Aujourd’hui ou la semaine prochaine, ne participons pas au Black Friday !

 

L’année dernière, RAP a dénoncé l’absurdité de l’opération commerciale du Black Friday. Cette année le confinement nous prive de nos moyens d’action habituels, mais ne nous empêche pas de nous exprimer, d’exposer nos motivations et de tenter de convaincre.

Article écrit par les membres de RAP Troyes.

Le Black Friday correspond, en Amérique du Nord, au lendemain du repas de Thanksgiving, qui a lieu le 4ème jeudi du mois de novembre. Ce vendredi « noir » lance la saison d’achat avant Noël outre-Atlantique et permet à certaines grandes marques d’assurer leur chiffre d’affaires de l’année. C’est donc très naturellement que les distributeurs français ont ajouté cette nouvelle fête de la surconsommation entre Halloween et Noël. L’édition 2019 a battu tous les records avec plus de 56 millions de transactions bancaires en une journée, soit une augmentation de 12 % par rapport à l’année précédente1.

Inexistante en France il y a 10 ans, cette grand-messe du shopping est devenue incontournable, et même vitale, si l’on en croit les débats de ces derniers jours. Ainsi la phrase de Bruno Lemaire ce 18 novembre devant le Sénat : « Est-ce que vraiment, vendredi 27 novembre, c’est la bonne date pour organiser un Black Friday ? Ma réponse est non ». 

Non, bien sûr ! Mais est-ce vraiment une question de date… ?

Nous estimons qu’il est indispensable de ne pas faire le Black Friday, pour des raisons d’ordre écologique, social, philosophique et économique.

D’abord, le Black Friday participe d’une logique de surconsommation qui accélère la destruction écologique en cours. Car l’événement, qui concerne en premier lieu les secteurs de la mode et des équipements électroniques et électroménagers2, accélère le phénomène de fast fashion et de remplacement prématuré du matériel. Or, les données ne manquent pas sur l’impact environnemental et social de l’industrie de la mode3 ou du numérique4. Rappelons que cette surconsommation repose sur des échanges écologiques inégaux à l’échelle du globe : la consommation des pays  « riches » est rendue possible par le pillage et la pollution des pays « pauvres »5

Par ailleurs, cet événement profite principalement à la vente en ligne : par rapport à un jour standard, ce type d’achat a bondi de 263 % lors du Black Friday 20196. La réouverture des commerces ne changera rien à cela, étant donnée la place toujours plus grande qu’a pris le numérique depuis le début de l’épidémie. Il est d’ailleurs un outil parfait pour le système publicitaire, car l’immédiateté qu’il permet rend possible l’adéquation entre le temps de la pulsion et le temps de l’achat : je peux cliquer pour acheter dès que l’envie d’acheter me vient, je n’ai pas à mettre mes chaussures, prendre mon vélo ou ma voiture pour aller jusqu’au magasin puis patienter à la caisse pour payer. Le numérique peut donc accélérer le consumérisme, le tout dans une dépense d’énergie mal connue du grand public. 

Enfin, dans la grande machine productiviste, les goûts des consommateurs doivent suivre les besoins de la production. C’est le rôle de la publicité de faire coïncider les désirs irrationnels des individus et la production rationalisée. Finalement, le consommateur n’est plus qu’un rouage dont le rôle est d’écouler les marchandises. Le Black Friday s’inscrit dans cette dynamique et l’intensifie, il participe au renouvellement et à la standardisation des désirs.

Avec la crise sanitaire et le confinement, nous subissons des contraintes sans précédent ; la distanciation sociale nous prive de contacts physiques et humains, la présence de l’autre est avant tout un risque potentiel, une source d’angoisse. La publicité joue sur cette frustration et nous promet de la liberté, de la sérénité, du bonheur… Comment reprocher aux gens de se faire plaisir ? Comment leur demander encore d’être raisonnables ? 

Rappelons-le, le Black Friday n’est pas le résultat d’une somme de comportements individuels grégaires, comme son nom semble le suggérer7. Il est l’expression d’un système qui court à sa perte, il en est la caricature. Soyons clairs : notre projet ne s’arrête pas à la lutte contre le Black Friday. Le travail à mener est infiniment plus vaste, et il implique de redéfinir nos représentations de ce qui est désirable.

C’est pourquoi nous demandons aux décideurs politiques de légiférer sur ces trois aspects :

  • Proscrire les contenus publicitaires incitant à la dégradation, à la mise au rebut et au remplacement prématuré des biens.

  • Proscrire la publicité pour certains produits particulièrement nocifs pour la santé, le climat et l’environnement en commençant par les secteurs de l’aérien, de l’automobile, du maritime, des énergies fossiles et le textile neuf.

  • Interdire les supports polluants énergivores et imposés : écrans numériques, et les prospectus publicitaires. 

Une occasion allant dans ce sens se présentera avec les mesures proposées par la convention citoyenne pour le climat (CCC). 11 des 150 propositions de la CCC concernent directement la régulation de la publicité dans plusieurs domaines (espace public, produits trop polluant, internet,…). Ces mesures si elles seront traduites à priori « sans filtres » au niveau législatifs iront dans le même sens que nos demandes. Il s’agit d’une occasion historique. Saisissons cette occasion pour interpeller nos député·e·s et leur demander d’aller dans le même sens de la CCC.

Notes

1 – Voir « Black Friday : plus de 56 millions de paiements par carte bancaire, nouveau record », article de RTL, 2 décembre 2019, disponible à  https://www.rtl.fr/actu/economie-consommation/black-friday-plus-de-56-millions-de-paiements-par-carte-bancaire-nouveau-record-7799603862

2 – Voir « Black Friday 2019 : les chiffres clés », article de France Bleu, 28 novembre 2019, disponible à https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/black-friday-2019-les-chiffres-cles-1574952214 

3 – Voir l’infographie « La mode sans dessus dessous », disponible à https://www.qqf.fr/infographie/59/la-mode-sans-dessus-dessous  et l’infographie « Le bleu jeans est-il vert ? », disponible à https://www.qqf.fr/infographie/46/les-jeans

4 – Voir l’infographie « Pollution numérique : du clic au déclic », disponible à https://www.qqf.fr/infographie/69/pollution-numerique-du-clic-au-declic , et le rapport « Numérique et développement durable : liaisons dangereuses ? »  du Centre Ressource du développement durable, disponible à http://www.cerdd.org/Parcours-thematiques/Transitions-economiques/Ressources-transitions-economiques/Numerique-et-Developpement-Durable-liaisons-dangereuses

5 – Voir Christophe Bonneuil,  « Tous responsables ? ». In : Le Monde Diplomatique, novembre 2015, pp. 16-17. Disponible à https://www.monde-diplomatique.fr/2015/11/BONNEUIL/54139

6 – Voir « Black Friday : un chiffre d’affaires en hausse de 31 % entre 2018 et 2019 », article de Clubic, 3 décembre 2019, disponible à https://www.clubic.com/pro/e-commerce/actualite-878421-black-friday-chiffre-affaires-hausse-31-2018-2019.html

7 – Ecouter « Faut-il supprimer le « Black Friday » ? », édito de Guillaume Erner, 18 novembre 2020, disponible à https://www.franceculture.fr/emissions/lhumeur-du-matin-par-guillaume-erner/lhumeur-du-jour-emission-du-mercredi-18-novembre-2020