RAP répond officiellement à la consultation publique du décret Macron sur la publicité extérieure.
Participez à la consultation !
Madame, Monsieur,
Notre association, Résistance à l’Agression Publicitaire, n’ayant pas été entendue lors de la réunion de concertation du 3 septembre 2015, nous profitons de la consultation publique lancée par le ministère pour faire entendre notre voix afin de revenir à un décret plus équilibré.
Nous nous alarmons d’un projet de décret à sens unique, délétère à bien des égards et dicté par le seul intérêt des afficheurs. En effet, les évolutions du décret entre la version de septembre et celle soumise à consultation sont toutes issues des demandes de l’industrie publicitaire, au détriment de l’environnement et du cadre de vie. Ces évolutions généreront plus de pollutions, de risques et de nuisances alors même que la réduction de ceux-ci est l’objectif du Livre V du Code de l’Environnement.
Le projet de décret de septembre était déjà très inquiétant. Celui soumis à consultation depuis le 15 janvier est encore plus nocif :
– pour la qualité des paysages, donc pour le cadre de vie des habitants et les recettes économiques liées au tourisme ;
– pour la santé, puisque le système publicitaire vante dans une grande majorité des produits alimentaires trop gras, trop sucrés et trop salés, promeut des modèles de corps irréalistes, des stéréotypes sexistes et des comportements dangereux (vitesse au volant, écoblanchiment…) ;
– pour l’avenir écologique planétaire, puisque la publicité pousse à la surconsommation de produits largement manufacturés à l’autre bout du monde dans des conditions environnementales et sociales déplorables ;
– pour le commerce de proximité qui n’a pas les moyens de lutter contre la grande distribution face à un affichage très agressif et d’ores et déjà massif. Nous ne vous apprendrons pas que, quand un hypermarché ouvre, ce sont des dizaines de petits commerces alentour qui ferment (boulangeries, épiceries..) [1].
Sur l’article 1 (mesure stade)
Nous ne comprenons toujours pas comment une telle mesure, justifiée officiellement par les nécessités de l’Euro 2016, a pu être initiée par le gouvernement, étant donné que l’article L581-9 permettait déjà d’autoriser des dispositifs de dimensions exceptionnelles par arrêté municipal, s’ils sont liés à des manifestations temporaires. Il était déjà tout à fait possible d’apposer des publicités hors normes pour ce type d’événements. La justification de l’Euro semble donc plus que discutable. D’autant que seuls 10 stades sur les 53 touchés par la mesure accueilleront l’Euro 2016. Nous avons cependant bien conscience que la loi a été adoptée par le Parlement et qu’elle doit faire l’objet d’un décret d’application.
Néanmoins, nous trouvons regrettable que le projet de décret n’ait pas été corrigé et que le ministère persiste à autoriser des dispositifs muraux qui peuvent atteindre une surface unitaire allant jusqu’à 20% de la surface totale du mur. Lors de la réunion de concertation de septembre, nous avions bien expliqué que cette disposition était source de contentieux, tant les architectures des stades peuvent être complexes, et qu’elle allait ainsi créer un flou juridique dans lequel nos champions de la délinquance environnementale allaient s’engouffrer dès la parution du décret, n’en doutons pas.
Une surface fixe serait bien plus simple à faire appliquer, si tant est que la motivation de ce décret soit effectivement la « simplification du droit ». Dans un souci d’harmonie avec le reste du code de l’environnement, nous avions même consenti à une surface de 50 m2, surface déjà amplement suffisante pour créer des « occasions de voir » non consenties. Mais même cette menue correction n’a pas été accordée par le ministère.
En revanche, nous constatons que la demande des afficheurs, avancée lors de la réunion de concertation, de pouvoir déroger à une hauteur maximale de 10 m pour les dispositifs tant muraux que scellés au sol, a été acceptée les yeux fermés.
Cette différence de traitement entre les pollueurs délinquants et les associations environnementales est tout simplement scandaleuse. Nous vous demandons donc fermement de corriger le décret et de mettre une surface fixe pour les dispositifs muraux et de supprimer la dérogation possible pour la hauteur maximale de 10 m.
Si l’article 1 est motivé par la loi croissance et activité, les articles 2 à 5 sont tout bonnement incompréhensibles, tant ils sont déséquilibrés en faveur de l’industrie publicitaire.
Sur l’article 2 (notion agglomération)
En substance, cet article permettrait l’installation de dispositifs scellés au sol là où ils ont toujours été interdits, parce que ces dispositifs sont… justement interdits.
Nous y voyons un coup de force des afficheurs qui ne supportent pas de ne pouvoir polluer dans tous les recoins de France. D’autant que cet article autoriserait aussi la publicité lumineuse par transparence ou projection. Rappelons que les dispositifs scellés au sol sont ce qui se fait de pire en termes d’impact sur le paysage.
Nous pensons aussi que cette mesure serait une grave atteinte au tissu social dans ces communes où il persiste quelques commerces de proximité. Que feront-ils face à la concurrence de la grande distribution étalée en 4×3 m ? Quel impact sur des emplois pérennes et non délocalisables ? Nous serions curieux de connaître les méandres du raisonnement qui conduit d’une part à encenser les petites et moyennes et très petites entreprises et d’autre part à inventer les mesures qui les assassinent.
De plus, une des rares avancées du Grenelle de l’environnement avait été de limiter les possibilités de dérogations par un RLP. Seul l’article L581-8 permet actuellement de prendre des mesures moins restrictives par rapport au règlement national. Avec cet article, le gouvernement revient vers un régime dérogatoire qui est source de complexification du droit.
Le gouvernement, en adoptant cette mesure, ne ferait qu’aggraver une courbe du chômage qui ne cesse de vouloir continuer à monter et augmenterait la complexité de la législation. En ce sens, il semblerait judicieux de retirer cet article du projet de décret.
Sur l’article 3 (éblouissement)
Nous avions tenté, en avril 2015, d’alerter Madame la ministre Ségolène Royal sur les dangers que feraient peser un non encadrement de la publicité lumineuse, en lui enjoignant d’enfin fixer les seuils de luminance prévus aux articles R581-15, R581-34 et R581-59, et de fixer les seuils de consommation électrique prévus à l’article R518-41 pour déterminer si un dispositif numérique peut dépasser les 2 m2.
Nous constatons à regret que le ministère a choisi une formulation très floue, renvoyant de plus à un contrôle a posteriori de l’autorité compétente en matière de police de la publicité. Une manière d’abandonner complètement l’encadrement de la publicité lumineuse, responsable d’une triple pollution :
– pollution lumineuse et visuelle pour l’homme, mais aussi, la faune et la flore : notre regard est attiré par la lumière et par le mouvement. Il est donc impossible de ne pas voir les dispositifs lumineux, déroulants, voire numériques qui dégradent ainsi de force le paysage. Pour la faune et la flore, la pollution lumineuse nocturne affecte la migration des oiseaux, perturbe les animaux nocturnes, et crée ainsi des déséquilibres dans la chaîne alimentaire ;
– pollution énergétique : quand un dispositif peut consommer autant que 3 à 7 personnes, la gabegie est loin d’être symbolique, surtout quand on sait que la plupart des panneaux classiques risquent d’être remplacés, à terme, par des panneaux énergivores ;
– pollution mentale : quand l’œil ne peut pas échapper au message, chaque dispositif constitue une injonction à sur-consommer, sans parler des injonctions à paraître jeunes, minces, voire maigres, ou à acheter des produits inutiles, malsains et/ou polluants.
De plus, le projet tel qu’il est rédigé ne modifie plus l’article R581-15. Un arrêté ministériel sera donc toujours attendu pour fixer des valeurs moyennes et maximales de luminance.
Pour une mesure qui tend à simplifier le droit, le ministère choisit donc une formulation inapplicable, en omettant de fixer des incohérences dans le code de l’environnement (seuils de luminance à l’art. R518-15 et niveau de consommation électrique à l’art. R581-41).
Si la volonté du gouvernement était vraiment la simplification du droit, il eût été plus facile d’interdire purement et simplement la publicité lumineuse. Au lendemain de la COP21, le message aurait été plus que bienvenu, et aurait permis d’alléger le code de l’environnement. Le message qui est envoyé par cet article semble totalement incohérent de ce point de vue.
Nous demandons le retrait de cet article.
Sur l’article 4 (moulures)
Cette proposition est un scandale absolu. D’une part, il revient à modifier le sens d’une loi (L581-3) par décret, ce qui est anticonstitutionnel. Le sens de cette loi avait pourtant été rappelé par le Conseil d’État (CE, req. 169570, 6 octobre 1999).
D’autre part, il consiste à revenir sur une des seules avancées du Grenelle de l’environnement. Nous aurions attendu d’un gouvernement progressiste qu’il aille plus loin dans la protection des citoyens que ses prédécesseurs. Pas qu’il détricote les quelques rares aspects positifs obtenus durant le quinquennat de M. Sarkozy.
Lors de notre « pubomètre » pour déterminer quel candidat à l’élection présidentielle de 2012 était le plus enclin à lutter contre la publicité, le candidat François Hollande avait obtenu 1/10. Avec ce genre de mesures, le prochain candidat socialiste arrivera vraisemblablement avec une note négative !
Rappelons que les afficheurs avaient trois ans pour se mettre en conformité avec la loi. Un délai largement suffisant quand on sait que São Paulo avait mis moins de six mois pour mettre ses centaines de milliers de panneaux en conformité avec la nouvelle réglementation très restrictive adoptée en 2007.
Dire que « les règles de formats ont de manière usuelle, depuis 1979, été appliquées par les professionnels de l’affichage publicitaire comme « hors tout », c’est-à-dire en appréciant le format de l’affiche hors encadrement (hors moulures). » revient à décréter que puisqu’un secteur ne respecte pas les règles depuis qu’elles existent, il est plus commode de légaliser une pratique plutôt que de faire appliquer une règle. Règle qui, soit dit en passant, est bien plus simple à faire respecter que le texte abscons, et qui plus est illégal, proposé dans ce projet de décret.
Nous notons aussi que les 20% prévus initialement en septembre sont passés à 35%. Encore une preuve que les afficheurs sont venus prendre le stylo pour écrire le décret [2].
Cet article doit donc être retiré, et les dizaines de panneaux illégaux depuis le 13 juillet 2015, mis en conformité.
Sur l’article 5 (mobilier urbain)
Prétextant une erreur rédactionnelle, le ministère fait un dernier cadeau aux afficheurs, qui ne supportaient pas de ne pas pouvoir installer des mobiliers urbains partout en France, et notamment des dispositifs numériques, polluants et énergivores.
Nous vous proposons d’autres erreurs rédactionnelles issues du Grenelle de l’environnement qu’il faudrait corriger au plus vite :
– la possibilité de déroger aux interdictions prévues par l’article L581-8 par le biais d’un RLP ;
– le passage du 2 m2 au 8 m2 pour les écrans numériques, l’autorisation des écrans numériques étant elle-même une erreur rédactionnelle ;
– l’autorisation des dispositifs de 50 m2, hors agglomération, dans l’emprise des aéroports et des gares ferroviaires ;
– la règle de densité (R581-25) absolument illisible, qu’il aurait fallu simplifier en proposant une règle d’inter-distance entre dispositifs, et qui aurait dû englober les publicités sur palissades et toitures, celles sur le mobilier urbain, les bâches publicitaires, le micro-affichage et les pré-enseignes dérogatoires ;
– le rétablissement de l’interdiction de publicité sur baies (R581-57)…
La liste n’est pas exhaustive.
Il serait plus que dommageable d’autoriser les pires dispositifs dans des lieux qui ont toujours été protégés, c’est pourquoi cet article doit être retiré.
Le système publicitaire prend de plus en plus de place dans notre société. Le gouvernement a été élu pour représenter l’ensemble des citoyens et non une poignée d’entreprises, fussent-elles puissantes. Le bien être collectif doit toujours primer sur l’intérêt de quelques-uns. Si ce décret passait en l’état, l’histoire retiendrait un fort recul de ce quinquennat sur ce sujet. Il est encore temps de modifier cela, en supprimant les articles 2 à 5 et en modifiant l’article 1. Nous sommes ouverts à la discussion pour une réelle simplification du code de l’environnement en matière de publicité extérieure, nous avons des propositions. Vous avez encore un an et demi pour montrer que le changement, ça peut être maintenant.
Dans l’attente d’une rédaction d’un décret qui suive les objectifs tant du code de l’environnement que de la COP 21, nous vous prions de croire, Madame, Monsieur, en l’expression de notre considération la plus distinguée.
Notes
[1] Les coulisses de la grande distribution, Christian Jacquiau, 2000 http://www.christian-jacquiau.fr/le-livre-11682
[2] « Ça vole bâche » Canard Enchaîné du 1er juin 2011.