Haarlem, ville néerlandaise de 160.000 habitant·es, connaît un certain succès depuis quelques semaines. Les journaux la citent comme étant la « première ville au monde à interdire la publicité pour la viande ». Sauf que… Ce n’est pas tout à fait le cas. Regardons-cela de plus près !
Une tentative de mettre fin aux publicités climaticides…
En novembre 2021, le conseil municipal de Haarlem avait adopté une motion d’interdiction des publicités pour les carburants fossiles, le transport aérien, les véhicules à moteur thermique et les produits issus de l’élevage intensif dans la majorité de l’espace public. Reconnaissant l’impact climatique désastreux des énergies fossiles et de l’agriculture industrielle, les élu·es estiment que la ville « ne devrait pas inciter ses habitants à adopter un comportement qui contribue à l’aggravation de la crise climatique » [1] en laissant figurer des réclames pour ces secteurs.
Rappelons en effet que la combustion des énergies fossiles est à l’origine de 80% des émissions de C02, et l’élevage du bétail de 14,5% (voire bien plus) des émissions totales de gaz à effet de serre. Et ce, sans compter ses implications dramatiques en matière de déforestation, surconsommation d’eau, santé publique et bien-être animal. Les eaux et les sols sont d’ailleurs particulièrement polluées par les rejets issus de l’élevage aux Pays-Bas.
De plus Haarlem, qui a officiellement reconnu l’état de crise climatique, renforce son offre de transports publics « durables ». Le conseil explique ainsi que les publicités fossiles portent un message en contradiction avec sa mesure d’augmentation du parc de bus électriques.
…plus qu’une réalité.
À l’époque, la motion était passée relativement inaperçue… jusqu’à ce qu’un média local relance récemment le sujet, entraînant un effet boule de neige jusque dans la presse internationale.
Mais la rapidité de l’information n’est pas synonyme de sa qualité, et ces titres sont trompeurs. En effet le texte n’interdit pas les publicités pour les produits fossiles et carnés en tant que telles. Il propose seulement un accord volontaire avec les afficheurs ayant conclu des contrats de mobilier urbain avec la ville (soit majoritairement JCDecaux), qui ont, sans surprise, refusé…
À ce jour et contrairement à ce qu’affirment certains titres racoleurs, l’interdiction de la publicité pour les produits fossiles et issus de l’élevage intensif n’est donc pas effective. Il est complexe de connaître précisément les moyens à disposition du conseil municipal pour remédier à cette situation. Parmi les solutions évoquées : attendre l’expiration des contrats, en 2024, 2025 et 2031 pour passer des appels d’offre incluant ces restrictions, ou modifier la réglementation locale.
La liste exhaustive des produits issus de l’élevage intensif dont la publicité serait bannie demeure, de même, à construire. Nous pouvons supposer qu’elle viserait prioritairement les viandes industrielles bon marché, dont celles des chaînes de restauration rapide, selon les déclarations de la conseillère Ziggy Klazes du parti écologiste GroenLinks – qui est à l’origine de la motion.
Levée de boucliers
Toujours est-il que les réactions n’ont pas manqué d’affluer. La directrice nationale de JCDecaux, Hannelore Majoor, a qualifié la motion de « condescendante et irréfléchie ». Le lobby local de la viande a déclaré que la ville allait trop loin « en disant aux gens ce qui est bon pour eux ». Le président du parti conservateur Trots Haarlem, Sander van den Raadt, a lui opposé les amateur·ices de viande aux « mangeurs de pelouse »… et proposé d’offrir un barbecue à la personne qui réalisera la plus belle affiche de produit carné.
La conseillère Ziggy Klazes a riposté à la radio locale en déclarant « Nous ne pouvons pas dire aux gens qu’il y a une crise climatique et les encourager à acheter des produits qui en sont la cause ». Nous saluons son bon sens.
Si la presse étrangère s’est emparée de cette « nouvelle » datant d’un an, la France n’est pas en reste. Sans vérifier l’effectivité de cette interdiction, la presse a notamment donné la parole aux opposant·es à cette mesure, la qualifiant de « dictatoriale », « portant atteinte à la liberté d’expression», « incarnation de l’écologie punitive »… La palme revenant au Figaro qui a publié un long entretien avec Adrien Dubrasquet, directeur d’agence de communication qui se demande si l’on doit « perdre nos libertés pour sauver la planète ? ». S’il fait référence à notre « liberté » de subir des centaines de messages publicitaires non sollicités, nous répondons positivement à la question. Car non, comme l’affirme M. Dubrasquet, la propagande commerciale n’est pas un « principe démocratique fondamental ».
Vers la fin des publicités climaticides en Europe?
Cette mesure, en cas de succès, constituerait un signal politique fort que nous soutenons en ce qu’elle rejoint nos revendications pour la fin des publicités climaticides, et intégrerait pour la première fois, aux côtés des publicités pour les produits fossiles, les publicités pour la viande industrielle.
Mais nous ne pouvons que constater les difficultés rencontrées par Haarlem pour l’implémenter, qui démontrent plusieurs choses. D’abord, le modèle volontariste ne fonctionne pas : sans l’exercice d’une forme de contrainte, nous ne pouvons pas compter sur JCDecaux et consorts pour prendre acte des conséquences de leur activité. La ville d’Amsterdam l’avait déjà appris à ses dépens, puisque sa tentative de « discussions » avec les afficheurs pour interdire les publicités fossiles s’était soldée par un échec partiel (l’interdiction ne s’appliquant finalement que dans le métro et pour les publicités pour l’avion uniquement lorsque les prix des trajets y figurent, ainsi que pour l’essence).
Le poids économique des acteurs de la viande industrielle ne facilite pas non plus la tâche. Les Pays-Bas sont en effet le premier exportateur européen de viande, et le pays peine à sortir de son modèle intensif et productiviste. Nous pouvons facilement imaginer que les oppositions seraient similaires en France, ne serait-ce qu’au vu de l’interdiction de l’utilisation des appellations de type « steak » par les fabricants d’alternative végétales, victoire du lobby de la viande.
Enfin, l’afflux de réactions disproportionnées prouve que les résistances culturelles sont très importantes. Les médias ont à peine évoqué les possibilités d’interdiction des publicités fossiles, se concentrant quasi-exclusivement sur la question de la viande ! Certains propos ne sont pas non plus sans rappeler les pseudos-polémiques concernant les déclarations de Sandrine Rousseau, qui démontrent à quel point il est urgent de s’émanciper du cadre socio-culturel dans lequel la consommation de viande, et globalement la plupart des activités polluantes, sont associées à des stéréotypes genrés que la publicité entretient [2].
C’est pourquoi il est indispensable de continuer à réclamer, en parallèle des luttes locales, une interdiction transnationale des publicités climaticides. Pour le moment, l’initiative citoyenne européenne « Ban Fossil Ads » demande l’interdiction des publicités des entreprises fossiles, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre. Mais il n’est pas impossible qu’à l’avenir, l’élevage intensif soit dans le viseur…
[1] Traduction depuis la motion néerlandaise.
[2] Un rapport de Greenpeace a identifié 7 mythes sur lesquels l’industrie de la viande s’appuie pour faire sa promotion. Le mythe de la virilité y apparaît prédominant.