pas favorables à la proposition de loi telle quelle mais, considérant qu’il y avait un vrai sujet, voulaient modifier le texte initial et n’ont donc pas voté le retrait de l’article. Ces amendements, s’ils avaient été votés, auraient permis d’au moins interdire la publicité numérique, ce qui aurait été, certes moins ambitieux, mais déjà une grande avancée.
Malheureusement, le texte issu de la commission a tellement vidé de son sens la proposition de loi que son autrice a décidé de ne pas le défendre dans l’hémicycle ce 6 avril, pendant la niche parlementaire du groupe écologiste. Il aurait été effectivement étrange de discuter d’une proposition de loi visant à interdire la publicité lumineuse qui… ne vise pas à interdire la publicité lumineuse.
Comme lors du précédent quinquennat, notamment lors des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, la minorité présidentielle, ici alliée à la droite et l’extrême-droite, a donc confirmé son refus d’agir pour réduire les pollutions, contre l’avis de la population, au seul profit des publicitaires et de leur monde.
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On pourra relire les débats, les revoir en vidéo et consulter le rapport.
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Notes
1 Ou alors dans cet article plus court où le président de l’UPE les expose.
2 Voir sa fiche HATVP → https://www.hatvp.fr/fiche-nominative/?declarant=buchou-stephane
3 Agence Publicis qui avait participé au rapport dit « Bousquet-Leroy » visant à cautionner les « contrats climat », puisque la co-autrice Agathe Bousquet n’est autre que la dirigeante de Publicis, et Arnaud Leroy, le président du CA de l’Ademe, est aussi un soutien d’Emmanuel Macron.
4 Comme par exemple lorsqu’il était question d’interdire les publicités pour les produits trop gras, trop sucrés et trop salés en 2009 et que les professionnel·les avaient signé une charte alimentaire avec le CSA (devenu Arcom depuis) https://www.liberation.fr/societe/2009/03/10/lutte-contre-l-obesite-aux-publicitaires-de-faire-leurs-preuves_544117/
5 Article 2 du décret
6 Par exemple, dans cet entretien, la Directrice Générale de Médiatransports, la régie publicitaire de la RATP et de la SNCF, affirme : « le décret nocturne (du 5 octobre 2022, NDLR) c’est éteindre les dispositifs éclairés […] de 1h du matin à 6h… on le faisait déjà ! ». À 4 min 50 de l’entretien.