L’argent public au service du système publicitaire

La campagne en faveur d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, commanditée par les présidents de différentes collectivités – Pays de Loire, Bretagne, Nantes Métropole, entre autres – et diffusée fin février dans plusieurs média, a mis en lumière deux scandales largement commentés, le gaspillage d’argent public (300 000 €) en période de régime du secteur public et la remise en cause de la neutralité des services publics (1). Mais cette affaire est de plus aussi révélatrice de deux effets néfastes de la publicité peu médiatisés contre lesquels l’association R.A.P lutte : la publicité, non pas comme information commerciale, mais comme instrument de conviction voire de manipulation intervenant de façon inégalitaire dans un débat politique et la mise à mal de la neutralité journalistique par la dépendance des média aux recettes publicitaires.


La campagne pour l’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes ou la fabrique du consentement par la publicité.

Cette campagne ne s’inscrit pas dans le registre de la sensibilisation ou de l’information publique propre aux institutions étatiques, ni dans celui de l’information commerciale. Il s’agit de convaincre du bien fondé d’un projet donnant lieu à une forte contestation et mobilisation de citoyens et politiques, par le biais d’une campagne publicitaire dont les procédés sont connus et amènent à la répétition du message, procédé manipulateur classique : affichage dans les lieux et médias publics, publicité dans la presse régionale, recours au vocable de la publicité avec la redondance de la formulation « plus de  » dans les messages.

D’ailleurs, le blog dédié à cette opération est explicite puisqu’il annonce « l’aéroport part en campagne » et expose la série de visuels destinés à influencer les individus (2). Ce genre d’actions a été notamment bien développé par un des premiers penseurs de la publicité moderne et de la propagande en général, Edward Bernays (2), le neveu de Freud.

Une neutralité médiatique une nouvelle fois touchée.

Cette campagne vantant les mérites d’un projet public-privé soulève des questions de neutralité et d’indépendance de la presse. Dans la mesure où des acteurs publics et politiques ainsi que des entreprises et multinationales ont différents intérêts à la réalisation de ce projet, cette publicité dans les médias, pose le problème de la possibilité du plein exercice de la neutralité journalistique sur ce dossier.

Les journalistes de Radio France Nantes ont demandé à ce que le spot ne passe pas sur les ondes du service public, estimant dans une lettre à Jean-Luc Hees, PDG de Radio France « qu’il porte atteinte à [leur] travail et à [leur] crédibilité ».

Cette pression par le financement publicitaire n’est pas une première en France. Si les journalistes assument généralement mal une certaine autocensure en public, on se souviendra du journal la Tribune qui a dû cesser son tirage quotidien peu de temps après qu’EDF lui a donné le coup de grâce en lui retirant ses budgets publicitaires fin 2011 (3). Ce journal avait eu l’outrecuidance de publier un article peu flatteur à propos des avancées du développement des réacteurs EPR. De la même façon le journal Libération, fin 2012, a fait couler beaucoup d’encre avec sa une moqueuse sur le départ de Bernard Arnault, première fortune française, en Belgique. L’industrie du luxe tout entière s’est décidée, en représailles, à arrêter toutes les campagnes publicitaires du journal, lui infligeant un manque à gagner de 150 000 € (4).

L’association R.A.P. demande l’indépendance des collectivités, des services publics et des médias quant au système publicitaire. Pour ce, elle demande la fin de la présence de la publicité au sein du service et des médias publics et finalement une limitation/un contrôle du financement public. L’association demande aussi que le financement publicitaire des médias privés soit limité et surtout l’interdiction de toute publicité ayant trait à un sujet d’ordre politique, comme l’énergie nucléaire ou Notre Dame des Landes. Les médias doivent y veiller et refuser toute publicité politique.
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(1) Selon le Breizh journali ; dans un article, daté du 22 février 2013 et nommé NDDL : fronde à Radio France contre la publicité pro-aéroport, « depuis la décision du Conseil Constitutionnel du 18 septembre 1986 (Liberté de communication), l’obligation de neutralité du service public (et de ses agents) est reconnue comme un principe fondamental, corollaire de celui de l’égalité dans son accès et devant son organisation. Il apparaît donc probable que la campagne de publicité favorable à l’aéroport ne puisse dérouler légalement sur les médias du service public.» : https://breizhjournal.wordpress.com/2013/02/22/nddl-fronde-a-radio-france-contre-la-publicite-pro-aeroport/

(2) entretien de Normand Baillargeon avec Daniel Mermet, dans l’émission Là-bas si j’y suis , Propaganda, d’Edward Bernays, ou comment manipuler l’opinion en démocratie () : http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1300

(3) Article de L’expansion, Que coûte le retrait d’EDF à la Tribune?, le 17/09/2011, http://www.lexpress.fr/actualite/media-people/media/que-coute-le-retrait-d-edf-a-la-tribune_1052271.html

(4) Article du Monde, Lourdes pertes publicitaires pour « Libération » après sa Une sur Bernard Arnault le 13/09/2012 : http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/09/13/lourdes-pertes-publicitaires-pour-liberation-apres-sa-une-sur-bernard-arnault_1759485_3234.html

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