Expérimentation « Oui Pub » dans les boîtes aux lettres : publication du rapport d’évaluation aux parlementaires

Depuis le 1er mai 2022, une expérimentation a été lancée dans 14 territoires[1] pour évaluer la pertinence de modifier les conditions de réception des imprimés publicitaires sans adresse (IPSA) dans les boîtes aux lettres. Actuellement, pour ne pas recevoir de prospectus publicitaires dans sa boîte aux lettres, il faut apposer un autocollant « Stop Pub ». Issue de la loi « Climat et résilience » du 21 août 2021, l’expérimentation, encore en cours jusqu’au 30 avril 2025, vise à évaluer l’impact de l’inversion de la logique du « Stop Pub », à savoir qu’une boîte aux lettres sans autocollant ne reçoit pas d’IPSA, et les personnes qui en désirent apposent un autocollant « Oui Pub ». Dans cette logique, il faut faire une démarche pour être démarché·es.

La loi prévoyait qu’un rapport d’évaluation devait être envoyé aux parlementaires 6 mois avant la fin de l’expérimentation, soit, en novembre dernier, afin de discuter de la pertinence de généraliser le dispositif à tout le territoire français. Ce rapport a pris un peu de retard, notamment du fait de la censure du gouvernement. Il est finalement paru ces derniers jours. Fruit d’un travail auquel R.A.P. a participé en tant que membre du comité d’évaluation, au même titre que les différentes parties prenantes[2], il ne recommande rien, mais synthétise les divers rapports en annexe (Ademe, IGEDD[3]) ainsi que les positions des unes et des autres, souvent antagonistes.

Un bilan positif pour la réduction des déchets

Une analyse du tonnage de papiers collectés a été effectuée sur la période 2019-2023. Une baisse des IPSA a été constatée en 2020 du fait de la crise sanitaire, puis une légère hausse en 2021, laissant place à la tendance baissière en 2022, année de démarrage de l’expérimentation. Dans les territoires pilotes, une réduction importante a été constatée entre 2022 et 2023, allant de 20 % à 70 % selon les territoires, avec une moyenne de 48 % de diminution. Aussi, la part d’imprimés publicitaires dans les déchets papiers de la collecte sélective dans les territoires pilotes est passée de 17 %-40 %, selon les territoires, à 5 %-19 %, soit une réduction de moitié de ces imprimés dans les déchets.

Au niveau national, le tonnage des IPSA était relativement stable entre 2013 et 2019, aux alentours de 900 000 tonnes. En 2023 il est passé à 400 000 tonnes, soit une baisse de 55 %. La réduction de ce type de publicités s’observe donc dans tout le pays, expérimentation ou pas. Si « le caractère significatif et la part de l’expérimentation « Oui Pub » ne sont pas quantifiés », le rapport observe tout de même une diminution plus importante des papiers collectés par habitant·e selon que le territoire était couvert par l’expérimentation ou non.

Une perception positive des collectivités et des habitant·es

Ainsi, 90 % des collectivités pilotes ont une perception très favorable du dispositif, et ces résultats poussent les territoires qui ont participé à l’expérimentation à plébisciter sa pérennisation et son extension (89%). Elles ne se disent pas prêtes à revenir en arrière.

Sur la perception des habitant·es, 61 % des personnes sondées se disent « plutôt » voire « très » satisfaites (respectivement 17% et 44%), avec une grande part d’indécises (30%). 63 % des sondé·es se disent favorables à une extension du dispositif sur tout le territoire, avec là encore une part importante de personnes indécises (27%). Seul 6 % du panel se dit réfractaire au déploiement, majoritairement en raison du rejet de la publicité en boîte aux lettres et de la publicité en général. En définitive, seulement 1 % des sondé·es s’oppose au déploiement en raison du mécontentement vis-à-vis du dispositif.

Le taux d’apposition d’autocollants « Oui Pub » est relativement faible, entre 0,33% et 18,42 % selon les territoires. Malgré des campagnes de communication massives (des collectivités, des distributeurs de prospectus et des annonceurs en magasin), on constate donc qu’une faible proportion de la population souhaite recevoir ce type de publicités, démontrant que le dispositif « Stop Pub » – qui n’a jamais connu de telles campagnes – était insuffisant pour obtenir le consentement à la réception de ces prospectus, le taux d’équipement de « Stop Pub » n’ayant jamais dépassé les 30 % au niveau national.

Des perceptions différentes selon les acteurs économiques

Si les annonceurs nationaux et locaux « n’attribuent pas à l’expérimentation « Oui Pub » de conséquences spécifiques sur leur situation économique et sociale », et que les agences de communication, malgré la baisse des IPSA, ont pu se diversifier vers le numérique, d’autres filières connaissent des difficultés, même s’il est difficile de les imputer à la seule expérimentation encore en cours. Tout d’abord, la filière papiers et cartons qui connaît une tendance à la baisse depuis les années 2000, surtout pour le papier, avec le déclin de la presse papier et du courrier au profit de supports numériques, tandis que les cartons d’emballage et de conditionnement sont en forte croissance avec le développement du commerce en ligne. Les imprimeurs affirment aussi que l’expérimentation a contribué à accélérer le déclin du secteur.

Enfin, les entreprises les plus directement touchées sont les distributeurs de prospectus qui ne pouvaient plus, dans les territoires pilotes, profiter du doute de l’absence de « Stop Pub » pour déverser des IPSA dans les boîtes aux lettres. En réunion du comité de suivi de l’expérimentation, celles-ci expliquaient que pour que leur activité reste rentable, il faudrait un taux d’apposition de « Oui Pub » de 50 à 60%, et expliquaient que le dispositif « Stop Pub » leur convenait très bien, sorte d’aveu que le secteur a besoin de pouvoir distribuer ses déchets chez des personnes non consentantes. Mais l’expérimentation n’explique là encore pas toutes les difficultés de ces entreprises : Milee (ex-Adrexo), qui a été définitivement liquidée en octobre 2024, connaissait déjà des difficultés pour des raisons internes dès 2017[4].

Nous ne doutons cependant pas que l’expérimentation a joué dans ces différentes baisse d’activités, et c’était à prévoir, sauf à croire que les habitant·es allaient massivement se ruer sur les autocollants « Oui Pub ». Or, c’est une grande lacune de cette expérimentation : le manque d’accompagnement des entreprises et des leurs salarié·es face à ces faillites tout à fait anticipables. Si la « transition écologique » avait un sens, l’objectif serait d’aider à faire évoluer les métiers toxiques d’aujourd’hui vers des métiers soutenables, pour éviter des drames humains, surtout dans le secteur de la distribution de prospectus où les emplois sont précaires et effectués par des personnes qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts, notamment des retraité·es.

Un appel à la sobriété publicitaire

La loi prévoyait que le rapport devait comparer les impacts environnementaux de la publicité papier et ceux du numérique. Comme nous l’anticipions, cette comparaison est très difficile à faire. D’une part parce que les impacts sont de différentes natures selon le support :
 « – La consommation de ressources naturelles fossiles, les effets écotoxiques, les émissions de gaz à effet de serre et de particules fines ainsi que l’énergie primaire totale utilisée arrivent en tête dans le cas des IPSA ;

– La consommation de ressources naturelles (minéraux et métaux), et la production de déchets d’équipements électriques et électroniques sont les impacts qui prédominent pour les médias digitaux. »

D’autant que pour les supports numériques, les impacts sont très différents selon que la campagne est en vidéo, en programmatique[5], ou en simple bannière placée sans enchère. Les deux premières méthodes génèrent un impact plus important que la dernière.

D’autre part, il est très difficile, si ce n’est impossible, d’évaluer le report des campagnes en IPSA vers le numérique à cause du « Oui Pub ». Plusieurs enseignes avaient, dès la fin des années 2010, annoncé leur volonté de se passer des prospectus en boîtes aux lettres. La crise sanitaire a accéléré la tendance vers le numérique, avant même le début de l’expérimentation « Oui Pub ».

Le seule préconisation du rapport est donc d’aller vers « l’écoconception » des campagnes et de tendre vers la sobriété. Si le rapport ne développe pas ce qui est entendu par « sobriété publicitaire », nous avons un début de feuille de route. Il revient maintenant aux parlementaires de décider de la généralisation ou pas du dispositif « Oui Pub », et, pourquoi pas d’aller plus loin en imposant au secteur une réelle sobriété sur tous les supports.


Notes

[1] Ville de Bordeaux, SMICVAL (Syndicat Mixte Intercommunal de Collecte et de Valorisation) Libournais Haute Gironde, Agglomération d’Agen, Communauté de communes Leff Armor, Communauté urbaine de Dunkerque Grand Littoral, Troyes Champagne Métropole, Métropole du Grand Nancy, Grenoble Alpes Métropole, SYTRAD (Syndicat de traitement des déchets Ardèche Drôme), SICTOBA (Syndicat intercommunal de collecte et traitement des ordures ménagères de la Basse Ardèche), Communauté de communes Vallée de l’Ubaye Serre-Ponçon, UNIVALOM (Syndicat Mixte de traitement et de valorisation des déchets), SYVADEC (Syndicat de Valorisation des Déchets de la Corse).

[2] Représentant·es de l’État, représentant·es des collectivités territoriales qui se sont porté·es volontaires pour participer à l’expérimentation, ainsi que des représentant·es des secteurs économiques concernés (commerces, sociétés de distribution directe, imprimeurs, papetiers…), syndicats des salarié·es et associations (UFC-Que Choisir, CLCV, France Nature Environnement, Zéro Waste France, R.A.P.).

[3] Inspection générale de l’environnement et du développement durable, rattachée au ministère de l’écologie.

[4]  https://www.cat-adrexo.fr/2024/06/17/c-a-t-MILEE-un-syndicalisme-different/ 

[5] Aussi appelée « publicité en temps réel », la publicité programmatique permet d’acheter des espaces publicitaires en ligne sur des plateformes spécialisées, dans une logique d’enchères en temps réel.