À l’approche de l’élection présidentielle, nous revenons sur le quinquennat qui s’achève. Durant ce mandat, de nombreuses occasions de s’attaquer à la publicité se sont présentées. Si quelques avancées ont pu avoir lieu, elles ne sont pas à la hauteur des enjeux écologiques et sociaux. D’autant que ce mandat a aussi connu des reculs. À la lecture des programmes des candidat·es à la présidentielle, un mandat décisif pour changer le cap, nous remarquons que seuls deux sortent du lot.
Interdiction des écrans numériques : fin de non-recevoir pour le gouvernement
Durant le quinquennat, de multiples occasions d’interdire les écrans numériques publicitaires ont été ratées par le gouvernement. Que ce soit dans la loi « énergie climat », la loi « anti-gaspillage et pour l’économie circulaire », ou encore la loi « climat et résilience », celui-ci a donné un avis défavorable à tous les amendements allant dans ce sens, y compris quand ces derniers venaient de parlementaires LREM. Des député·es de la France Insoumise, du Parti Socialiste, de Génération Écologie ont défendu cette interdiction, y compris concernant les gares et les transports en commun ou derrière les vitrines des magasins. Refus ferme et définitif du gouvernement à chaque proposition des parlementaires.
Pire, dans la loi « climat et résilience », il a fait semblant d’agir sur les publicités numériques derrière les vitrines en proposant aux communes de pouvoir les encadrer (mais pas les interdire) dans leur règlement local de publicité (RLP). À l’heure où la loi était discutée, la plupart des RLP venaient d’être finalisés, ou en passe de l’être. Rappelons que ces documents administratifs, étant donné la lourdeur de la procédure, ne sont pas révisés à chaque mandat, mais plutôt tous les 10 ou 20 ans. Et une fois voté, le RLP ne s’applique que deux ans plus tard pour les publicités, et six ans pour les enseignes. Les communes pourront donc, dans des années, choisir la longueur de la chaîne, mais pas la briser.
Loi Évin climat : un petit pas
Une autre proposition a été souvent débattue au Parlement durant ce mandat : celle d’interdire la publicité pour les produits les plus polluants, sur le modèle de la loi Évin qui bannit toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac. Des amendements visant à interdire la publicité des véhicules les plus émetteurs de CO2 ont d’abord été proposés dans la loi d’orientation des mobilités. Durant les débats relatifs à la loi « anti-gaspillage et pour l’économie circulaire », des amendements proposant de bannir les publicités pour les smartphones, l’eau en bouteille plastique jetable, les vols intra-nationaux, les SUV, ainsi que celles qui incitent à la dégradation, au mésusage ou à l’abandon des produits n’ont pas été adoptés. Le gouvernement a préféré commander un rapport sur la publicité pour juger de la pertinence de telles mesures.
Celui-ci est sorti juste avant le rendu des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat. Or si cette dernière a aussi proposé d’interdire la publicité pour les produits les plus polluants, le rapport, lui, faisait la part belle à l’autorégulation du secteur.
Le gouvernement a donc choisi de faire semblant de reprendre la proposition, mais « avec filtre », à savoir que l’interdiction ne porte finalement que sur la publicité des énergies fossiles1, c’est à dire l’un des secteurs qui fait le moins de publicité. Il s’agit néanmoins d’une avancée puisque le principe d’interdire de publicité certains secteurs n’était pour l’instant possible que pour des raisons sanitaires. Il est donc maintenant possible de le faire pour des raisons écologiques.
À noter que la loi « climat et résilience » prévoit aussi d’interdire la publicité pour les véhicules émettant plus de 95g de CO2, mais seulement à partir de 2028, soit deux ans avant l’interdiction européenne de ce type de véhicules. Le gouvernement n’a pas retenu l’idée de certain·es parlementaires d’y introduire une notion de poids, ce qui fait qu’il sera toujours possible de faire la promotion de tanks urbains, aussi connu sous le nom de SUV, du moment qu’ils émettent peu.
Affichage extérieur : en marche vers la France moche
Outre la stagnation sur le sujet des écrans numériques et la maigre avancée en matière de loi Évin climat, pas du tout à la hauteur des enjeux , le gouvernement a organisé un très grave recul dans le code de l’environnement concernant la publicité extérieure : le retrait de l’État en tant que police de l’affichage au seul profit des maires.
Ce qui pourrait paraître un détail n’en est pas un. En effet, avant la loi « climat et résilience », si un panneau publicitaire ne respectait pas le Code de l’environnement, l’autorité compétente en matière de police de l’affichage était soit le/la maire, si la commune était pourvue d’un règlement local de publicité, soit le/la préfet·e, donc l’État. Et si un·e maire n’agissait pas, la préfecture pouvait prendre le relais afin de faire mettre en conformité le panneau litigieux.
Or si certain·es maires font bien respecter la réglementation, d’autres laissent faire, souvent par clientélisme électoral, pour ne pas froisser telle ou telle enseigne ou pour ne pas faire arrêter un contrat entre un particulier et un afficheur qui louerait le mur ou le jardin dudit particulier pour y apposer un panneau. D’autres maires laissent faire car la législation est complexe et les plus petites communes n’ont pas les moyens d’avoir des services compétents en la matière.
Malgré nos alertes au gouvernement, aux parlementaires, aux rapporteures Aurore Bergé et Martha de Cidrac, rien n’y a fait, le gouvernement était décidé à désengager l’État de ce dossier qui, il est vrai, lui a valu plusieurs condamnations pour inaction en la matière…
Régulation et autorégulation, « en même temps »
La loi « climat et résilience » a été une véritable démonstration du « en même temps », si cher à Emmanuel Macron.
D’un côté, le texte restreint la possibilité de l’allégation de neutralité carbone dans la publicité sous condition – alors qu’une interdiction pure et simple aurait été plus pertinente. La loi a aussi introduit l’impact environnemental dans la publicité trompeuse , ce qui permettra à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de rappeler à l’ordre les entreprises qui pratiquent le greenwashing. À voir comment la justice s’empare de ces nouveautés juridiques. Une première plainte a d’ores et déjà été déposée par les Amis de la Terre, Greenpeace et Notre affaire à tous.
De l’autre côté, la loi a introduit les « contrats climat » qui gravent dans le marbre le principe d’autorégulation et qui mettent à l’honneur les engagements volontaires des entreprises, manière de reproduire ce que l’industrie agro-alimentaire avait réalisé avec la Charte alimentaire pour éviter une interdiction de la publicité des produits trop gras, trop sucrés, trop salés, avec le succès que l’on sait sur cette mesure en matière d’obésité et de troubles des comportements alimentaires.
Présidentielles : un futur mandat décisif
Alors que société civile et citoyen·nes convergent pour demander une refonte du système publicitaire, les contraintes réglementaires amenées par le quinquennat Macron demeurent bien faibles.
Le prochain mandat sera une occasion décisive de les renforcer. C’est pourquoi nous interpellons les candidat·es sur l’ampleur des conséquences sociales et environnementales du système publicitaire actuel, qui envahit les espaces publics et privés, est énergivore et vecteur d’un modèle de société destructeur pour la planète.
À ce jour, nous pouvons relever que plusieurs de nos propositions sont reprises par deux candidats en lice. Les programmes de Jean-Luc Mélenchon et de Yannick Jadot sont les plus élaborés à ce sujet et prônent une loi Évin Climat ainsi que l’interdiction des écrans numériques. La critique du système publicitaire et la nécessité de sa régulation ressortent dans plusieurs chapitres du programme du candidat de l’Union Populaire. Ce dernier propose aussi de réguler la publicité dans de nombreux domaines (boîtes aux lettres, protection des jeunes, lutte contre la malbouffe, télévision, transports en commun, sexisme…). De son côté, le candidat d’EELV a une partie dédiée à la publicité dans son programme où apparaît notamment la création d’une autorité de contrôle indépendante avec un mécanisme de sanction opérant et dissuasif2.
D’autres candidat·es de « gauche » reprennent quant à eux brièvement le sujet de la publicité. Fabien Roussel, énonce sa volonté d’un « encadrement strict des publicités poussant à la consommation ». Nathalie Arthaud dénonce le greenwashing comme stratégie directement liée aux dérives du capitalisme. Philippe Poutou affirme pour sa part vouloir « stopper les productions inutiles, dont la publicité ». Enfin, Anne Hidalgo a inscrit dans son programme une interdiction de la publicité pour les produits alimentaires « néfastes pour la santé » destinée aux enfants, seule timide proposition pour réguler le secteur, ce qui est peu étonnant quand on connaît son (in)action en la matière en tant que maire de Paris.
Les autres candidat·es n’abordent tout simplement pas cette thématique.
Nous appelons donc les candidat·es qui ne l’ont pas déjà fait à s’en saisir à travers trois de nos principales revendications. En premier lieu, l’interdiction totale des écrans publicitaires numériques dans l’espace public est prioritaire au regard des enjeux de consommation énergétique. En second lieu, face à la surconsommation des produits climaticides, l’adoption d’une véritable loi Évin climat – qui interdirait la publicité et le sponsoring en faveur des biens et services les plus nocifs pour la santé et l’environnement – est indispensable. Enfin, le problème du laxisme de l’autorégulation ne pourra se résoudre qu’avec la création d’une autorité de contrôle réellement indépendante.
Les cinq années à venir seront déterminantes pour répondre aux impératifs écologiques et sociaux de notre temps. Pour y arriver, il faudra de la sobriété dans l’utilisation des ressources, de l’exigence démocratique et de l’équité. Dans cette optique, l’exécutif devra faire preuve de courage politique afin de protéger l’intérêt général sans céder au puissant lobbying des multinationales ; comme cela fût le cas avec le détricotage des propositions de la Convention citoyenne pour le climat (au point que la présidente exécutive d’Havas a déclaré qu’ils et elles étaient « parvenu·es à convertir les politiques »).
Toujours est-il que quelle que soit l’issue des élections, nous continuerons à œuvrer pour des politiques publiques ambitieuses en termes de régulation publicitaire. Et vous, quel modèle de société souhaitez-vous pour demain ?
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Comme à chaque élection, notre association ne souhaitant pas faire de publicité aux groupuscules d’extrême-droite, il manque des candidats officiels à cet exposé. Il ne s’agit pas d’un oubli.
[EDIT] Certain·es d’entre vous ont demandé des précisions sur ces notations. Voici les éléments.
Sur le fond, nous notons les candidat·es (comme toute association) au regard de notre manifeste, de différents enjeux et de nos revendications. Nous sommes ainsi en faveur de la liberté de réception et nous ne souhaitons pas l’interdiction « totale » de la publicité. Libre à vous de vous appuyer sur les évaluations d’autres associations.
Quant à la forme, notre notation renvoie aussi au niveau de précision et de sérieux d’une proposition sur sa mise en application. Une fois ces précisions apportées, nous pourrons réévaluer le·a candidat·e. C’est bien dans cette optique que nous appelons les aspirant·es président·es à réagir en développant leur propos.
1 Une disposition à la portée d’autant plus réduite que le projet de décret d’application prévoit de n’interdire que la publicité directe (contrairement à l’avis du Conseil d’État) pour les sources d’énergie composées à moins de 50% d’énergies dites renouvelables.
2 Il est à noter que le projet d’EELV pour les législatives est plus « complet » que celui de Jadot pour la présidentielle.