Au sujet du spot Apple célébrant la campagne Apple

Analyse de François Brune des campagnes d’Apple

Ce qui m’a frappé, en lisant les fiches concernant les stratégies et hypocrisies d’Apple, c’est qu’on n’y met pas vraiment en cause les images en tant que telles, dont la réussite factuelle (belles, surprenantes, inouïes, etc.) fait oublier l’assise idéologique de l’image dans nos sociétés.

La rhétorique des visuels publicitaires est toujours trompeuse, en ce qu’elle joue de l’esthétique de l’image pour maquiller ou faire oublier le réel du produit, sans parler de ses conditions de production, qui peuvent être aux antipodes. Plus l’image séduit, plus elle désinforme.

Si la publicité de l’Iphone, qui est d’abord un téléphone, est centrée à fond sur ses capacités photographiques, ce n’est donc pas un hasard.

La domination de l’image est telle, dans notre société de spectacle, que cet asservissement est vécu comme naturel par la plupart des gens, et notamment les jeunes. Ils ne voient donc aucune contradiction au fait qu’on valorise le produit par l’une de ses fonctions jugée seconde (mais non pas secondaire aux yeux des clients qu’elle entend racoler).

Nous sommes bien dans un monde où règne l’idéologie de l’image. Dans l’image, chacun croit pouvoir trouver la « réalité » que celle-ci est censée représenter. Photographier un objet, un paysage, un visage, c’est s’imaginer qu’on en saisit l’essence. On possède, du même coup, ce qu’on prend en photo.

Mais c’est un grand leurre. Aussi réaliste que soit le « visuel » d’une réalité, nous n’en saisissons dans chaque cas qu’une apparence parmi une infinité d’autres, à un instant précis, parmi une infinité d’autres instants… Plus donc on croit à l’image, plus on adhère à son mensonge : que ce soit en se trompant soi-même, ou pour tromper autrui…

Ces évidences éclairent la stratégie d’Apple. C’est offrir un incroyable pouvoir virtuel que d’offrir aux gens (et aux plus jeunes), cette capacité de régner par l’image sur tout et tout de suite, en un simple clic. Qu’importe s’il s’agit d’une illusion de pouvoir : ils veulent tant y croire.

Mais voilà, si ce « règne par l’image » offert aux usagers est illusoire, le pouvoir des vendeurs sur ceux qui les croient, lui, est bien réel. Celui qui vous offre une possession veut toujours vous posséder. Dans ce spot où le produit promet au client un pouvoir de démiurge, Apple joue le rôle du « Diable » tentateur disant au Christ : « Prosterne-toi devant moi, et je te donnerai tous les règnes du monde ».

Tout cela saute aux yeux, si j’ose dire, dès le début du spot, quand surgit en gros plan l’œil de la caméra greffée sur l’Iphone, qui sera l’outil de ma « domination » sur ce que je prendrai en photo. Avec l’Iphone, je vais jouir du regard même de Big Brother sur la totalité du Réel dont on me promet le monopole.

Alors commence, bien rythmée, l’évocation des multiples visuels de cette campagne destinée à conquérir les marchés. Effet de variété : Apple feint d’appréhender le réel planétaire sous toutes ses formes, depuis le visage craquant de l’enfant en gros plan jusqu’aux tours immenses des mégalopoles, telles des vaisseaux se mouvant dans l’espace intergalactique. Effet d’exhaustivité : ces centaines d’affiches vont couvrir tout le globe, transformant le leurre de chaque visuel, pris isolément, en un vaste mythe mensonger s’emparant d’une planète qui s’extasie dans la contemplation d’elle-même. Pourquoi d’elle-même ? Parce que ce sont des habitants lambda, des citoyens de base de la Terre, qui ont « pris » ces photos (mais c’est Apple qui les choisit). Argument classique de tous les démagogues : mon pouvoir, c’est le vôtre. Le gouvernement d’Apple concède subtilement aux citoyens aliénés cette once idéale de pouvoir qui, à la fois, contribue à leur aliénation et en légitime la réalité.

Sur le contenu et le choix de ces « images du monde » triées et mises en scène, il y aurait beaucoup à dire. En gros, le spectateur doit se sentir 1/ Capté-ému par des images de « pure » nature (type champ de fleurs, peau de bébé) 2/ Emporté-choqué par des vues de nature surnaturelles ou insolites (type « deux jambes d’être humain sur un roc, au milieu des nuées) » 3/ Transporté dans un monde urbain hypermobile, surréaliste, où la ville hyperbolisée en ses images devient une nouvelle Nature, engendrée par la modernité).

Quoi qu’il en soit, la négativité et le tragique humain sont bannis du monde transfiguré par le Dieu Apple. Si vous acceptez de rejoindre cet Éden, vous y serez des anges.

François Brune