Publicité dans les programmes jeunesse du service public : synthèse et analyse des débats du 14 janvier à l’Assemblée nationale

Nous revenons sur les débats à l’Assemblée nationale qui ont abouti au vote de la proposition de loi relative à la la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique. On trouvera l’intégralité des débats à cette adresse.

Consensus pour la protection des enfants…

Dans l’ensemble, nous avons noté un consensus assez large de tous les groupes parlementaires pour soutenir l’idée qu’il faut protéger les enfants de la publicité. À peu près tous les députés qui se sont exprimés ont commencé leur intervention en dénonçant, parfois de manière très virulente, le système publicitaire dans son ensemble et plus précisément lorsqu’il cible les enfants. Jean-Noël Carpentier (PRG) a ainsi cité la célèbre déclaration de Patrick Le Lay à propos du « temps de cerveau disponible » (1), après avoir accusé les annonceurs de « frôler la communication mensongère ». La députée écologiste Michèle Bonneton (EELV) a, entre autre, rappelé que la jeunesse était la priorité du candidat François Hollande en 2012. Barbaba Pompili (EELV) a, quant à elle, affirmé que la protection des enfants relevait de la mission de service public.

…mais il serait urgent d’attendre

En revanche, si Valérie Corre, Marie-Georges Buffet ou Fleur Pellerin se sont accordées pour constater l’influence néfaste de la publicité, il leur semblait surtout urgent d’attendre d’en savoir plus pour faire un premier pas:
Valérie Corre (PS) a consacré l’autorégulation publicitaire comme étant un outil très efficace au point qu’il ne serve à rien à l’État de se préoccuper de son activité, allant jusqu’à montrer en exemple le kit pédagogique Media Smart qui circule actuellement dans les écoles et qui est rédigé par l’Union des Annonceurs (2) pour prouver que les enfants étaient bien éduqués au discours publicitaire. Pour l’élue socialiste, l’exposition des enfants à une multitude de publicités, sur différents supports, rendrait la proposition de loi peu efficace, ce qui justifierait son abandon.
Marie-George Buffet (PCF) a dénoncé, à juste titre, le fait que la proposition ne s’applique pas aux chaînes privées, pour mieux justifier son vote contre la proposition. Il nous apparaît étonnant que le PCF n’intègre pas la position de neutralité du service public par rapport aux intérêts privés.
Fleur Pellerin (PS), pour le gouvernement, a défendu les emplois de la « création publicitaire » et le risque financier pour France Télévision, montrant ainsi que l’exécutif préfère abandonner les cerveaux des enfants à l’industrie publicitaire plutôt qu’explorer d’autres pistes.

Ainsi, si tous les groupes parlementaires sont pour la protection des enfants, deux arguments les empêchent de voter massivement pour cette proposition de loi :
– d’une part, le texte ne serait pas efficace parce que seulement limité aux chaînes publiques ;
– d’autre part, la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse fragiliserait les finances de France Télévision.

Loi qui pourrait être plus efficace, mais qui est nécessaire en l’état

Sur l’argument de l’efficacité, nous regrettons effectivement que la proposition n’aille pas plus loin en interdisant à toutes les chaînes de vendre le « temps de cerveau disponible » des enfants aux annonceurs. Mais cet argument revient à dire, d’une part que le service public n’a aucune mission ni valeur particulière à défendre et qu’il est parfaitement équivalent au secteur concurrentiel privé, d’autre part que, puisque, par exemple, les pesticides sont partout, on peut bien en ajouter une petite couche là où il n’y en a pas, au lieu d’essayer d’au moins en réduire l’usage à défaut de pouvoir les supprimer.

Certes l’impact de la loi est très limité, oui, les enfants regardent énormément les chaînes privées et effectivement il regardent aussi des programmes non estampillés « jeunesse ». Mais offrir un espace où les enfants peuvent se divertir sans être rappelés à la surconsommation est aujourd’hui une nécessité. Le service public est le meilleur endroit pour commencer à désintoxiquer les plus jeunes du discours publicitaire.

Des finances publiques fragilisées… par l’évasion fiscale des annonceurs

Sur l’argument de la fragilisation des finances de France Télévision, nous nous étonnons que le gouvernement peine à trouver 20 millions d’euros (estimation la plus haute avancée), lorsque chaque année l’évasion fiscale évite 60 à 80 milliards d’euros de recettes à l’État. Évasion fiscale largement pratiquée par la plupart des grands annonceurs qui se disent fiers de « financer la pluralité des médias » grâce à la publicité, mais qui sont nettement moins enclins à payer leurs impôts. En effet, ces derniers, s’ils sont acquittés, ne permettent pas aux annonceurs de créer des « occasions de voir » (3) leurs messages pour augmenter leur notoriété.

Ainsi, le gouvernement préfère faire financer le service public audiovisuel par un impôt privé ponctionné par les grandes marques sur le prix des produits qu’elles vendent, plutôt que par l’impôt public. En définitive, c’est donc toujours le citoyen qui finance. Mais dans le cas de l’impôt public, il a un pouvoir sur l’utilisation de cet argent. Dans le cas du financement publicitaire, il ne sait ni combien lui coûte l’impôt publicitaire, ni comment sont alloués les fonds ainsi perçus.

La redoutable conséquence de ce choix, à laquelle il n’est pas certain que le service public puisse échapper puisqu’il va en faire dépendre son équilibre financier et son existence, est que le financement publicitaire finit par dicter la ligne éditoriale du media : recherche de l’audimat, émissions lénifiantes pour rendre « disponible » au discours publicitaire le cerveau du téléspectateur, coupures intempestives, promotion de la surconsommation, de stéréotypes en tous genres, de comportements à risques… contreparties qui sont autant d’effets pervers induits par la fausse gratuité publicitaire.

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Notes

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Temps_de_cerveau_humain_disponible
(2) http://www.mediasmartplus.fr/site/la_demarche.html
(3) http://www.mercator-publicitor.fr/lexique-marketing-definition-ode-odv

Annexe

Liste des votants identifiés sur la vidéo des débats. Liste non exhaustive

Députés opposés :
Valérie Corre (PS)
Yves Durand (PS)
Jean-Pierre Allossery (PS)
Jean-Luc Laurent (PS)
Patrick Bloche (PS)
Rudy Salles (UDI)
Frédéric Reiss (LR)
Marie-Georges Buffet (PCF)

Députés favorables :
Isabelle Attard (EELV)
Michèle Bonneton (EELV)
Barbara Pompili (EELV)
Danielle Auroi (EELV)
Laurence Abeille (EELV)
Sergio Coronado (EELV)
Cécile Duflot (EELV)
Véronique Massonneau (EELV)
Eva Sas (EELV)
François De Rugy (EELV)
Paul Molac (EELV)
Jean-Noël Carpentier (PRG)

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