Le publispécisme est le fruit de la rencontre entre deux fléaux de notre société : le matraquage publicitaire et le spécisme.
Le spécisme est une discrimination arbitraire fondée sur le critère de l’espèce, responsable de milliers de milliards de morts chaque année. Les intérêts fondamentaux des animaux non humains (intérêt à ne pas souffrir, à jouir de son existence librement…) sont totalement niés dès lors qu’ils entrent en conflit avec un intérêt humain, aussi futile soit-il (comme le plaisir gustatif ou le divertissement).
Par exemple, le spécisme est ce qui justifie le fait que le bien-être et la vie d’un cochon, cet animal sensible et intelligent, valent moins que le plaisir d’un-e humain-e à déguster du jambon.
Nous postulons comme une évidence que les non humains sont des « êtres inférieurs », des « sous-êtres » ; pourtant l’espèce n’est pas un critère plus pertinent que le sexe ou la couleur de la peau pour déterminer la façon dont nous devrions considérer les intérêts d’un individu. A partir du moment où ce dernier a des intérêts propres, ces intérêts ont une importance en soi.
C’est ainsi que le spécisme trouve dans son appui dans le carnisme, cette idéologie qui postule qu’il est normal, naturel et nécessaire (les 3 N !) de consommer des produits issus de l’exploitation animale. Ce discours est largement diffusé dans notre société, et reconnu comme légitime par la plupart d’entre nous.
– La publicité joue un rôle très important dans la diffusion de cette idéologie : omniprésente (télévision, espace public, radio, magazines, internet…), elle nous impose ses normes, dicte nos comportements, choisit pour nous ce qui est normal ou non de faire. En ne donnant qu’une vision partielle de l’exploitation animale, en jouant sur des valeurs consensuelles et sur l’émotion (tradition, plaisir, patrimoine, convivialité, tendresse…) elle nous manipule et étouffe les potentialités de notre esprit critique.
A travers la publicité, les animaux sont réduits à leur matérialité, perçus comme de simples objets de consommation : ils ne sont plus êtres sensibles mais cuisse, steak, jambon, bacon, côtelette, filet. Leur individualité est totalement niée, ce ne sont que des ressources à notre disposition !
La publicité constitue donc un pilier central de l’oppression spéciste : à travers des comportements répétés et normalisés, nous finissons par intérioriser le fait qu’il est tout à fait normal, voire banal de manger un animal élevé pour cela, ou de consommer ce qu’il a produit (lait, œufs).
Cette idée selon laquelle ce serait dans leur finalité d’être utilisés par l’espèce humaine se cristallise dans la suicide food : les animaux s’offrent à nous, consentants, accomplissant de bon cœur leur mission d’objets de consommation. Ce serait tellement dans leur nature de nous servir qu’il n’y aurait même pas à les y contraindre !
Les animaux non humains sont systématiquement représentés comme des outils, des moyens au service d’une fin qui leur est extérieure ; la valeur de leur existence se réduit à leur capacité de production. Bien que chaque animal soit un individu unique, avec une expérience subjective du monde qui lui est propre, la publicité les désindividualise en les renvoyant à une essence d’animal-objet, sorte d’abstraction inerte, passive et sans intérêts particuliers.
La façon dont les animaux sont utilisés dans la publicité rappelle à bien des égards le publisexisme : l’individu est représenté avant tout comme un corps appropriable et consommable. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la publicité effectue de nombreux parallèles entre la viande et les femmes, allant parfois même jusqu’à identifier les deux. Cette pratique peut être qualifiée de carnosexisme.
La publicité opprime donc les animaux non humains par la façon dont elle les représente. Parce qu’aujourd’hui les non humains sont des marchandises (que l’on peut vendre, acheter et consommer), leurs intérêts ne sont pas pris en considération, ou sont même carrément niés. La publicité participe de cette violence en réduisant les animaux à des objets, ce qui contribue à la perpétuation de l’exploitation dont ils sont victimes.
La présence des animaux dans la publicité n’est que symbolique. Leur absence en tant qu’être sensible, elle, est bien réelle. La publicité cristallise l’aliénation des animaux non humains et révèle très concrètement le mépris que nous entretenons à leur égard.
Il existe ainsi une réelle difficulté à remettre en question le spécisme dans un environnement profondément carniste. Il est pourtant nécessaire de changer la perception que nous avons des animaux : ce sont des êtres sensibles, ayant des intérêts propres et des préférences. Leur vie leur appartient et nous nous devons de les inclure dans notre cercle de considération morale.
– La publicité, une fois de plus, constitue un obstacle pour le progrès moral et social. Sa façon de présenter les animaux non humains comme des objets perpétue la discrimination arbitraire à leur égard. La violence et l’injustice que subissent les non humains ne pourront être enrayées tant que la propagande carniste continuera à être soutenue de manière institutionnalisée, par le biais de la publicité.
« Les animaux existent pour leurs propres raisons. Ils n’ont pas été créés pour les humains, pas plus que les Noirs n’ont été créés pour les Blancs ou les femmes pour les hommes »
Alice Walker
« La publicité est ce discours idéologique qui conduit à ne plus voir les réalités de la vie, les valeurs de la vie, les dimensions de l’être, et les êtres eux-mêmes, que comme des marchandises qui se produisent et se vendent. »
François Brune
+ d’infos :
– publispeciesism.tumblr.com (exemples de pub spécistes et carnosexistes avec analyse critique, en anglais et en français)
– suicidefood.blogspot.fr (exemples de suicide food)
Tribune rédigée par Axelle Playoust
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