Nous reproduisons ici le compte rendu du procès des 4 militants antipub de Montpellier dont le procès s’est tenu le 19 juin dernier.
Nous sommes 4 militants à avoir été traduits en justice pour avoir retiré une affiche publicitaire d’un support de l’arrêt de Tram de la ligne 2, à Montpellier. Accusés abusivement de dégradations par la multinationale étatsunienne Clear Channel, exploitante du panneau, nous avons été jugé jeudi 19 juin au tribunal de grande instance de Montpellier.
Un groupe de soutien constitué d’une quinzaine de personnes est entré avec nous dans le tribunal. Clear Channel a choisi de ne pas se faire représenter et ne s’est pas constitué partie civile. Lors de son dépôt de plainte, la société avait produit par elle-même un devis chiffrant des dégradations à hauteur de 1300€ (détérioration du mécanisme d’ouverture, descellement de l’abri de tram).
La juge a résumé les faits et nous a interrogé sur les motivations nous ayant poussé à réaliser cet acte délictueux.
Nous avons expliqué qu’il s’agissait d’un acte réfléchi, organisé à plusieurs. Un acte de protestation symbolique et mesurée (au regard du chiffre d’affaires annuel de Clear Channel : trois milliards de dollars). La publicité, par son gigantisme, son caractère intrusif et son omniprésence est liberticide : elle force l’usager de l’espace public à recevoir ses messages sans réponse possible. Il n’y a pas de principe logique selon lequel la publicité aurait le droit de préempter à ce point l’espace public qui appartient au bien commun. Il s’agit d’un acte réalisé dans un contexte d’état de nécessité alors que les autres types de recours ne portent que rarement leurs fruits. Les associations anti-pub existent depuis 20 ans et marquent les limites de leur action.
La législation n’évolue pas et son application n’est même pas effective. Clear Channel a été condamné à plusieurs reprises pour violation du code de l’environnement. La dernière condamnation date de 2013 où la société avait installé un panneau illégal dans le parc national de la Narbonnaise. Il aura fallu 5 ans entre la saisie du préfet et le retrait du-dit panneau.
La juge a saisi le sens de l’argumentaire anti-publicitaire. Elle a d’ailleurs cité le cas de la commune de Lavérune qui a fait interdire la publicité au sein de son agglomération. Elle réprouve par contre les moyens employés. Elle a mis en avant le principe imprescriptible de propriété privée en l’illustrant d’un exemple éloquent: “si je mets des rideaux verts chez moi et qu’ils ne vous plaisent pas, vous n’allez pas vous octroyer le droit de venir les enlever”.
Le discours du procureur va plus loin. Il parle d’une jeunesse engagée mais qui se trompe de moyens d’action. Il va jusqu’à déclarer que ce genre d’idéologie avait déjà conduit à des dérives totalitaires! Il a terminé en requérant 35h d’intérêts généraux. Notre avocat, Maître Gandini a expliqué qu’il n’y avait pas eu de dégradations, Clear Channel ayant procédé eux-même à une évaluation abusive du préjudice subi. Notre engagement associatif, nos casiers judiciaires vierges ainsi que nos diplômes respectifs ont été mis en avant. Maître Gandini a plaidé la dispense de peine. La présidente en a tenu compte puisque nous avons finalement été condamné à une peine
symbolique de 100€ d’amende avec sursis. L’intérêt de ce procès résidait pour nous dans le fait de pouvoir confronter nos arguments et la nature de notre engagement à une institution publique, en l’occurrence la justice. Pour autant, il est regrettable que ce soit le seul espace de débat qui existe avec les institutions.
Force est de constater que le système judiciaire dispose de tous les éléments pour condamner de petits militants ouvreurs de panneaux mais pas ceux de poursuivre les délinquants à grande échelle que sont les firmes publicitaires.
On pourrait aussi regretter que les conditions d’un véritable débat ne soient pas vraiment réunies. Qu’il ne nous ait pas été possible d’aller au bout de l’exposé de notre raisonnement sans se faire couper. Qu’un des aspects primordial du sujet, à savoir le caractère manipulateur qui constitue la définition même de la publicité ne soit pas considéré. La publicité utilise la convocation de comportements pulsionnels qui ont à voir avec l’égoïsme, la convoitise, la peur, le sexisme, l’exploitation du corps de la femme, le matérialisme dans le seul but de vendre un produit. Soit l’on considère que cela fonctionne et alors il s’agit de manipulation mentale pernicieuse. Soit l’on se conforte dans l’idée que chacun conserve son libre arbitre et il s’agit alors d’un énorme gaspillage au vu des sommes engagées (en 2007, Coca-Cola a investi 10% de son chiffre d’affaire en campagnes publicitaires, on
peut peut-être leur faire confiance pour savoir calculer leur retour sur investissement).
Mais au delà d’inciter à la consommation effrénée de biens inutiles avec les conséquences sociales et environnementales qui en découlent, la publicité affecte notre capacité d’analyse et notre disposition critique. Nous recevons en moyenne entre 300 et 5000 messages publicitaires par jour. En martelant des messages d’importance mineure, elle conduit inconsciemment à percevoir comme mineurs des messages qui ne seraient pas martelés (Jean Claude Michéa). En d’autres mots, la sortie de la nouvelle Mini Cooper aurait finalement plus d’importance que le rapport du Giec 2014.
Alors on peut faire confiance à la présidente du tribunal et se dire qu’il existe un cadre d’action légal. On peut dormir tranquille et continuer à verser sa cotisation à Paysages de France. Peut-être qu’au prochain Grenelle de l’environnement les associations anti-publicitaires seront de nouveau assises à la même table que les lobbies pour pondre la nouvelle législation du code de l’environnement.
En attendant, nous avons acquis la certitude que ce combat n’était pas celui de quelques individus isolés. Cent euros n’est finalement pas cher payé pour continuer à affirmer sa liberté de non-réception et revendiquer de disposer librement de son temps de cerveau.
La prochaine fois, décrochons la dispense de peine!