de gauche à droite: Hugues Bazin, chercheur à la Maison des sciences de l’homme; Anne Richez-Brassart, chef de projet à Boulanger second life; Renaud Fossard, association RAP; Gael Trouvé, association Scolopendre; Dominique Kreziak, Maitre de conférences à l’Université Savoie-Mont Blanc
Au colloque sur l’obsolescence programmée, Résistance à l’Agression Publicitaire (R.A.P.) a rappelé qu’avec la publicité, de nombreux consommateurs n’attendent pas une défaillance technique pour racheter la dernière nouveauté. Pour sortir de la société de surconsommation, lutte contre l’obsolescence programmée et régulation de la publicité devront aller de paire.
L’association Halte à l’Obsolescence Programmée a frappé fort ce mardi 19 septembre. Le jour du colloque qu’elle organisait au Sénat sur les enjeux de l’obsolescence programmée – cette stratégie délibérée qu’auraient des industriels pour raccourcir la durée de vie de leurs produits afin d’en renouveler plus rapidement l’achat – elle a déposé plainte contre le fabricant d’imprimantes Epson. Est donc désormais en cours la première action judiciaire sur le fondement du délit d’obsolescence programmée, introduit par la loi de transition énergétique de 2015.
Durant une journée de table rondes, les débats ont souvent dépassé la seule éventualité d’une action directe des ingénieurs pour générer une panne technologique, comme dans le cas semble-t-il, des fabricants d’imprimantes. En effet de nombreuses stratégies d’obsolescence programmée, ou « organisée », consistent à rendre plus difficile, voire impossible, la réparation des objets. D’autres stratégies encore, visent à rendre les produits obsolètes d’un point de vue logiciel, parfois par une simple mise à jour, lorsque leur utilisation repose sur des programmes informatiques comme pour les téléphones ou les ordinateurs, et bientôt pour l’ensemble des objets connectés. Dans ce sens, les notions d’éco-conception, ou encore d’économie circulaire, permettaient alors d’aborder de manière approfondie le rôle des industriels dans l’accélération du taux de renouvellement des produits, et d’envisager des moyens – incitatif ou normatif – pour augmenter la durée de vie ou d’usage des produits.
Renaud Fossard, chargé d’étude à R.A.P., a pour sa part rappelé que le renouvellement de certains produits concernés par l’obsolescence , comme par exemple les téléphones et les téléviseurs, relève avant tout du désir de consommation des individus. Pour certain-e-s, une panne n’est parfois qu’une opportunité bienvenue permettant de satisfaire les pulsions consuméristes… En effet, sur la base de diverses études, le représentant de R.A.P. rappelait quelques fondamentaux : la publicité exerce effectivement une influence sur les valeurs et les comportements des citoyens (et bien au delà de l’acte d’achat) et augmente bien, en valeur absolue, la consommation agrégée. Il paraissait important de clarifier qu’aux cotés des efforts des branches « ingénieur et marketing » pour diminuer la durée de vie des produits, l’industrie, dans son rôle d’annonceur, faisait aussi appel à l’industrie publicitaire pour organiser au quotidien le désir consumériste. Quelques 500 multinationales, en mettant chaque année en France près de 30 milliards sur la table, influencent les pulsions et les dynamiques socio-culturelles pour augmenter le niveau de la consommation des biens de masses.
de gauche à droite: Mr Legay, Ministère de l’environnement; Emmanuelle Font, Laboratoire national de métrologie et d’essais; Thierry Libaert, Professeur membre du Conseil Économique et Social Européen; Pascal Durand, député européen et porteur du rapport sur l’obsolescence programmée, et Bernard de Caevel, de RDV Environnement ».
Présent au colloque, le député européen écologiste Pascal Durand – rapporteur du récent rapport du Parlement européen sur le sujet – ne démentait pas ce diagnostic autour du rôle de la communication, tout en indiquant qu’au niveau européen, aucune initiative de régulation de la publicité n’était pour l’instant envisageable, tant le mur du lobby industriel sur ce sujet était élevé. La balle se trouverait selon le député dans le camp de la société civile, seule capable aujourd’hui de mettre le sujet sur la table afin que les décideurs puissent ensuite s’en saisir… A bon entendeur semblait-on entendre.
Ce colloque a aussi été l’occasion de mettre au débat le concept d’obsolescence « esthétique » ou « psychologique » qui complète le triptyque aux cotés de l’obsolescence technique (matérielle) ou logicielle (immatérielle). Cette notion permet précisément de prendre en compte le rôle actif du consommateur dans la décision de renouveler ses produits, décision stimulée par le marketing au grè des designs ou des gadgets technologiques, eux-mêmes ventilés gamme après gamme, lancement après lancement. Il n’empêche, a soutenu le membre de R.A.P., s’il existe incontestablement un enjeu d’obsolescence esthétique dans la conception du produit, il faudra aller plus loin pour véritablement cerner les raisons du renouvellement accéléré des produits, pour comprendre les ressorts du désir de consommation, pour cerner les effets de mode et les communautés de marques. En bref, à l’instar des ingénieurs, les ouvriers du « marketing-produit » ne peuvent pas se passer des publicitaires pour organiser le dopage artificiel du désir consumériste. Et donc les analyses de l’obsolescence programmée doivent s’articuler avec celles du consumérisme organisé. Débat à suivre…