Paris, le 12 février 2015
Objet : Problèmes liés aux articles 62 et 63 du projet de loi pour la croissance et l’activité
Madame la Ministre de l’Environnement, Monsieur le Ministre de l’Économie,
Dans le projet de loi pour la croissance et l’activité, dite « loi Macron », sont prévus les articles 62 et 63 en matière de publicités implantées dans l’emprise des stades de plus de 30 000 places assises et donnant sur la voie publique.
Ces deux articles sont incontestablement dangereux dans leurs argumentaires, comme dans leur rédaction. Ils montrent, qui plus est, une méconnaissance du code de l’environnement qui encadre la publicité extérieure dans le livre V : Prévention des pollutions, des risques et des nuisances.
L’article 62 permettrait ainsi de déroger au premier alinéa de l’article L581-9 du code de l’environnement, article qui impose le respect du décret n° 2012-118 du 30 janvier 2012 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux préenseignes, en matière d’emplacement, de surface et de hauteur des dispositifs publicitaires.
L’argument avancé dans ce projet de loi est un prétendu respect du cahier des charges pour les collectivités territoriales et les gestionnaires de stades en vue de l’Euro 2016. L’idée serait donc, pour un événement temporaire, de créer une loi permanente permettant d’augmenter les pollutions engendrées par la publicité extérieure et de rajouter une possibilité de dérogation qui est contraire à l’esprit du texte actuellement en vigueur, qui a, et c’est une des rares avancées du Grenelle, limité les dérogations qui étaient possibles avant 2012.
Cette proposition de loi est d’autant plus incompréhensible que le deuxième alinéa de l’article L581-9 permet déjà l’installation de dispositifs publicitaires de dimensions exceptionnelles à l’occasion de manifestations temporaires, installations soumises à autorisation par arrêté municipal. C’est donc exactement ce à quoi veut aboutir l’article 62 de la loi Macron, mais cette loi ajouterait à cette réglementation un facteur très aggravant : la permanence.
De plus, dans sa rédaction actuelle, l’article 62 prévoit de soumettre l’autorisation de dérogation au maire ou au président de l’Établissement public de coopération intercommunal (EPCI). Or cette compétence donnée au président de l’EPCI méconnait totalement les textes en vigueur qui ne donnent de compétences en matière de police de l’affichage, d’autorisation et de déclaration, qu’au maire, ou au préfet lorsque la commune ne dispose pas de règlement local de publicité (RLP), jamais au président de l’EPCI.
Il nous semble dommageable d’ajouter un acteur dans les processus d’autorisations pour des dispositifs dérogatoires. Encore plus lorsque cet acteur n’a que cette compétence et ignore le reste de la législation. Cet aspect du texte va à l’encontre du souci de simplification de la loi du gouvernement.
Ensuite, l’article 63, dont la rédaction est très ambiguë, permettrait d’autres dérogations par le RLP. Or, faut-il le rappeler, dans l’esprit du texte en vigueur, à une exception près[1], le RLP est forcément plus restrictif que la loi nationale. Ainsi, pour satisfaire les appétits financiers de quelques gestionnaires de stades, votre gouvernement permettrait des publicités sans restriction de taille ni de hauteur, en opposition totale avec l’objectif de la loi, qui est de réduire les nuisances et la pollution créées par la publicité extérieure.
Si le souci du gouvernement actuel était réellement une simplification de la loi, il devrait peut-être se pencher sur les articles L581-1 et suivants ainsi que sur la partie réglementaire. Cette loi n’arrange que les afficheurs qui la connaissent par cœur, à la différence des maires et des préfets. Elle permet ainsi de poser partout en France des dispositifs illégaux ayant pignon sur rue sans que l’autorité compétente ne réagisse. Sans même parfois que l’autorité compétente ne sache que c’est à elle d’agir. Et ne parlons pas des citoyens désireux de comprendre la loi pour aider à la faire appliquer correctement.
Les dérogations sont une source de complexification de la loi, tout comme l’ajout d’acteurs comme le président d’EPCI est une source de déresponsabilisation des maires et des préfets, car il permet aux uns et aux autres de se renvoyer la balle indéfiniment, pendant que des dispositifs illégaux perdurent.
Enfin, rappelons que la publicité est un impôt privé, prélevé par des grandes marques, majoritairement multinationales, dans la mesure où le coût de leur communication est répercutée dans le prix des produits. C’est toujours le consommateur final qui paye. Il y a donc une hypocrisie des politiques à vanter ce système de pseudo-gratuité pour se désengager en faisant passer des dépenses financées par l’impôt à des dépenses financées par la publicité. Car si le contribuable peut contrôler les dépenses publiques, le consommateur n’a aucun contrôle sur les dépenses publicitaires ni même sur ce qui est prélevé sur le prix d’achat de ses produits.
Référence est d’ailleurs faite aux bâches sur monuments historiques dans l’article 62. C’est un très bon exemple de l’erreur qui consiste à laisser les publicitaires décider de ce qui sera financé ou pas. Ainsi, une ville comme Paris, riche, voit des bâches fleurir sur chacun des monuments historiques en réfection, dès lors que leur emplacement est intéressant pour les publicitaires. En revanche, un monument situé à l’écart ou dans la plupart des villes de province ne sera d’aucun intérêt aux yeux des publicitaires.
Il est assez paradoxal que le gouvernement socialiste se base sur une loi scélérate qui bafoue le code de l’environnement, votée par l’UMP, pour fonder son action.
Nous espérons que ces articles ne passeront pas et, surtout, que votre gouvernement aura le courage de rouvrir le volet paysages. Cette étape nous semble obligatoire si votre souci est vraiment la simplification du droit. Nous avons des pistes sérieuses allant dans ce sens et sommes plus que prêts à les partager.
Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, en l’expression de notre considération la plus distinguée.
Khaled GAIJI, Président de l’association Résistance à l’Agression Publicitaire
Pierre-Jean DELAHOUSSE, Président de l’association Paysages de France
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Notes :