Tout récemment, le gouvernement a rendu une proposition de loi inspirée des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), dont 11 étaient censées permettre une baisse de la pression publicitaire et de la promotion des produits polluants, comme le réclament depuis longtemps plusieurs associations. Cependant, une seule proposition a été retenue « sans filtre », pour reprendre l’expression utilisée par Macron dans ses promesses. Nous avons interviewé Eric, rapporteur de la commission « consommer », pour évoquer cette éviction des mesures antipub.
Vous pouvez retrouver cet entretien en audio sur le site de l’émission Zoom écologie de Fréquence Paris Plurielle, en cliquant sur ce lien.
Jeanne : Eric, vous avez été tiré au sort et travaillez depuis plus d’un an dans la CCC, peux-tu nous expliquer comment a fonctionné ce processus citoyen, et comment le sujet de la publicité y a été abordé ?
Eric : Nous avons été tiré.e.s au sort par téléphone, de façon à être représentatifs.ves de la composition de la société française. Notre mission était de faire des propositions pour baisser de 40% les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France, d’ici à 2030, sur la base des émissions de 1990, et dans une perspective de justice sociale. Nous nous sommes réuni.e.s à raison d’un week-end de 3 jours toutes les 3 semaines environ, en présentiel ou en distanciel. Nous avons voté 149 propositions, présentées au président, qui en a retiré déjà 3 lors d’une réception à l’Elysée, utilisant des jokers qui n’étaient pas dans la règle du jeu au départ. Les 146 restantes auraient dû être transmises « sans filtre » au Parlement ou au Gouvernement.
Jeanne : Comment ont émergé les propositions consacrées à la publicité ?
Eric : Il y a eu un tirage au sort pour constituer des groupes thématiques et rencontrer des expert.e.s. On a rencontré le PDG de Danone, l’ADEME, des personnes qui travaillent dans les ministères sur la consommation ou le recyclage, des associations, des ONG… Afin de découvrir la thématique et d’identifier rapidement les leviers prioritaires sur lesquels on pouvait agir pour faire baisser les GES. Au début, les expert.e.s nous étaient un peu imposé.e.s par le comité de gouvernance, parce qu’on débutait. Au fur et à mesure, on a pu solliciter les personnes avec qui on voulait échanger. Très peu de personnes sont venues nous parler de la publicité, si ce n’est Google, qui est venu nous parler des bloqueurs de publicité, et l’ADEME, mais nous nous documentions beaucoup par nous-mêmes.
Jeanne : Quelles étaient vos 11 propositions sur la publicité ? Ont-elles fait consensus ?
Eric : Notre groupe s’était donné deux axes : appeler à plus de sobriété (moins consommer) et à réduire l’impact de nos consommations (mieux consommer). On consomme trop, et des produits nocifs pour l’environnement. La publicité est rarement apparue comme un levier sur lequel agir, puisque c’est une incitation à consommer, et qu’aucun produit soumis à malus écologique n’est interdit de publicité. On s’est dit : « il faut à tout prix informer à ce sujet ». D’où l’idée d’un co2 score (ou co-score, carbone score…) : analyser l’impact carbone de tout produit et service, afficher sa consommation de carbone. On voulait une norme, fiable, mise en place par des scientifiques. Les expert.e.s nous ont dit que ça pouvait être long, et suggéré de travailler sur une interdiction de la publicité pour les produits polluants.
Jeanne : Le co-score permettrait à la fois d’informer et de distinguer les produits trop polluants pour avoir droit à de la publicité ?
Eric : Voilà. On a donc proposé d’interdire la publicité pour les produits soumis à malus écologique. La voiture est un cas concret, mais ça vaut pour d’autres produits, grâce à la Loi économie circulaire. Réponse du gouvernement : on ne retient cette proposition que pour une chose, ce sont les énergies fossiles. Cela exclut beaucoup d’éléments, notamment la voiture. Or l’investissement dans la publicité aujourd’hui en France, c’est 5,1 milliards par an, donc 4,3 milliards pour les voitures. On peut comprendre que les fabricant.e.s aient fait du lobby, mais c’est pas ça qui va faire baisser les GES et inciter à consommer des produits plus vertueux. Par contre, on ne trouve pas de publicités pour les énergies fossiles, donc l’impact de cette proposition gouvernementale sera quasiment nul. On voulait aussi réduire la publicité, l’affichage dans l’espace public. On est trop incité.e.s, dans la rue ou sur Internet, à consommer, consommer, consommer… On voulait donc réduire la publicité dans l’espace public, développer les bloqueurs Internet, et interdire les prospectus dans les boîtes aux lettres. Le gouvernement a proposé de transférer aux maires un pouvoir qui était jusque là partagé entre lui et le préfet, pour limiter la publicité dans sa commune et dans les vitrines et devantures de magasin. Cela peut être favorable, mais notre crainte, c’est la pression que les commerçant.e.s de la commune exerceront sur les maires. A part quelques communes qui ont déjà commencé d’agir, la pression sera telle qu’ils et elles ne pourront pas agir. Concernant les boîtes aux lettres, le ministère propose de substituer le « oui pub » à l’interdiction des prospectus. C’est encore amoindrir nos propositions, car la publicité adressée (distribuée par les facteurs) continuera à être distribuée. Concernant les logiciels de bloqueurs de publicité, le gouvernement répond qu’on ne peut faire face aux GAFA qu’à l’échelle européenne.
Une proposition retenue telle quelle est l’interdiction des avions publicitaires, pratique anecdotiques mais très parlante quant à l’état de notre société : on brûle des énergies fossiles pour promouvoir la consommation. Ça, c’est passé, de même que la partie sensibilisation-éducation des jeunes à la consommation et à l’environnement.
Jeanne : Ce sont donc des propositions assez fortes sur lesquelles vous vous êtes accordé.e.s, en neuf mois…
Eric : Un sondage est paru fin mai 2020 pour Greenpeace fait ressortir que 65% des français.es étaient pour l’interdiction de publicité pour les produits contribuant au changement climatique. Cela a mis de l’eau à notre moulin. À un moment, on n’était plus sur la régulation que l’interdiction, mais on a vu que si on voulait atteindre nos objectifs, il fallait partir sur l’interdiction. L’autorégulation du secteur, on voit bien que ça ne marche pas : un exemple, les mentions « mangez bougez » qui ne changent rien aux comportements alimentaires des enfants. L’interdiction est la seule manière opérante pour remplir nos obligations des Accords de Paris !
Jeanne : Vous avez rencontré Emmanuel Macron le 14 décembre 2020. Comment a-t-il justifié tous ces reculs ?
Eric : Le président a insisté sur l’intérêt du co-score. Mais le co-score, ce n’est qu’une information, et derrière une incitation… Ce n’est certainement pas une interdiction. Sa réponse est biaisée : ça veut dire qu’on a le droit de produire et vendre un produit néfaste pour l’environnement, mais si on le consomme, c’est pas bien !
Jeanne : Cela fait porter le chapeau aux consommat.eur.rice.s.
Eric : Oui, or nous aimerait que tout le monde partage la responsabilité du changement climatique : la production, la vente…
Jeanne : …Et la promotion !
Eric : Oui ! Dans un rapport réalisé par l’ADEME et l’ARPP, sur 26 120 publicités, on constate que seules 833 étaient liées à l’environnement, et que seulement 736 d’entre elles étaient conformes, c’est à dire ne faisaient pas de greenwashing. Celles qui sont jugées non conformes à la déontologie environnementale ne sont condamnées par un « avis défavorable » qu’après que la campagne ait eu lieu. Enfin, les règles de déontologie environnementales sont sans cesse contournées : par exemple, il est interdit de faire des vidéos publicitaires pour des voitures en les mettant en scène dans des paysages naturels. Mais si on met quelques secondes un SUV sur une route, et qu’ensuite on le met en scène sur une plage ou dans une forêt, c’est à dire dans ces paysages qu’il contribue à détruire, ça passe…
Jeanne : Qu’en est-il pour les autres thématiques ? La déception est-elle générale ?
Eric : Oui. On avait des mesures de justice sociale, que Macron a décrété non acceptables par la société française. Or elles le sont, y compris par nous-mêmes, qui sommes représentat.ifs.ves de la société française. La rénovation thermique complète des bâtiments obligeait à diminuer notre dépendance à l’énergie en les isolant. On avait prévu une aide pour les plus pauvres, et cette mesure permettait aussi de baisser leurs dépenses énergétiques. Or il n’y aura pas d’obligations, l’ambition a été amoindrie. On demandait aussi une baisse de la TVA sur les billets de train, qui a été refusée. L’augmentation du budget vélo… Plein de mesures porteuses ont été amoindries. Le président nous a dit qu’il fallait qu’elles soient acceptables : demandez à n’importe qui, je pense que tout le monde est d’accord pour voir le prix des billets de train baisser ! On a aussi été très déçu.e.s pour ce qui concerne l’interdiction des panneaux publicitaires lumineux, qui n’est pas passée. Or l’ADEME a montré que chaque panneau de 2 m2 consomme autant qu’un foyer français (hors dépenses en chauffage).
Jeanne : Quelles sont les prochaines étapes pour la CCC ?
Eric : Pour la publicité, on va rencontrer des acteur.rices du secteur, avec le Ministère de la culture, et les parlementaires. Lors d’une des réunions avec le MTES, Madame Bachelot qui était présente a dit que si on s’attaque à la pub, on met à mal les médias. Un député est intervenu pour dire que cela ne reflétait pas les acteur.rices du secteur de la publicité lors des auditions à l’AN. On devrait donc les rencontrer avec les parlementaires, de façon à avoir un discours cohérent. Le projet de loi devrait être voté avant l’été, vers le mois de juin. Nous espérons que les parlementaires pourront déposer des amendements qui reflètent nos propositions initiales. Notre dernière session aura lieu en février, elle a pour titre « la réponse à la réponse » : notre réponse au projet de loi dans sa phase finale.