Parmi les 15 idées retenues par la RATP après la consultation publique pour « améliorer les services de demain », les deux propositions les plus populaires ont été écartées parce qu’elle abordaient le sujet de la diminution de la publicité. Les justifications maladroites ou erronées apportées par la RATP ne font que soulever des doutes sur la capture du processus de consultation par le lobby publicitaire. Les écrans publicitaires apparaissent au centre de tous les enjeux.
La RATP lançait au dernier trimestre 2016 une consultation publique pour « améliorer les services de demain », par laquelle les citoyens et usagers ont apporté des idées et voté pour celles qui leur paraissaient les plus pertinentes. À la clôture des soumissions et des votes le 2 décembre dernier, les deux propositions les plus populaires d’entre toutes étaient relatives à la régulation de la publicité dans les transports1, laissant bon espoir à nombre de participants de voir évoluer le débat sur l’omniprésence publicitaire dans les transports franciliens.
Le 9 janvier dernier, la RATP présentait les 15 idées retenus par le jury et désormais soumises au vote final, jusqu’au 30 janvier. De ces 15 idées, les deux propositions les plus populaires ont été écartées, balayant ainsi tout le débat sur la diminution de la publicité, principal enjeu plébiscité par les citoyens pendant la consultation. En guise d’explication, la RATP déclare simplement qu’« il était impossible de retenir les idées concernant la suppression totale de la publicité, car la publicité contribue à financer le fonctionnement de notre réseau »2. À plusieurs égards cette réponse nous laisse perplexes.
Jeu trouble de la RATP autour des écrans publicitaires
Tout d’abord, la proposition la plus populaire, 7 fois plus que la deuxième, était d’ « enlever les écrans vidéo publicitaires », tandis que seule la deuxième proposait « un métro garanti sans pub ». En attendant de discuter des quelques 60 000 affiches publicitaires disséminées sur l’ensemble des parcours du métro parisien, les citoyens attendent toujours de connaître la position de la RATP concernant les 1150 écrans publicitaires énergivores et agressifs installées dans les transports au cours des dernières années3. Le silence assourdissant du jury sur le point principal du retrait de écran vidéo est inacceptable.
Photo d’Hélène Caville
On comprend ensuite mieux la position de la RATP en découvrant l’idée « coup de cœur » sélectionnée, consistant à utiliser les écrans publicitaires pour diffuser des messages proposés par les usagers sur une plate-forme dédiée4. Une nouvelle fois, la légitimité des messages non marchands est convoquée pour présenter, sous un jour favorable, des supports agressifs et énergivores contestés en tant que tels. En somme, plutôt que de supprimer les écrans comme le réclame la consultation publique, la RATP leur cherche une légitimité par la ruse.
La publicité : à peine 2% du budget de la RATP
Ensuite, selon la RATP, les revenus publicitaires pourraient mettre en jeu le financement des transports ! Nous avons de sérieux doutes : les quelques 100 millions d’euros annuels de revenus publicitaires constituent un apport marginal au budget de la RATP (de l’ordre de 2% du chiffre d’affaires en France) à tel point que, même en cas de suppression totale de la publicité, la RATP resterait bénéficiaire avec les 300 millions d’euros de bénéfices réalisés l’an passé.5
Sans même se focaliser sur la suppression totale, comment est-il possible, face au plébiscite de la régulation de la publicité par les citoyens, de ne pas aborder le sujet de la diminution du nombre d’espaces publicitaires ? Quel est le sens d’une consultation publique où le principal message des citoyens est écarté d’un revers de main ?
« L’équilibre raisonnable » de la RATP, ou comment augmenter la pression publicitaire
Photo d’Hélène Caville
A la suite de sa justification maladroite pour ne pas parler de la quantité d’espaces publicitaires dans les transports, la RATP déclare être « très soucieuse de garantir à ses voyageurs un équilibre raisonnable entre exposition publicitaire et animations culturelles ».6 En d’autres termes, elle substitue la politique de contenu à la politique quantitative, ce qui est un non sens, mais une stratégie bien connue des afficheurs.
Jamais le débat sur la qualité des contenus publicitaires – marchands, culturels ou non marchands – n’a répondu aux problématiques de quantité totale d’espace publicitaire. Si un tel équilibre entre les différents contenus (marchand/non marchand) est bienvenu, voire, nécessaire, il reste qu’à lui tout seul, il n’empêchera pas le nombre de publicités marchandes de continuer de croître. En l’absence d’un plafond pour le nombre total de publicités, il suffira toujours d’augmenter le nombre de messages culturels et non marchands pour permettre aux annonceurs du secteur privé d’augmenter de leur côté leurs publicités marchandes. Et la pression publicitaire générale sur les usagers, d’augmenter indéfiniment dans le cadre de l’ « équilibre raisonnable » proclamé par la RATP.
La combinaison d’une politique quantitative – l’établissement d’un plafond maximum d’espace publicitaires– avec une politique de contenu – limitant la domination des messages marchands pour privilégier les messages culturels ou non marchand – constitue la position des Nations Unies et de la société civile française et internationale, y compris de Résistance à l’Agression Publicitaire. À l’inverse, le remplacement d’une politique quantitative par une politique de contenu, menant à l’absence de tout plafond maximum d’espace publicitaire au profit du seul équilibre entre messages marchand et culturels, est la position du lobby des afficheurs et des annonceurs, représentés en France par l’Union des Annonceurs. Manifestement, c’est désormais aussi la position de la RATP.
Le grand écart de la RATP : entre consultation populaire et soumission au lobby
La RATP est un établissement public qui remplit une mission de service public. Le lancement d’une consultation publique pour « améliorer les services de demain » a été perçu comme un signal fort de la part du cinquième acteur mondial du transport collectif, comme le montre le taux élevé de participation du public. En cette période de grand froid et de pic de consommation, le débat sur les publicités énergivores montre toute sa pertinence : on demande aux citoyens de faire des efforts tout en laissant faire le gaspillage énergétique publicitaire sans contraintes.
L’exclusion arbitraire, parmi les 15 propositions finalement retenues pour le vote final, des propositions les plus populaires parce qu’elles sont relatives à la régulation de la publicité, ne fait que soulever des doutes sur la capture du processus par le lobby publicitaire. Ces doutes se focalisent naturellement sur l’indépendance de certains membres du jury vis à vis des intérêts privés, mais surtout, cela ne manquera pas de rompre durablement la confiance entre le public et la RATP.
RAP Paris
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1 Voir l’article du 28 novembre de RAP, contenant notamment des captures d’écrans montrant les propositions les plus populaires à l’approche de la clôture des votes. URL : https://antipub.org/reponse-massive-des-voyageurs-contre-les-ecrans-numeriques/
2 Lien URL : https://idees.ratp.fr/demarche
3 Source : Mediatransport. 560 écrans numériques dans le métro et 590 faces dans les 17 gares parisiennes.
5 Voir Rapport financier de la RATP 2015. Concernant la part de recettes publicitaires, on note que la publicité n’a même pas sa propre ligne dans le rapport financier, car elle est incluse dans la ligne « produit des activités annexes » (page 83), rendant la part réelle du financement publicitaire particulièrement opaque. RAP estime que les 3/4 des produits des activités annexe relève de la publicité. URL : http://rapportannuel2015.ratp.fr/assets/pdf/fr/rapport-financier-ratp-2015-vf.pdf
6 Lien URL : https://idees.ratp.fr/demarche