Ce vendredi 12 juin 2020, un rapport intitulé « Publicité et transition écologique » a été présenté au ministère de la Transition écologique et solidaire qui l’avait commandé, dans le contexte des débats sur la loi relative à l’économie circulaire et à la lutte contre le gaspillage, à Géraud Guibert (Conseiller maître à la Cour des comptes) et à Thierry Libaert (Conseiller au comité économique et social européen). Ce rapport devait évaluer les impacts économiques, sociaux et environnementaux du modèle publicitaire français, en vue de proposer des pistes pour transformer le système publicitaire et le rendre cohérent avec la transition écologique.
Comme de nombreux professionnels du secteur1 et quelques associations2, R.A.P. a été auditionnée par les rapporteurs dans le cadre de la rédaction de ce rapport. Nous avons pu développer nos analyses et porter nos revendications dans un échange bienveillant.
À la lecture du diagnostic préliminaire, nous constatons que la plupart des effets négatifs directs et indirects des activités publicitaires sont présentés en des termes acceptables. L’urgence écologique et climatique à transformer le système publicitaire3 est reconnue. Nous pouvons aussi citer, pêle-mêle : la multiplication des supports publicitaires qui ne sont pas toujours perçus comme tels par les individus4, le problème de l’indépendance vis-à-vis des annonceurs des médias qui vivent de la publicité5, l’incitation à la surconsommation d’objets à l’utilité contestable6, la critique d’un imaginaire du bonheur par la consommation7, ou encore la culture matérialiste et le sentiment de frustration générés par la publicité, qui ne favorisent pas la transformation de la société vers plus de sobriété8.
Partant d’un même constat, le rapport émet cependant des propositions dont, si certaines vont dans le bon sens, la majorité sont timides et aboutissent au renforcement du principe d’autorégulation, principe dont nous voyons tous les jours les limites, voire les effets contre-productifs.
Nous analysons ici la plupart des propositions, en laissant seulement de côtécelles qui n’appellent aucun commentaire de notre part. Nous avons regroupé les propositions par thème en nom par numéro.
Sommaire
Propositions reposant sur l’engagement volontaire du secteur publicitaire et le renforcement de l’actuel organe d’autorégulation, l’ARPP
Proposition 1 : Prévoir un engagement de la profession d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050
Vouloir réduire l’empreinte carbone et les externalités négatives directes de la publicité est un objectif que nous partageons. C’est pour cette raison que nous militons depuis des années pour que les écrans numériques, énergivores et polluants, soient interdits, ou qu’on inverse la logique des autocollants “stop pub” sur les boîtes aux lettres pour limiter le gaspillage que représente une telle production de papier, à laquelle il faut ajouter son transport et son recyclage9. Nous ne remettons donc pas ici en question l’objectif, mais les moyens.
Cela fait maintenant des années que les industriels s’engagent pour montrer “patte verte”. Or les engagements se suivent et le système publicitaire tend à être de plus en plus polluant, tant par ses pratiques que par les produits qu’il promeut. Ici, il est question d’un “horizon 2050” qui fait, de surcroît, craindre une inaction à court ou moyen terme.
Enfin, la neutralité carbone est un concept contestable10 puisqu’il n’implique pas de baisse directe des émissions de gaz à effet de serre (GES), mais plutôt une compensation qui, si elle n’est pas complètement inutile, montre des limites qui semblent difficilement surmontables. La compensation, qui fait partie des recommandations de ce rapport, est tout à fait contestable d’un point de vue écologique : on sait par exemple que des plantations d’arbres artificielles ne compensent en rien la valeur écologique d’une forêt, voire détruisent les sols11.
Proposition 2 : Fixer un engagement très actif des professionnels pour la généralisation du reporting climatique
L’objectif de cette proposition est de faire réaliser aux professionnels du secteur de la publicité des bilans carbone de leurs actions de communication. Encore une fois, l’objectif n’est pas inutile, voire semble tomber sous le sens, mais, comme pour la première proposition, il s’agit d’un engagement non contraignant. Le dispositif est donc insatisfaisant, quand bien même le rapport précise que si les engagements adressés “n’apparaissent pas à la hauteur des enjeux, les pouvoirs publics pourront leur imposer de nouvelles règles”. Mais cette promesse est bien trop vague.
Proposition 4 : Mettre en place un volet « climat » dans la recommandation « développement durable » de l’ARPP
Il s’agit ici de renforcer les recommandations “développement durable” de l’ARPP afin “d’éliminer dans les publicités toutes les représentations défavorables au climat, comme cela a été fait ces dernières années pour les représentations de genre”.
Avant d’aborder l’enjeu de l’affinage des règles relatives au contrôle des contenus publicitaires, il faut rappeler qu’actuellement le premier problème dans ce domaine ne relève pas de la pertinence des règles mais de la capacité de l’organe d’autorégulation à les mettre en oeuvre, comme a pu le montrer, notamment, l’affaire Cdiscount12.
Il est nécessaire de rappeler également que les débats autour du “développement durable” ont permis d’enrayer les pires pratiques d’écoblanchiment (greenwashing) de nombreuses marques, qui étaient très prégnantes au milieu des années 2000 du fait de la découverte de ce sujet par le grand public et de la volonté des entreprises de s’en emparer. Si le phénomène existe encore aujourd’hui, peu nombreuses sont les entreprises polluantes qui osent encore afficher des logos verts ou des éoliennes dans leurs campagnes publicitaires13. Et celles qui s’y risquent voient leurs mentions exploser sur les réseaux sociaux, les obligeant à revenir en arrière (lorsque la recherche de “badbuzz” n’était pas prémédité…).
Ceci étant dit, si l’utilisation d’arguments écologiques pour vendre des produits qui ne le sont pas a légèrement diminué, les recommandations “développement durable” n’ont en revanche pas enrayé le développement de la promotion des produits les plus polluants. Ces produits continuent à être promus sans avancer d’arguments écologiques, en respectant ainsi les recommandations “développement durable”.
Vouloir améliorer les recommandations en incluant un volet “climat” ayant pour but “d’éliminer toutes les représentations défavorables” au climat est un objectif intéressant. Mais comparer les évolutions de représentations du climat avec celles du genre semble peu opportun, voire assez malvenu tant la publicité est encore éminemment sexiste. Certes, depuis trente ans les représentations de genre ont beaucoup évolué, et plutôt en bien. Certes, on ne dit plus que “il a la voiture, il aura la femme”14, ni que “Babette, je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole”. Certes le “porno chic” est un peu passé de mode15. Mais les femmes restent encore cantonnées au rôle d’objet sexuel et les injonctions à la beauté, la jeunesse, la minceur et autres normes problématiques sont innombrables. Avancer qu’il n’y a plus de problèmes avec les représentations de genre dans la publicité et que c’est ce modèle de changement qui devrait être suivi16, c’est laisser planer un doute certain sur la volonté affichée de traiter réellement la question dans des délais qui permettent de respecter l’accord de Paris.
En effet, le rapport du CSA d’octobre 201717 montre que, malgré les recommandations “Image de la personne humaine”18 de l’ARPP et malgré son contrôle préalable avant diffusion des spots télévisuels, ces derniers véhiculent massivement des stéréotypes de genre. On retrouve majoritairement des femmes pour promouvoir des produits d’entretien du corps ou de parfumerie/habillement19 alors qu’à l’inverse, ce sont des hommes qui font la promotion de jeux d’argent ou des automobiles20. On y apprend que “les rôles d’experts sont presque exclusivement occupés par des hommes”21 et que “les deux tiers des publicités présentant des personnages avec une sexualisation mettent en scène des femmes”22.
On s’interroge d’autant plus sur l’efficacité d’une telle proposition lorsqu’il est spécifié que ces recommandations “climat”, à l’instar du reste des recommandations “développement durable” doivent être prévues de manière à ne pas “porter atteinte à la démarche publicitaire elle-même. C’est pourquoi ce sont aux professionnels eux-mêmes d’en fixer les modalités.”
Concernant la proposition, si un tel volet “climat” devait voir le jour, il ne serait crédible que s’il interdisait de promouvoir certains produits particulièrement émetteurs de GES, comme les SUV ou les vols courte distance.
Proposition 5 : Faire élaborer par les parties prenantes une charte climatique pour la publicité audiovisuelle
Le rapport part du principe que les chartes successives sur la publicité audiovisuelle alimentaire ont, “selon l’avis des professionnels, abouti à un résultat plutôt satisfaisant”, tout en précisant que “même si son impact sur la consommation alimentaire, les maladies cardiovasculaires et l’obésité a du mal à être mesuré”. Il conclut qu’il faut appliquer ce même modèle en faisant élaborer “une charte climatique pour la publicité audiovisuelle, soit sur initiative de la profession, sinon en l’incluant dans la loi sur le même modèle que la publicité alimentaire dans l’audiovisuel.” Et donc, dans cette dernière option, de graver dans la loi le principe d’autorégulation pour le climat, comme c’est en passe de l’être dans la future loi audiovisuel pour l’alimentation23.
Tout comme prendre les maigres avancées sur le sexisme dans la publicité comme exemple pour montrer l’efficacité de l’autorégulation, exposer en modèle les chartes sur la publicité alimentaire dans l’audiovisuel est peu convaincant.
Rappelons que la première charte a été écrite à la hâte en 2009 pour répondre à un amendement visant à interdire les produits trop gras et trop sucrés dans les quinze minutes qui précèdent ou suivent les programmes jeunesse à la télévision. L’amendement a été rejeté au profit d’une charte. Les député·es qui l’avaient poussé expliquaient alors que “quoi qu’il en soit, si la charte n’est pas respectée, nous, parlementaires, seront en mesure de déposer un amendement pour demander l’interdiction pure et simple de la publicité”24. Plus de dix ans après, force est de constater que la publicité alimentaire crée toujours autant voire plus de dommages et que l’autorégulation n’a pas été en mesure de répondre à ses promesses25.
Nous doutons que l’autorégulation arrive à accomplir pour le climat ce qu’elle n’a pas réussi à faire pour le sexisme ou l’alimentation.
Proposition 15 : Faire adopter par la profession publicitaire des règles d’autodiscipline pour une fonction plus responsable
Cette proposition consiste en trois points :
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“l’incorporation de clauses « communication responsable » dans les appels d’offres des institutions publiques et des collectivités territoriales […] ;
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l’interdiction des vidéos à la lecture automatique ;
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l’incorporation d’une clause « éco prod » lancée en 2009 par un collectif de six acteurs du secteur dont l’ADEME et consistant à réduire l’impact environnemental des productions audio-visuelles dans l’ensemble de leurs aspects (énergie, logistique, décors, moyens techniques..) et cela pour la totalité des tournages publicitaires.”
La deuxième mesure est tout à fait nécessaire pour les raisons exposées dans le rapport, d’ordre aussi bien environnementales (pollution numérique) que liées au caractère intrusif du mécanisme de lecture automatique. Mais une telle mesure devrait selon nous être mise en oeuvre de manière réglementaire.
Concernant la troisième mesure : celle-ci va dans le bon sens, et nous la soutenons, car réduire l’impact écologique de toutes les activités, quel que soit le secteur, est une impérieuse nécessité. Mais si le but de la publicité est de vanter des trajets en avion à bas prix, l’empreinte écologique de son tournage semblera bien dérisoire au regard de l’empreinte écologique que la publicité aura engendré en augmentant le trafic aérien.
L’éco-conception des publicités, comme celle des emballages26 ne doit pas devenir la pratique vertueuse qui masque la forêt. Or il semblerait que, pour l’instant, ce soit l’une des mesures phares du secteur dans ses objectifs écologiques, reprise ici dans ce rapport. L’industrie publicitaire ne pourra pas s’exempter du débat sur sa responsabilité dans la surconsommation de produits nocifs, quand bien même l’exercice de son activité tendrait à réduire son impact.
Les Propositions visant à améliorer l’ARPP
Affirmant que “la régulation publicitaire française est efficace” et “qu’elle apparaît en pointe parmi les autres dispositifs existants” et que “concernant le domaine de la transition écologique, l’ARPP remplit sa fonction”, le rapport vise néanmoins à améliorer le fonctionnement de l’auto-proclamée Autorité de Régulation de la Profession Publicitaire.
Proposition 19 : Ouvrir la gouvernance de l’ARPP
L’une des principales mesures avancées pour améliorer l’ARPP est d’ouvrir le Conseil d’Administration de l’organisme à trois membres désignés sur proposition des principales ONG environnementales et de protection des consommateurs. Actuellement, la seule participation des associations au mécanisme de régulation de la publicité est la présence de deux d’entre elles au Conseil Paritaire de la Publicité (CPP), instance associée à l’ARPP, non décisionnelle, censée donner son avis sur les recommandations et les évolutions de la société civile, “intégrant les attentes et préoccupations des parties prenantes, notamment celles des associations et des consommateurs qu’elles représentent”.
L’idée serait donc d’introduire des membres d’ONG au sein du CA de l’ARPP elle-même plutôt que d’être simplement membres d’une instance associée.
Nous considérons que le problème des limites de la régulation par la profession ne sera pas réglé par l’introduction d’associations dans l’organe directeur : seuls les pouvoirs publics nous semblent pouvoir apporter les garanties d’un travail indépendant dans l’intérêt général. Ainsi, il ne nous paraît pas approprié de détailler les limites de cette proposition, par ailleurs nombreuses (nombre de membres d’ONG envisagé au CA trop peu élevé pour exercer une influence réelle, difficulté pour les associations à dégager des ressources humaines pour ces responsabilités qui ne sont pas les siennes, etc.). La co-régulation se présente comme un moyen d’éviter la mise en place d’une autorité publique indépendante dédiée à la régulation des contenus.
Les propositions d’ordre légal
Proposition 6 : Mettre en place un visuel permettant d’identifier facilement les barèmes validés par les pouvoirs publics
S’inspirant du modèle du Nutriscore, qui, étant basé sur le volontariat, peine à se généraliser, et de l’étiquetage énergie, cette proposition incite à afficher “un dispositif visuel correspondant aux barèmes fixés ou validés par les pouvoirs publics”. Cette proposition va dans le sens d’une meilleure information et nous y souscrivons. Nous pouvons cependant anticiper, au vu des difficulté à imposer le Nutriscore, que les industriels feront tout pour qu’un tel “Climat-score” soit le moins compréhensible possible, basé également sur le volontariat, voire refusé purement et simplement au nom de la liberté d’entreprendre ou de quelque autre invocation.
Il paraîtrait pourtant difficile de s’opposer à un tel affichage si l’on considère que le rôle de la publicité est d’informer les potentiel·les client·es. Nous constatons malheureusement que les industriels se battent contre les mesures simples qui paraissent de bon sens, et freinent ce genre de propositions27.
Proposition 7 : Prévoir une interdiction de la publicité dans les années précédant l’échéance prévue de disparition d’un produit ou d’un service
Cette proposition doit s’analyser à la lumière de la réflexion élaborée dans le rapport autour des interdictions de publicité sur certains produits. Les auteurs pointent les difficultés techniques à identifier le périmètre des produits ou secteurs d’activité qui seraient interdits de promotion, et indiquent que de telles interdictions ne devraient pas non plus constituer des mesures isolées d’autres politiques complémentaires visant à réduire la consommation des produits visées. Nous partageons ces préoccupations, qui ne doivent néanmoins pas, selon nous, neutraliser l’action politique.
Identifier le périmètre des produits ou secteurs interdits donnera effectivement lieu à un débat complexe, et c’est pour cette raison qu’il faut l’ouvrir dès maintenant : les échanges techniques et politiques conduiront à des résultats (des listes de produits et de secteurs) qui seront évolutifs. Concernant la nécessité d’articuler de telles interdictions de publicité avec des politiques de surtaxation des produits ou de planification de leur retrait du marché : si de telles approches coordonnées sont évidemment bienvenues, nous sommes opposé·es à l’idée selon laquelle il ne faudrait pas avancer sur le terrain de l’interdiction de publicité pour ces produits au prétexte que les politiques complémentaires ne sont pas encore mises en oeuvre.
Prenant l’exemple des voitures thermiques qui devraient être interdites d’ici 2040, selon la proposition du rapport, il s’agirait d’interdire de publicité les produits qui seront interdits à la vente 5 ans avant la mise en application de cette interdiction, prévoyant que d’autres interdictions à la vente de ce type verront le jour dans les années qui viennent. Cette mesure est un minimum, étant donné qu’il paraît difficilement justifiable de continuer à promouvoir un produit qui a été jugé suffisamment nocif pour être interdit.
Mais nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre qu’un gouvernement interdise à la vente les voitures individuelles, les trajets en avion, la malbouffe, les gadgets électroniques, la mode, pour en interdire ou limiter la publicité.
Proposition 13 : Expérimenter un dispositif « Oui pub »
Cette proposition est peut-être celle qui se rapproche le plus des revendications que nous avons avancées lors de notre audition pour ce rapport. En effet, nous demandons depuis longtemps d’inverser la logique actuelle pour les prospectus publicitaires distribués dans les boîtes aux lettres, afin que ce soit aux personnes désireuses de recevoir des publicités de faire la démarche de le signifier.
En effet, malgré la campagne du ministère de l’Écologie entre 2004 et 2009 qui a distribué 9 millions d’autocollants28, le taux d’équipement des boîtes aux lettres ne dépasse pas les 20%. Une faible communication sur son existence, un respect aléatoire29, et une disponibilité à la charge des collectivités territoriales ne permettent pas aux citoyen·nes d’éviter les prospectus.
Inverser la logique, c’est permettre aux individus de ne pas avoir de démarche à effectuer s’ils ne veulent pas recevoir de publicités, et à celles et ceux qui le désirent de signifier explicitement leur consentement à en recevoir. C’est aussi inverser la charge. Aujourd’hui ce sont aux collectivités d’en proposer. Dans une logique inverse, ce serait aux entreprises désireuses de distribuer des prospectus de fournir ces autocollants à leur clientèle.
Nous accueillons donc cette proposition favorablement, bien qu’elle ne consiste qu’en une expérimentation sur deux zones territoriales, une grande agglomération et une zone rurale.
Améliorer à la marge le code de l’environnement en matière de publicité extérieure
Le rapport propose aussi de rendre plus cohérente la réglementation sur la publicité extérieure au regard de la transition écologique. Dans l’ensemble toutes ces mesures vont dans le bon sens. Nous regrettons cependant vivement qu’une interdiction des écrans numériques publicitaires aient été écartée. D’autant que l’argument avancé pour l’écarter est que “les dispositions prises par plusieurs villes montrent d’ailleurs que celles-ci ont de plus en plus tendance à diminuer la densité des panneaux publicitaires et à limiter, voire interdire les panneaux numériques”. Cette affirmation est fausse. Hormis Paris, qui constitue une exception en la matière, aucune commune ou communauté de communes n’a interdit les écrans numériques dans les règlements locaux de publicité (RLP) récemment adoptés du fait du changement de législation issu du Grenelle de l’environnement. Quant aux limitations, elles sont très timides, quand elles ne reprennent pas directement les normes de la loi nationale, alors que les RLP sont censés être plus restrictifs que celle-ci. Or, par leurs pollutions (luminosité, fabrication, recyclage lorsqu’il est possible), leur consommation énergétique et les nuisances qu’ils créent, l’implantation de ces écrans ne sauraient constituer une preuve d’une “transition écologique réussie”. Il paraît difficile d’imaginer que le secteur pourra atteindre des objectifs de réduction de GES en continuant à multiplier ce type de supports.
Proposition 8 : Interdire la publicité tractée par voie aérienne et mieux faire respecter celle applicable aux camions publicitaires dédiés
Si interdire la publicité tractée par voie aérienne semble être une mesure consensuelle, nous pouvons regretter que pour les publicité applicables aux véhicules terrestres, seule une meilleure application des règles existantes soit envisagée. En effet, le code de l’environnement n’interdit pas les véhicules essentiellement publicitaires. Orn qui, aujourd’hui, pourrait justifier de faire tourner des camions dans le seul but de faire de la publicité ?
Proposition 10 : Garantir l’extinction la nuit de tous les panneaux hors ceux figurant sur un équipement urbain d’intérêt public en fonctionnement
Cette proposition répond en partie à une attente de longue date de notre association, et de nombreuses autres : celle de mieux encadrer la pollution lumineuse nocturne des publicités. En effet, si le Grenelle de l’environnement a introduit des règles d’extinction des publicités et des enseignes la nuit30, ces règles sont nettement améliorables sur différents aspects :
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Une distinction est opérée entre les unités urbaines de plus ou moins de 800 000 habitants. Dans les premières, il n’y a pas de règles d’extinction sauf si le RLP en prévoit, alors que dans les secondes, l’extinction va de 1h à 6h du matin.
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Les mobiliers urbains publicitaires (abris de bus, kiosques à journaux, “sucettes”…) ne sont pas concernés par ces règles d’extinction.
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Les plages horaires sont très courtes et ne laissent que peu de temps la lumière éteinte.
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Pour les enseignes la règle de 1h à 6h pourrait être remplacée par une extinction dès la fermeture de l’établissement, ce qui faciliterait les contrôles et rendrait ces extinctions cohérentes avec les annonces gouvernementales qui invitent les individus à éteindre la lumière en sortant d’une pièce / de chez soi.
Le rapport tente de répondre aux deux premiers aspects. Pour le premier point, il préconise de supprimer la distinction entre les unités urbaines de plus ou de moins de 800 000 habitants, ce qui rendrait le code plus lisible et ce que nous saluons. Sur le deuxième point en revanche, si le rapport invite à limiter les dérogations pour les mobiliers urbains, il propose aussi de maintenir les lumières allumées pour les mobiliers urbains “fournissant au public un service d’intérêt général en cours de fonctionnement”. Cette dernière précision nous fait craindre que la limitation des dérogations soit timide puisque certaines lignes de bus sont actives toute la nuit, donc les abris éclairés. De plus, les “sucettes” pourraient également être considérées comme des mobiliers fournissant un service d’intérêt général et obtenir la possibilité d’être éclairées la nuit.
Nous saluons donc la volonté d’agir sur ce sujet, mais doutons de l’efficacité de cette proposition en l’état.
Proposition 11 : Soumettre les publicités lumineuses à l’intérieur d’une vitrine mais visibles de l’extérieur aux règles fixées par le code de l’environnement.
Comme la précédente proposition, une telle modification est attendue de longue date par les associations écologistes. En effet, depuis de nombreuses années, prolifèrent derrière les vitrines allumées des magasins des écrans numériques de tous formats, eux-mêmes allumés jusque tard dans la nuit, quand ce n’est pas toute la nuit31. Or ces écrans, puisqu’ils sont implantés à l’intérieur d’un local commercial, ne sont pas encadrés par le code de l’environnement, quand bien même ils sont visibles de la voie ouverte à la circulation publique32.
Le rapport propose donc de modifier le code de l’environnement pour traiter de la même façon les publicités lumineuses devant ou derrière une vitrine, ce qui serait une avancée certaine. Cette proposition est néanmoins faite sous condition d’avoir une concertation avec les professionnels concernés, ce qui risque de rendre le processus long, fastidieux et éventuellement incohérent.
Proposition 12 : Rendre plus efficaces les sanctions contre l’affichage sauvage
Dans certaines villes, de nombreuses agences de “street marketing” ou “guerilla marketing” sévissent depuis de nombreuses années33. Elles sont spécialisées dans l’affichage sauvage, le marquage au sol ou encore l’utilisation des panneaux de libre expression, rares dispositifs réservés à l’affichage d’opinion, associatif et politique. Les mairies peinent à passer derrière les colleurs qui peuvent passer plusieurs fois par jour aux mêmes endroits. Le risque d’amende est faible, ce qui incite les grandes marques à coupler leurs affichages légaux avec des affichages illégaux, et ainsi maximiser les chances de contact. Un autre blocage vient du délai prévu entre une mise en demeure par la mairie de retirer les affiches et commencer à faire courir une astreinte. Ce délai qui est récemment passé de 15 à 5 jours empêche les mairies d’attaquer un afficheur ou l’annonceur si l’affiche a été recouverte entre temps.
Le rapport propose de remédier à cela en instituant sans délai une amende. Nous espérons que si une telle mesure était prise, cela permettrait d’enrayer le phénomène, et laisserait ainsi plus de place à l’information associative.
Proposition 14 bis: A défaut d’organiser un Grenelle citoyen de la publicité, confirmer l’organisation à brève échéance des Etats généraux de la publicité envisagés par la profession, avec un volet important sur des engagements en matière de transition écologique.
Défendant cette proposition alternative à un nouveau Grenelle citoyen de la publicité, les rapporteurs affirment : “Un grand nombre d’associations sous-estime fortement la réalité des évolutions en cours dans le monde publicitaire, et celui-ci considère les ONG critiques comme des adversaires sans s’apercevoir de l’extraordinaire richesse des réflexions qui peuvent être menées.”
Nous concernant, nous sommes bien conscient·es des évolutions en cours dans le monde publicitaire. Nous voyons passer les colloques sur la “publicité responsable”, “frugale” ou “éco-compatible”, les programmes et les chartes, nous lisons aussi les tribunes sur “la publicité d’après”, la volonté d’augmenter les “engagements” en déployant un arsenal de valeures fortes…
Si nous ne doutons pas de la sincérité de certains individus qui œuvrent pour le système publicitaire tout en s’inquiétant de la marche du monde et de l’avenir que nous laissons aux générations futures, nous estimons cependant leur position intenable.
Le système publicitaire actuel favorise la visibilité, donc la puissance des grands groupes34. Ces grands groupes, avec leur logique prédatrice, ont déjà participé largement aux dégradations écologiques et ne comptent pas s’arrêter là. Les pressions pour retourner au plus vite à l’anormal en attestent.
Le rôle de la publicité, tant qu’il restera, pour le secteur, “de créer du désir pour vendre”35 sans se poser la question de quoi vendre, pour quels besoins, avec quel impact écologique, ne pourra être autre chose qu’une partie du problème, participant à augmenter tant les émissions de GES que les diverses pollutions et la perte du vivant qui en résulte.
Au contraire, nous pensons que le rôle de la publicité est d’informer36 afin de garantir la liberté d’expression. Or quand nous pensons liberté d’expression, nous pensons d’abord à celle des idées et des opinions, tel que prévue par la Constitution. La liberté d’expression commerciale peut avoir sa place, mais certainement pas celle que le système publicitaire actuel lui accorde, avec l’indulgence des pouvoirs publics. Nous pensons aussi que cette liberté d’expression doit être assortie d’une liberté de réception, que l’on puisse consentir à recevoir ou pas un message publicitaire, qu’il soit commercial ou non.
D’un côté, le “monde publicitaire” a bien raison de nous voir comme des adversaires. Nous pensons en effet que l’écologie politique est profondément conflictuelle, que la “transition” vers un monde soutenable ne se fera pas sans heurter certains intérêts. Nous ne pourrons jamais trouver de consensus avec des entreprises dont l’objet est de vendre notre intimité, notre attention, nos données personnelles sans notre consentement. Nous ne pourrons jamais trouver de consensus avec des entreprises qui œuvrent à promouvoir les pires comportements, tant écologiques que sociaux. D’un autre côté, les acteurs et les actrices de ce même monde publicitaire devraient pouvoir accepter que notre lutte ne les visent pas, elles et eux, personnellement. Notre but n’est pas de laisser sur le carreau des dizaines de milliers de salarié·es. Et notre lutte n’a d’ailleurs pas pour objectif, comme on peut le lire dans ce rapport, d’aboutir à un monde sans publicité, qui serait un monde où l’information ne pourrait pas circuler.
Nous constatons simplement que, malgré les tribunes, les colloques, les programmes et les recommandations “développement durable”, le système publicitaire continue massivement à promouvoir la grande distribution au détriment du commerce local participant ainsi à la désertification des centres-villes, continue à promouvoir massivement des modes de transports polluants, à inciter au renouvellement de nos gardes-robes, de nos gadgets électroniques alors même que ces derniers sont encore fonctionnels, à créer un imaginaire qui laisse croire que toute cette surconsommation est normale et que rien ne l’ébranlera, participant ainsi à une sorte de déni collectif.
De notre côté, nous luttons pour favoriser une liberté d’expression plurielle, associative, culturelle, politique, y compris commerciale, sans que l’une soit prédominante sur l’autre et sans que le plus offrant ait la plus grande visibilité. Nous cherchons à penser la publicité comme un bien commun auquel chacun et chacune doit pouvoir avoir accès sans que cette publicité soit imposée.
Le “monde publicitaire” est-il prêt à avoir ce débat, cette réflexion ? Nous sommes prêt·es à y participer avec les personnes de bonne volonté.
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Notes
1 23 organisations professionnelles, agences, régies, médias, syndicats de la profession, etc.
2 En plus de R.A.P. les associations WWF et France Nature Environnement, ainsi que l’institution publique l’ADEME.
3 “Chacun le sait, aucun pays du monde, en particulier aucun pays industrialisé ne se situe sur la bonne trajectoire pour respecter ses engagements issus des accords de Paris sur le climat. Pour la biodiversité, l’accélération très forte du rythme de disparition des espèces contraste avec l’insuffisance des mesures prises pour corriger cette tendance. La transition écologique n’est plus pour nos sociétés un choix « idéologique » ou une option, c’est un impératif.” (p. 8)
4 “Une des grandes difficultés est que, malgré les règlementations, la publicité a tendance à s’insinuer partout. Sur internet, les particuliers font des démonstrations des modes d’utilisation des produits sans avoir toujours conscience qu’ils participent ainsi à des stratégies d’influence des marques. La publicité est en fait partout, dans les jeux vidéo, les films, le sport, sur les tables de café, le mobilier urbain, les annonces de programme, les événements culturels ou autres.” (p. 15)
5 “La célèbre phrase de l’ancien PDG de TF1, Patrice Le Lay, sur le fait de « vendre du temps de cerveau disponible » le rappelle : dans une pure logique économique, la publicité sur les médias est devenue le facteur premier de la rentabilité, et il est tentant de concevoir les émissions en fonction des écrans publicitaires pouvant les encadrer, ou certains choix éditoriaux en fonction des besoins des annonceurs. Elle impacte ainsi le contenu éditorial des médias jusqu’à parfois se confondre.” (p.15)
6 “En visant à faire toujours plus consommer ce qu’elle promeut, elle encourage une surconsommation qui ne correspond pas forcément aux besoins. Les exemples sont nombreux de produits et gadgets dont l’utilité réelle est au bout du compte très limitée, parfois sans commune mesure avec leur impact environnemental” (p.16)
7 “L’impact environnemental de la publicité a une composante encore plus pernicieuse. La publicité ne vend pas seulement du savon, des vêtements ou des voitures, mais aussi de la jeunesse, de la beauté, du statut social. En dehors même de l’incitation à acheter un produit, elle nous insère dans un imaginaire du bonheur par la consommation.” (p.17)
8 “Le modèle publicitaire, via ses sources de revenus, n’apparaît pas adapté à la promotion des valeurs de sobriété, de solidarité, il promeut essentiellement des notions de confort, de plaisir immédiat, ce qui contribue à une certaine apathie sociale, une culture matérialiste et vraisemblablement un puissant sentiment de frustration. Selon l’économiste Tim Jackson, la publicité ruinerait même toute démarche de prise de conscience écologique car ses messages contredisent les discours de responsabilisation : « Prier instamment les citoyens d’agir contre le CO2, d’isoler leur maison, de baisser leur thermostat, de mettre un gros pull, de prendre un peu moins la voiture, de marcher un peu plus, de passer les vacances à la maison, d’acheter des produits locaux, toutes ces demandes resteront inaudibles ou seront rejetées comme de la manipulation tant que tous les messages relatifs à la consommation iront dans la direction opposée. »” (p. 17)
9 Partant de l’adage “le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas” et donc ne recycle pas.
10 Dans une note de juin 2020 Les Amis de la Terre recommandent de ne plus utiliser les expressions “neutralité carbone” ou “zéro émissions nettes”.
11 Le principe de compensation carbone est-il efficace ? – Le Monde, 06/03/2019
12 Voir le communiqué de RAP et trois autres associations relatif à l’avis favorable émis par l’ARPP en octobre 2018 concernant les plaintes autour d’une campagne de l’enseigne Cdiscount incitant à remplacer des biens en état de marche.
13 Les propos comme “voitures propres”, “zéro émission” ou “avion vert” sont maintenant relayés par les politiques…
16 Dans un laps de temps similaire ? Va-t-on devoir attendre encore 30 à 50 ans pour avoir une publicité pas trop climaticide ?
17 Image des femmes dans la publicité télévisée : les décalages et stéréotypes persistent – CSA, octobre 2017
19 63% et 57% respectivement
20 78% et 64% respectivement
21 82 % vs. 18 % d’expertes
22 67 % vs. 33 % pour les hommes
23 Loi audiovisuelle : des « codes de bonne conduite » contre les pubs pour les aliments gras ou sucrés – Next INpact, 14/10/2019
24 Lutte contre l’obésité: «Aux publicitaires de faire leurs preuves» – Libération, 10/03/2009
25 Pub pour la malbouffe ciblant les enfants : la réforme de l’audiovisuel est l’occasion à ne pas rater pour enrayer l’obésité et le surpoids des enfants en France – Foodwatch France, 25/02/2020
26 Créatifs : « la nouvelle décennie sera marquée par l’éco-conception » – L’ADN, 27/11/2019
27 Nutri-score : foodwatch décrypte l’opération de désinformation des lobbies – Foodwatch, 20/05/2019
29 Notons que la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire va donner la possibilité de porter plainte en cas de non respect à partir du 1er janvier 2021, ce qui n’existait pas jusqu’alors.
30 On trouvera les différentes règles applicables en fonction des cas à cette adresse -> https://antipub.org/se-defendre/espace-public/boite-a-outils-rallumons-les-etoiles-eteignons-les-pub/
31 Voir le cas de Paris détaillé à cette adresse
32 Comme le spécifie l’article L581-2 du code de l’environnement.
34 Moins de 1% des 3 millions d’entreprises en France accède au système publicitaire – Rapport Big Corpo – SPIM, juin 2020
35 L’avenir de la communication se joue du bon côté de l’Histoire – Les Échos, 13/12/2019
36 Stricto sensu publicité signifie “rendre publique une information”, comme lorsque le Journal Officiel fait la publicité de ses publications.