Tribune « La pub doit cesser de nous vendre le monde d’hier »

Tribune publié sur France Info ici.

Face aux citoyens qui recommandaient de mettre fin aux publicités pour les produits les plus polluants et la malbouffe, dans son projet de loi Climat et résilience, le gouvernement a préféré confier le dossier aux annonceurs dont les engagements restent flous à quelques jours du débat parlementaire sur ce texte. Nous, associations de divers horizons et professionnels de la communication, dénonçons cet échec écologique et démocratique. Les renoncements du gouvernement sont nombreux dans le projet de loi Climat et résilience : c’est l’avis du Conseil national de la transition écologique, du Haut Conseil pour le climat et des membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) eux-mêmes.

Une mauvaise note pour le gouvernement

Sur le volet « régulation de la publicité », après le filtre du gouvernement, la « loi Evin Climat » proposée par la CCC – ce principe d’interdiction de publicité pour les produits nocifs – ne porte plus que sur un secteur, « les producteurs d’énergies fossiles », pour lequel la publicité est déjà rare. Tandis qu’à côté, un dispositif que personne n’avait demandé, le « contrat-climat », ne parle plus que de « réduction » d’une telle publicité, sur la base du volontariat.

Résultat : la Convention citoyenne pour le climat a donné la note exécrable de 2,6/10 au gouvernement sur cet item. Comment en est-on arrivé là ? Les membres de la CCC avaient pourtant pris soin de prioriser les enjeux. Ils se sont ainsi focalisés sur la lutte contre la publicité par des supports imposés et pour des produits polluants. Sur ces produits, ils ont concentré toute l’ambition sur un levier actionnable à long terme – un Ecoscore permettant de mesurer et d’afficher les émissions de CO2 des biens et services – pour interdire un jour la publicité sur les plus émetteurs.

Pour agir dès à présent, ils ont adopté une approche raisonnable. Les seules interdictions immédiates de publicité seraient ciblées sur les produits dont le caractère polluant ou nocif pour la santé ne fait aucun doute, tout en étant l’objet de dépenses promotionnelles massives : les véhicules « malussés » et les produits trop gras, trop sucrés, trop salés. Aucun doute, car Santé publique France recommande l’interdiction de la publicité pour la malbouffe qui cible les enfants, en raison du lien indiscutable avec les phénomènes d’obésité. Aucun doute sur les produits polluants, car de nombreux rapports ont documenté la nécessité de mettre fin à la promotion des biens et usages nocifs pour le climat.

Un argumentaire fallacieux

De fait, au-delà des seuls SUV, il s’agirait plutôt d’interdire la publicité pour tous les produits qui fonctionnent aux énergies fossiles. Et pourtant, le gouvernement a balayé tous les compromis de la Convention citoyenne en matière de « loi Evin Climat« . Pourquoi ? Manifestement, ce renoncement s’appuie sur les arguments de lobbies selon lesquels interdire la publicité pour ces produits réduirait d’autant le niveau des financements publicitaires dans les médias, mettant ceux-ci par terre, et avec eux l’ambition du pluralisme de l’information et de la créativité culturelle.

Mais cette fois, pour sauver nos médias, la majorité au pouvoir a préféré laisser les annonceurs prendre la main : réduire la publicité pour trop peu de produits polluants, sans contraindre ceux qui ne le souhaitent pas. Tout cela sur la base d’un argumentaire fallacieux. Avec la « loi Evin Climat », le marché publicitaire ne va pas disparaître et ne devrait même pas diminuer, puisque les dépenses publicitaires d’aujourd’hui se reporteront demain vers des produits substituables moins polluants.

L’impact d’une baisse des financements des médias doit aussi être relativisé. La publicité ne finance qu’une partie des médias et ne sont dépendants des aléas du marché publicitaire que ceux qui sont fortement ou entièrement basés sur ce type de revenus. Or précisément, le pluralisme de la presse est aussi largement garanti par les médias qui dépendent peu ou pas des financements publicitaires.

La pression des lobbies

La publicité ne pourra accompagner la transition écologique que si la loi fixe un minimum de règles afin – avec tout le talent dont les communicants peuvent faire preuve – qu’elle nous « vende » uniquement le monde de demain, et non plus celui d’hier. Durant le Grenelle de l’environnement en 2008, sur la régulation de la publicité, le gouvernement avait déjà choisi l’autorégulation et fait confiance aux grands annonceurs.

Aujourd’hui, 8 entreprises de l’économie sociale et solidaire sur 10 sont favorables à l’interdiction de la publicité sur les produits les plus polluants, à l’instar de plus de 65% des Français. Malgré le pragmatisme de la Convention citoyenne pour le climat, le gouvernement a faibli devant la pression des lobbies. Pour éviter un échec à la fois démocratique et écologique, pour que la France s’engage avec une « loi Evin Climat » ambitieuse, nous demandons maintenant aux parlementaires d’amender le projet de loi en y introduisant la proposition portée par la CCC.

Les signataires :
Morgane Créach, directrice du Réseau action climat
Marie Cousin, présidente de RAP (Résistance à l’agression publicitaire)
Vincent David, fondateur de Relation d’utilité publique
Renaud Fossard, responsable du Système publicitaire et influence des multinationales (Spim)
Juliette Franquet, directrice de Zero Waste France
Khaled Gaïji, président des Amis de la Terre France
Alain Grandjean, président de la Fondation Nicolas Hulot
Karine Jacquemart, directrice de Foodwatch
Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France
Wojtek Kalinowski, co-directeur de l’Institut Veblen
Daniel Luciani, dirigeant d’ICOM21
Jean-Yves Mano, président de CLCV (Association nationale de consommateurs et usagers)
Céline Puff Ardichvili et Béatrice Lévêque, directrices générales et associées de LookSharp
Gilles Reeb et Emmanuel Beaufils, co-fondateurs de l’agence Uzful
Arnaud Schwartz, président de France nature environnement
Laurent Terrisse, fondateur et président de l’agence Limite
Laetitia Vasseur, directrice générale de Halte à l’obsolescence programmée (HOP)