« Touche pas à ma vitrine » : l’association de commerçants qui n’en était pas une

Depuis plusieurs semaines, nous nous demandions qui était derrière une entité, Touche pas à ma vitrine, présentée par les médias comme une « association de commerçants », vent debout contre l’article de la loi « climat » actuellement en débats, qui se propose de pouvoir réglementer les publicités et enseignes, notamment numériques, derrière les vitrines1.

L’offensive médiatique


Nous nous demandions effectivement comment un collectif2 si récent pouvait être repris à ce point dans tous les médias nationaux. Revue de presse non exhaustive : RTL, L’OBS, Ouest France, Les Échos, Le Figaro, Le Monde, BFMTV, CNews… difficile, depuis deux mois, de passer à côté de Touche pas à ma vitrine. Il nous paraissait étonnant que des commerçants et commerçantes trouvent le temps de faire une telle veille législative et d’organiser une telle offensive médiatique.

Mais après tout, pourquoi pas ? En ces temps de fermetures de magasins…

Mais lorsque nous avons vu que le collectif utilisait dans son argumentaire une étude de KPMG, commanditée par l’Union de la publicité extérieure (UPE), nos antennes se sont à nouveau dressées. En effet, ce syndicat professionnel des afficheurs, qui comporte notamment les mastodontes JCDecaux et Clear Channel, est bien connu par notre association comme étant le fer de lance du lobbying des entreprises d’affichage extérieur.

Une étude plus que douteuse

Son président, Stéphane Dottelonde, présentait cette étude lors du point d’étape sur les engagements climat du secteur de la publicité organisé par le ministère de l’Écologie le 23 mars dernier. Selon lui, l’UPE avait choisi KPMG parce que le cabinet est considéré par le syndicat comme un « tiers de confiance », ce qui est pratique lorsqu’on souhaite qu’une étude aboutisse à des résultats qui arrangent le commanditaire.

Cette étude arrive à la conclusion que la publicité diffusée sur les écrans numériques publicitaires3 consomme jusqu’à 4 fois moins qu’une publicité diffusée sur un écran télé ou sur un écran d’ordinateur/tablette/ordiphone. Démonstration :

On notera les hypothèses de départ, notamment le fait que les écrans numériques dédiés à la publicité ne diffuseraient que 50 % de publicités en moyenne. Or si certains panneaux numériques ont effectivement l’obligation de diffuser 50 % de communication d’intérêt général, cette obligation n’incombe qu’aux « mobiliers urbains d’information », ces obstacles urbains que l’on retrouve sur les trottoirs de nos villes. À l’heure actuelle, si quelques villes ont conclu des contrats comprenant des écrans numériques, le parc de ces derniers est majoritairement implanté là où le code de l’environnement ne s’applique pas et où ils diffusent à 100 % des publicités : dans les centres commerciaux, les gares, les métros et… derrière les vitrines des magasins. Cette hypothèse de départ permet donc de diviser par deux le résultat final.

On notera aussi la fourchette du parc des écrans, entre 10 000 et 20 000 implantés. Soit du simple au double.

L’étude se borne par ailleurs à la seule consommation énergétique des écrans dans la phase d’utilisation, sans faire d’analyse de cycle de vie des différents dispositifs, ce qui serait bien plus pertinent. On peut donc sérieusement douter des résultats de cette étude.

Le Lobby des afficheurs aux manettes

Hier soir, lors d’un live organisé par le collectif de député·es Écologie, démocratie, solidarité4, des internautes ont fait en direct ce que nous aurions dû faire depuis des semaines : une recherche « whois » pour savoir qui avait enregistré le site de Touche pas à ma vitrine.

Il s’agit donc de la société Phenix qui a enregistré le site. Cette société, notre association la connaît bien. Avant l’apparition des écrans numériques publicitaires, elle s’appelait Insert, et était déjà bien connue pour apposer des publicités papier sur les baies vitrées, ce qui était alors illégal5. Depuis elle continue son activité papier sous le nom d’Insert et son activité numérique sous le nom de Phenix. Le tout regroupé sur son site internet.

Or cette société est aussi membre… de l’Union de la publicité extérieure.

On comprend dès lors mieux comment ce collectif de commerçants a pu être autant à l’offensive, ce dernier bénéficiant des ressources de l’UPE, de ses contacts et services de relations presse, faisant ainsi passer cette demande des afficheurs pour une demande des commerçants.

Tout cela dit, nous ne doutons pas que certains commerçants souhaitent effectivement nous imposer des écrans derrière les vitrines, même si nous avons aussi des témoignages qui semblent dire que pour ces derniers, ces écrans ne sont pas forcément la panacée.

En revanche, il serait bon que le lobby des afficheurs avance à visage découvert et ne se fasse pas passer pour ce qu’il n’est pas. Des député·es pourraient croire qu’ils et elles votent pour l’intérêt les commerçants..


Notes

1 Voir notre précédent article pour plus de détails (article 7) → https://antipub.org/loi-climat-retour-sur-les-debats-en-commission-avant-les-debats-a-lassemblee-nationale/

2 Aucune association de ce nom n’est déclarée au journal officiel à l’heure où nous écrivons ces lignes

3 Que le secteur appelle « DOOH » pour « digital out of home » soit la communication extérieure numérique.

4 Delphine Batho, Matthieu Orphelin, Cédric Villani, notamment.

5 Heureusement, le Grenelle de l’environnement est passé par là et à légalisé en partie l’activité → https://antipub.org/micro-affichage-publicitaire-et-loi-grenelle-2-la-prime-aux-delinquants/