Le Conseil de Paris souhaite « sortir de la publicité commerciale d’ici trois ans »… Vraiment ?

Ce jeudi 16 novembre, Anne Hidalgo, maire de Paris, a annoncé en Conseil de Paris qu’elle voulait « sortir de la publicité marchande d’ici trois ans » et que l’exécutif souhaitait réviser le règlement local de publicité (RLP) dans la même période. Si l’annonce semble être une bonne nouvelle, elle reste néanmoins vague et semble difficilement réalisable dans ces termes. Notre analyse.

Le Conseil de Paris de ce 16 novembre a débattu d’un vœu du groupe écologiste visant à limiter la publicité dans l’espace public. Au nom de la rédaction du vœu et de sa difficile faisabilité à plusieurs égards1, celui-ci a été rejeté. Cependant, il a poussé l’exécutif à faire des annonces qui semblent ambitieuses, pour justifier son avis défavorable. Durant les débats, Emmanuel Grégoire, premier adjoint de la Ville et chargé de l’urbanisme, a affirmé vouloir relancer le dossier de la révision du RLP de Paris pour en adopter un nouveau d’ici trois ans. Le vœu du groupe écologiste a aussi conduit la maire de Paris, Anne Hidalgo, à affirmer, à plusieurs reprises, sa volonté de « sortir de la publicité marchande d’ici trois ans ».

Si de prime abord, ces annonces semblent être de bonnes nouvelles pour notre lutte, elles appellent quelques points de vigilance et méritent plus de clarté.

« Sortir de la publicité marchande d’ici trois ans » ? Oui, mais comment ?

Si « sortir de la publicité marchande d’ici trois ans » serait une grande avancée, tant pour les Parisien·nes que pour le message envoyé au reste du monde2, nous ne voyons malheureusement pas comment, en l’état du droit actuel et des contrats en cours, cette sortie de la publicité marchande, prise au pied de la lettre, serait possible.

L’affichage publicitaire extérieur est régi par le code de l’environnement dans le chapitre sur la « publicité, enseignes et préenseignes »3. Or le tout premier article de ce chapitre, lié à la « prévention des pollutions, des risques et des nuisances » et à la « protection du cadre de vie », accorde à « chacun […] le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité, d’enseignes et de préenseignes, conformément aux lois en vigueur et sous réserve des dispositions du présent chapitre ». Cet article, fondamental au sens strict, étant le premier du chapitre, est un frein majeur pour une sortie de la publicité marchande. Car s’il permet d’encadrer, voire d’interdire en certaines zones, la publicité, il ne permet pas de l’interdire en tout lieux sur un territoire donné. Le Conseil d’État jugerait vraisemblablement une telle interdiction comme « excessive » puisque « chacun » peut diffuser des informations « quelle qu’en soit la nature » ce que le secteur publicitaire n’oublie jamais de mettre en avant. Donc, sauf à faire changer ce texte de loi nous voyons mal comment la Ville pourrait sortir de la publicité marchande tel qu’annoncé. Changer ce texte impliquerait une action gouvernementale, or Macron et sa majorité très relative font barrage, avec Les Républicains et le Rassemblement National, contre ce type de mesures4.

La Ville de Paris est par ailleurs engagée dans des contrats publicitaires pour ses mobiliers urbains. Nous en faisions le récapitulatif dans cet article/bilan de la précédente mandature, que nous reproduisons ici :

 

Date début

Date fin

Opérateur

Redevance/an
(en M€)

% redevance
Pub totale

Contrats « mobiliers urbains »

Mobiliers urbains d’information

2019

2024

Clear Channel

34

51,3%

Abris voyageurs

2014

2029

SOPACT (JCDecaux)

8,2

12,4%

Kiosques commerciaux

2016

2031

MediaKiosk (JCDecaux)

6,7

10,1%

Mâts & colonnes Porte-affiches

2019

2027

JCDecaux

9,05

13,7%

Contrats « palissades »

 

 

 

 

 

Contrat « chantiers publics »

2015

2020-2026

Clear Channel

3,3

5,0%

Contrat « hors du domaine public routier »

2015

2028

JCDecaux

3,7

5,6%

Contrat « domaine public routier »

2015

2028

Exterion Media

1,35

2,0%

TOTAL

 

 

 

66,3 M€

 

On note que seuls les mobiliers urbains d’information (aussi appelés « sucettes ») et les contrats des palissades de chantiers publics arrivent à terme d’ici trois ans. Pour « sortir de la publicité marchande » d’ici là, il faudrait donc d’une part ne pas renouveler ceux qui arrivent à terme, et d’autre part, soit casser, soit a minima amender ceux qui seront encore en cours après 2026. Or casser un contrat en cours implique des pénalités. La Ville s’engagerait donc à perdre une recette et accepter une dépense de pénalités. Ce n’est pas impossible, mais en l’état actuel des choses cela mériterait d’être explicité et assumé par la Ville de Paris, avec une volonté politique forte. Sans quoi il y a fort à craindre que, une fois les débats ouverts à ce sujet, l’opposition (ou les lobbies publicitaires) se servent de ce problème financier pour les étouffer dans l’œuf. Quant à d’éventuels amendements aux contrats, ils impliquent que JCDecaux ou Clear Channel signent un avenant, qui les empêcherait de faire la promotion des multinationales qui font leur chiffre d’affaires. Avant de crier victoire, il faudrait donc s’assurer de leur engagement à ce sujet. Rappelons qu’en mars 2022, l’exécutif émettait un avis défavorable à un vœu (rejeté5) du groupe écologiste qui demandait le non-renouvellement du contrat avec Clear Channel pour les mobiliers urbains d’informations… L’exécutif a néanmoins encore une chance de montrer sa bonne volonté en refusant de renouveler ce contrat, puisque rien n’est encore voté. Cela permettrait de libérer les trottoirs de ces obstacles urbains et de supprimer 1630 supports publicitaires incitant à la surconsommation. Ce serait déjà un grand pas !6 Accessible avant trois ans…

Réviser le règlement local de publicité (RLP) d’ici 3 ans ?

L’autre annonce de l’exécutif en réponse au vœu du groupe écologiste est d’affirmer vouloir réviser le RLP d’ici trois ans. L’objectif serait notamment d’y intégrer une réglementation des écrans numériques derrière les vitrines, ce qui est possible depuis la loi « climat et résilience » mais ne permet cependant pas de les interdire7. Si l’annonce n’est pas inintéressante en soi puisque le RLP pourrait être amélioré pour être plus restrictif, elle nécessite toutefois quelques réserves et points de vigilance.

Tout d’abord, le temps prévu pour réviser le RLP, trois ans, nous paraît ambitieux, mais risqué. Rappelons que le RLP est un document qui ne se révise pas du jour au lendemain. Le processus de révision est calqué sur celui du Plan Local d’Urbanisme et demande de nombreuses étapes, sous peine d’invalidité.( Schéma issu du Guide pratique de la réglementation de la publicité extérieure édité par le ministère de l’Écologie en 2014)

Le RLP actuel a mis sept ans à être adopté (2004-2011). Celui de Lyon a mis cinq ans (2017-2022), courant sur deux mandatures différentes, avec des exécutifs différents. Or les prochaines élections sont dans moins de trois ans (1er semestre 2026). Donc, pour être sûr de voter un RLP tel que le souhaite l’exécutif actuel, il faudrait même aller encore plus vite que trois ans. En effet, le risque existe, et il n’est pas négligeable, que la majorité actuelle ne soit pas renouvelée. Or une majorité différente pourrait refaire le travail effectué pour autoriser, notamment, les écrans numériques aujourd’hui interdits par le RLP8. C’est ce qu’il s’est passé à Lyon, pour le meilleur, puisque la majorité actuelle a voté un RLP bien plus restrictif que ce que prévoyait la précédente9. Mais nous risquons ici l’effet inverse…

Si nous sommes si sceptiques, c’est aussi parce que nous avons de la mémoire. Le précédent exécutif, relativement similaire à l’actuel, proposait déjà, en novembre 2017, de réviser le RLP. Il était alors question « d’initier l’introduction de technologies nouvelles, comme les écrans numériques, dans l’espace public »10. Soit le contraire de ce qui est aujourd’hui annoncé. Nous avons donc des raisons de nous interroger sur les intentions de la Ville à ce sujet. D’autant que, la délibération du 21 novembre 2017, qui prévoyait la révision, si elle n’a pas abouti, n’a pas été annulée11. La Ville pourrait donc, pour aller plus vite, repartir de cette (mauvaise) base et autoriser les écrans numériques dans l’espace public et « en même temps », les « encadrer » dans les espaces privés visibles de l’espace public12. Ce serait alors une double peine puisqu’il y aurait toujours des écrans derrière les vitrines (certes, éventuellement plus petits et/ou moins lumineux) et de nouveaux dispositifs numériques sur les trottoirs (abris de bus, sucettes, publicités murales…). Ce serait donc une multiplication de dispositifs qu’Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Ville et chargé de l’urbanisme, appelle maintenant une « hérésie climatique ».

On note cependant une évolution dans le discours qui pourrait rendre optimiste quant à la volonté de s’attaquer au problème. Alors qu’en 2017, la publicité numérique était, pour le premier adjoint, un gage de « sérieux » pour la Ville, et une manière de « financer des places de crèches », elle est aujourd’hui vue comme « écocide » et « incitation à la surconsommation de biens non essentiels » par le même adjoint.

Cela dit, nous sommes habitué·es, à RAP, aux discours grandiloquents des politiques qui dénoncent avec force la publicité et ses méfaits, mais qui, dans les faits, émettent des réserves, mettent les recettes budgétaires dans la balance, et finalement votent contre ou s’abstiennent (voir les débats au dernier Conseil de Paris ci-dessous, qui sont un bon exemple en la matière).

Nous laissons cependant à l’exécutif le bénéfice du doute : les politiques peuvent changer de positions et se découvrir des volontés insoupçonnées au regard des enjeux qu’on ne peut aujourd’hui plus ignorer13. Nous serons cependant très regardant·es sur le projet de RLP proposé et sur le lobbying du secteur qui sera nécessairement très intense pour une ville comme Paris où les enjeux de vitrine commerciale pour leurs activités à l’international sont importants.

Nous rappellerons donc avec force, si le projet de révision du RLP a lieu, nos revendications en matière d’affichage extérieur :

– Zéro watt pour la pub : interdiction de la publicité lumineuse (ni éclairées par transparence, par projection ou numérique) et déroulante ;

– Panneaux de 2 m² maximum avec plusieurs affiches papier de 50×70 cm (comme pour les panneaux d’affichage d’opinion) ;

– Disposition des mobiliers urbains d’information (« sucettes ») parallèlement à la voie plutôt que perpendiculairement afin de ne pas s’imposer aux regards ;

– Limitation de la densité à 2 m² maximum par tranche de 2000 habitant·e·s, au même titre que la réglementation de l’affichage d’opinion15.

L’adage dit que « chat échaudé craint l’eau froide ». Habitué·es aux effets d’annonce et aux mesures contre-productives, nous renouvelons notre intérêt pour la suppression de la publicité marchande dans l’espace public, à Paris et ailleurs – tout en redoublant de vigilance quant aux modalités de sa réalisation politique. La Ville de Paris doit expliciter, développer et assumer, avec une volonté politique forte, toutes les implications de ses annonces. Sans quoi ces dernières ressembleront plutôt à des pirouettes rhétoriques permettant de voter contre un vœu écologiste, tout en paraissant le soutenir. Sans quoi, si de vraies propositions venaient à être débattues à ce sujet, l’opposition (ou les lobbies publicitaires) ne manqueraient pas de souligner tous ces manquements pour étouffer dans l’œuf ces premier pas vers la sortie du monde publicitaire.

Nous serons donc ravi·es de pouvoir travailler avec la Mairie de Paris si elle souhaite réellement « sortir de la publicité marchande d’ici trois ans », mais extrêmement vigilant·es sur les décisions qui seront prises et au lobbying qui sera immanquablement fait par les afficheurs.

Revoir les débats sur ce sujet lors de la session du 16 novembre 2023

 

Verbatim des prises de positions que l’on attendait pas.

Emmanuel Grégoire : « La publicité est un sujet qu’on ne peut pas laisser à l’écart des réflexions sur les enjeux climatiques. Que ce soit en matière d’impact environnemental direct, lié au support de publicité ; que ce soit en matière de responsabilité sociétale sur le plan de l’incitation à la surconsommation de biens non essentiels […] ; que ce soit sur le plan sociétale des valeurs […] qui seraient collectivement les nôtres […] c’est à dire les publicités écocides, les publicités sexistes, etc. En la matière, l’ensemble du secteur, les professionnels, les pouvoirs publics et les clients de la publicité ont une responsabilité sociétale dont ils ne peuvent s’exonérer. »

Anne Hidalgo : « Je suis entièrement d’accord sur cette idée de sortir de la publicité marchande et de sortir de cette addiction. » (mais la dette donc on va se donner du temps

Maud Gatel (Modem) : « Merci au groupe Les Verts d’avoir porté à nouveau ce sujet. Je suis totalement en phase avec les différentes demandes sur la baisse de la publicité à Paris. […] On est également extrêmement sensible sur la publicité lumineuse et la publicité numérique. […] Nous partageons entièrement la philosophie du vœu » (mais la dette donc abstention sur le vœu…)

Jean-Noël Aqua (Communiste) : « Nous avons régulièrement exprimé notre volonté de sortir la ville de la publicité. […] Il y a certaines villes scandinaves qui ont déjà franchi le pas et dans lesquelles la déambulation est sacrément agréable du fait de ne pas être agressé·es en permanence par cette publicité. La publicité représente pour nous trois gros écueils. Le premier c’est évidemment quelque part une sorte de pousse-au-crime vers le consumérisme permanent avec un pulsion de la consommation qui, pour certains, pourrait devenir une sorte d’horizon non dépassable. Deuxième point, c’est que pour nous la publicité représente quand même une certaine arnaque, excusez-moi du terme, où on paye pour se faire influencer. Souvent on nous dit « la publicité est gratuite ». Non la publicité n’est pas gratuite puisque dès que vous achetez un bien d’une marque qui fait de la publicité, de toutes façons vous payez dans le ticket de caisse, dans le prix qui vous est facturé, il y a le prix de tout l’effort publicitaire et de tout le budget publicitaire que vous payez. Donc en fait vous payez pour vous faire influencer […] c’est assez remarquable. Et enfin, évidemment, mais c’est une trivialité aujourd’hui, c’est une gabegie écologique la publicité avec le fait qu’elle pousse à une consommation souvent de biens inutiles et elle pousse à l’obsolescence programmée dont on sait aujourd’hui tout l’impact qu’elle peut avoir sur le réchauffement climatique. Néanmoins nous nous abstiendrons car si nous saluons l’objectif, ça ne peut pas être décidé comme ça par un vœu déposé et discuté en une semaine. Donc si nous sommes favorables à l’ambition, on a besoin de temps de travail. »


Notes

1 Le vœu proposait notamment de :
– s’engager pour la fin de la publicité dans l’espace public ;
– raccourcir les contrats de mobiliers urbains publicitaires ;
– supprimer les bâches publicitaires sur les monuments de la Ville ;
– supprimer la publicité lumineuse sur le mobilier urbain de la Ville et les remplacer par des arbres.

2 Nos allié·es à l’international seraient en effet ravi·es de pouvoir montrer Paris en exemple à leurs collectivités pour montrer que « oui, c’est possible » tant les politiques d’ici ou d’ailleurs ont besoin d’imiter les bonnes pratiques

3 Articles L581-1 et suivants ainsi que les articles R581-1 et suivants du code de l’environnement.

5 On retrouvera les débats sur cette page.

6 Souvenons-nous de la période où Paris était « grenoblisée », il n’y a pas si longtemps… https://antipub.org/ville-de-paris-se-grenoblise-malgre/

7 La loi permet seulement de définir des prescriptions en matière d’horaires d’extinction, de surface, de consommation énergétique et de prévention des nuisances lumineuses → https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043959893/2022-07-27

8 Article P4.1.1. Lien vers le RLP

9 On retrouvera l’histoire de ce RLP par ici → https://antipub.org/victoire-lyon-interdit-les-ecrans-publicitaires/

12 Notons tout de même que la Ville devrait alors prendre en compte la concertation publique dont les résultats étaient sans équivoque→ https://antipub.org/rlp-de-paris-analyse-des-contributions-a-la-concertation/