2003 : retour sur le mouvement « Stop Pub »

A l’automne 2003, des centaines de citoyen·nes descendaient dans le métro parisien pour une série d’actions d’envergure contre l’affichage publicitaire dans les transports publics. 20 ans après, alors que la publicité dans le métro n’a jamais été aussi agressive, retour sur ces actions emblématiques qui ont permis de visibiliser et d’organiser la lutte.

Entre le 17 octobre et le 19 décembre 2003, à 4 reprises, des centaines de personnes munies de pots de peinture, de marqueurs et de bombes s’attèlent à recouvrir de slogans et de dessins des milliers d’affiches dans les couloirs souterrains du métro parisien. Ils et elles sont enseignant·es, chômeur·euses, chercheur·euses, intermittent·es, personnel de santé, archéologues, précaires, fonctionnaires, étudiant·es, architectes… Indigné·es contre la mainmise du commerce sur les services publics et la marchandisation du monde, ils et elles se réunissent au sein du collectif Stop Pub1, sans leader, sans programme global, en marge de tout parti et syndicat. Prônant l’action directe non-violente, un appel à un acte de réappropriation civique est lancé : « Résistons avec des moyens créatifs, pacifiques et légitimes. Nous nous proposons de recouvrir systématiquement les panneaux publicitaires de nos villes et de nos campagnes, sans endommager l’environnement, mais au contraire en les réinvestissant de sens, en créant la surprise.»2

La surprise survient dans le métro de Paris le soir du 17 octobre où quelques 300 personnes se retrouvent aux stations Saint-Lazare, République, Place d’Italie, La Motte-Picquet, Montparnasse, Nation et Gare de l’Est. Répartis en groupes de 20 à 30 personnes, les activistes investissent pacifiquement les quais de huit lignes du métro et s’attèlent systématiquement aux affiches sous les regards amusés voire solidaires des voyageurs et parfois carrément encouragés par les employés de la RATP3. Traitements appliqués aux affiches : arrachage, barbouillage, collage, graffitage, maculage, mouillage, peinturlurage. Motif décoratif principal : une croix noire en X tracée sur toute la largeur de l’affiche. Libre ensuite à chacun·e d’y inscrire le slogan de son choix. Aux traditionnels « Marre de la pub » et « Nique la pub », viennent s’ajouter des aphorismes plus inspirés comme « L’idéal de beauté est éphémère » ou « Si on changeait la déco, chéri ?».

La presse relaye l’événement avec intérêt4 et Métrobus, la régie gérant le parc publicitaire de la RATP, estime à 2440 les affiches « dégradées » : la soirée est un succès pour le mouvement Stop Pub. Un second rendez-vous est pris pour le vendredi 7 novembre. Cette fois-ci, 300 à 600 personnes se rendent à sept points de ralliement. Le service de sécurité de la RATP, apparemment débordé, laisse faire et, toujours selon Métrobus, 3722 affiches sont ce soir-là barbouillées. Seul incident notable : vers 23 heures, un groupe de 39 activistes est interpellé par la police à la sortie du métro Trinité5.

Entre-temps, la RATP et sa régie publicitaire ont décidé de contre-attaquer. Le 3 novembre, une plainte contre X est déposée. Le 6 novembre, Métrobus exige la fermeture du site internet Stop Pub, ce qu’elle obtiendra le 1er décembre, à la suite d’une décision favorable du Tribunal de Paris. En réponse à cette procédure jugée disproportionnée, les activistes appellent à une troisième action le vendredi 28 novembre. Près de 1000 personnes se rejoignent aux stations d’où doit partir cette nouvelle action. Mais cette fois, la RATP ne s’est pas laissée surprendre. Des cars entiers de policiers sont mobilisés, et près de trois cents militant·es sont arrêté·es, souvent même avant d’avoir eu le temps d’agir.

Au total, les quatre actions coordonnées de l’automne 2003 auront abouti à la neutralisation symbolique de 9000 affiches publicitaires. En décembre, Metrobus et la RATP assignent 62 personnes au « civil » et réclament 980 000 euros de dommages et intérêts pour les « dégradations » subies6. Le procès dit « des 62 » s’est tenu le 10 mars 2004 et le délibéré a été rendu le 28 avril. 6 personnes ont été condamnées chacune à verser des dommages et intérêts de 2000 euros et 3 autres à 400 euros. Il faut rajouter à cela 500 euros par personne condamnée à verser à la société Métrobus pour payer ses frais de justice, soit en tout environ 17000 euros7. Les frais ont été payés par le collectif.

Spectaculaire, inédit, ce mouvement a connu des répliques dans de nombreuses villes de France (Rouen, Montpellier, Grenoble, Caen…) et grâce à une forte couverture médiatique, a placé pour un temps la lutte contre l’agression publicitaire au cœur du débat de société en France. Si l’engouement est vite retombé, ces actions ont laissé une trace durable dans le mouvement militant ant-pub. Formé spontanément en rejet du discours ultra-consumériste et de la tendance à la marchandisation généralisée, le mouvement se transforme en un geste de reconquête de la liberté d’expression et de réappropriation de l’espace public8, mobilisant les méthodes et outils de la désobéissance civile.

Du mouvement Stop Pub naîtra le collectif des Déboulonneurs9, créé en 2005 dans le sillage de ces évènements. Les personnes fondatrices de ce collectif sont parties des limites du procès des 62, au civil, où seul est estimé le préjudice, sans prêter attention aux intentions des personnes qui créent ce préjudice. Le collectif a donc cherché à provoquer des procès au pénal, où une écoute sur les intentions des activistes/prévenu·es doit être faite. Leurs actions de barbouillage et de recouvrement sont planifiées, annoncées, menées à visage découvert et visent à l’arrestation stratégique des militants de manière à porter le combat devant les tribunaux pour faire reconnaître l’état de nécessité10 de la lutte anti-pub.

Cette reconnaissance de l’état de nécessité sera acquise le 25 mars 2013 lors du délibéré d’un des procès des Déboulonneurs, où un jugement considérera que “La jurisprudence a admis, dans de rares cas, l’état de nécessité devant l’impossibilité pour l’auteur de l’infraction de faire autrement que de la commettre. Ainsi, l’impossibilité pour les personnes, en passant dans la rue, d’échapper à l’affichage publicitaire de grande dimension caractérise une contrainte morale” ce qui motivera la relaxe des prévenu·es11.

Mais s’il y eut quelques victoires dans la lutte contre l’agression publicitaire en France, avec notamment des municipalités très impliquées dans ces combats, le cas de la RATP et du métro parisien demeure toujours problématique. En témoigne ce communiqué de presse de R.A.P. paru dans la foulée de la première action le 20 octobre 2003,qui reste tristement d’actualité : « Chaque station est l’occasion d’asséner des dizaines de messages ; les couloirs, les portes, les tourniquets, et aujourd’hui les véhicules eux-mêmes, les bouches de métro, les marches d’escaliers, les sols parfois, sont utilisés pour chasser toujours plus loin l’attention et l’intimité de l’usager »12. Force est de constater que si certains de ces supports ne servent plus pour la publicité13, d’autres, bien plus agressifs, sont apparus, à commencer par les écrans numériques qu’on trouve dans les couloirs, et de plus en plus sur les quais, avec des formats de plus en plus grands14, ou à des endroits inoccupés jusqu’alors15.

A l’heure où la mairie de Paris envisage de sortir de la publicité commerciale d’ici trois ans16,la RATP pourrait-elle s’engager elle aussi dans cette direction ? Un autre métro, libre, public et écologique est-il possible ?

4Le Publiphobe n°75, Novembre 2003, op. cit.

6La RATP ne réclamant qu’un euro symbolique.

9Aujourd’hui en sommeil après des années d’actions et de procès : http://deboulonneurs.org/

13Notamment les tourniquets ou les rames de métro

14Comme ce qu’on voit apparaître sur les quais de la ligne 4 depuis quelques mois.

15Comme les publicités (papier et numérique) qu’on voit apparaître sur les vitres qui empêchent de descendre sur les rails, de la ligne 1 pour l’instant seulement.