La RATP et Métrobus avaient annoncé le déploiement de 400 écrans publicitaires espions dans les couloirs du métro au 30 juin 2009. Au 1er juillet, suite à l’action des associations Résistance à l’agression publicitaire, Souriez vous êtes filmés, Big Brother Awards, Robin des Toits et Le Publiphobe, le compteur est toujours bloqué à quatre écrans, qui sont désactivés depuis plus de deux mois.
Pour nous, c’est une première victoire symbolique. Mais les parties adverses s’entêtent, et ont notamment réussi à se soustraire à la justice, en parvenant à faire capoter la procédure lancée contre ces écrans sur des détails de pure forme, pour éviter d’avoir à s’expliquer sur le fond.
Qu’à cela ne tienne : après deux mois d’un travail minutieux de documentation et d’analyse juridique et technique, le collectif d’associations lance sa contre-attaque.
Les ingrédients de la contre attaque :
– Des écrans publicitaires qui espionnent le profil et le comportement des usagers du métro
– Une RATP qui confond service public et service publicitaire
– Des sociétés privées qui se croient dans Minority Report
– Des publicitaires qui se mettent au service du ministère de l’Intérieur
– Des décideurs politiques qui parlent mais qui laissent faire
– Une CNIL qui se réveille
– Des associations qui tentent le tout pour le tout !
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Dossier de presse du 8 juillet 2009
I – Les écrans espions du métro parisien
Le 1er décembre 2008, la RATP et sa régie publicitaire Métrobus annonçaient le déploiement de 400 écrans ACL (affichage à cristaux liquides) diffusant en boucle de la publicité animée, dans le métro parisien. Quatre écrans sont déjà installés à la station Etoile. Par ailleurs, 800 autres doivent être installés dans les gares SNCF d’ici à la fin de l’année 2009.
Processus enclenché sans aucune concertation, et au mépris de nombre d’usagers et d’associations, qui souhaiteraient au contraire une réduction de la pression publicitaire.
Des caméras installées dans les écrans permettent de mesurer le nombre de personnes qui passent et le temps durant lequel la publicité a retenu leur attention. Ces « capteurs de visage » peuvent aussi donner, entre autres, des informations sur l’âge et le sexe des passants réceptifs à chaque campagne. Par ailleurs, les voyageurs seront probablement, à terme, être amenés à recevoir des messages sur leur téléphone mobile via le Bluetooth.
II – Une quintuple pollution
1 – Pollution visuelle : des écrans animés et lumineux qui accaparent encore davantage le champ visuel des usagers dans un métro déjà saturé de publicités.
2 – Pollution énergétique : ces écrans, d’une puissance de 1200 W et allumés en permanence, représentent un gaspillage énergétique considérable, inadmissible à l’heure où l’on demande à tous de faire des efforts pour réduire son empreinte énergétique.
3 – Pollution mentale : ces écrans n’ont qu’un seul objet : attirer l’attention des usagers pour mieux leur faire ingurgiter la litanie publicitaire, qui ne se soucie que du bien-être des annonceurs.
4 – Pollution électromagnétique : L’Electro Hyper Sensibilité (EHS) est officiellement reconnue comme pathologie dans de nombreux pays européens : or, la technologie Bluetooth est dans le collimateur des experts. L’installation de ce nouveau dispositif, probablement dangereux car émettant un rayonnement en continu, est d’autant plus scandaleuse que de récentes études internationales, validées notamment par l’OMS et le Parlement européen, dénoncent le risque sanitaire des technologies sans fil.
5 – Pollution des libertés publiques : les usagers du métro sont considérés, avec ces dispositifs, comme des cobayes publicitaires, que l’on peut ausculter sous tous les angles et sur lesquels on peut mener toutes sortes d’expériences. Sans qu’ils le sachent, et sans qu’on leur demande leur avis !
III – Résumé des épisodes précédents
1 – Nos cinq associations (Résistance à l’agression publicitaire, Souriez, vous êtes filmés, Big Brother Awards, Robin des toits et Le Publiphobe), qui luttent respectivement contre la publicité, la pollution électromagnétique et les atteintes aux libertés publiques, sont immédiatement montées au créneau, pour dénoncer ces dispositifs scandaleux.
2 – Le 28 janvier, après une conférence de presse donnée par les associations et des élus, une vingtaine de personnes, dont un élu avec son écharpe tricolore (Jean-Christophe Mikhaïloff, adjoint au maire du 11e arrondissement), ont procédé à une jonchée devant un de ces panneaux : elles se sont couchées à même le sol du couloir de métro en signe de protestation. La police a assisté passivement à cette étrange scène, et la presse, très activement, au vu des nombreuses retombées. Les protestataires, qui demandent un débat public, ont annoncé qu’un référé allait être déposé contre les nouveaux dispositifs espions.
3 – Le 12 février, en réunion plénière du conseil régional d’Île-de-France, des élus Verts ont obtenu du président (Jean-Paul Huchon) le principe d’un débat public sur le sujet. Le 9 mars, à l’initiative des élus radicaux de gauche, le Conseil de Paris a pris position en demandant une concertation et des garanties sur le contenu des dispositifs en cause.
4 – Le 10 mars, les cinq associations ont annoncé publiquement qu’elles venaient d’assigner la Régie autonome des transports parisiens (RATP), Métrobus (régie publicitaire de la RATP), Sérelec (qui intègre la technologie dans les panneaux) et Majority Report (fabricant du capteur présent à l’intérieur des écrans espions) devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris. L’objectif des associations était d’obtenir une expertise indépendante et professionnelle pour vérifier si ledit « capteur de visage » n’était pas en réalité une caméra vidéo utilisée à des fins non autorisées par la loi sur la vidéosurveillance, et s’il relevait ou non d’un traitement de données biométriques.
5 – L’audience, qui a eu lieu le 1er avril 2009, a duré 40 minutes, devant une salle comble – une quarantaine de sympathisants associatifs et une petite dizaine de journalistes. La juge a écouté l’avocat des opposants et les six représentants de leurs adversaires. La RATP a parlé de calomnie. Elle et ses partenaires se sont dits prêts à accepter une expertise, mais à condition qu’on ne procède pas à l’ouverture et à la dissection des écrans. L’avocat de la société Majority Report, fournisseur du dispositif, criant à la violation du secret industriel, a déploré le « risque que le savoir-faire et la technologie de Majority Report se retrouvent sur la place publique ». Et de s’écrier : « C’est comme la confiture de grand-mère : j’ai la recette, on me dit “il y a un colorant dangereux” et on veut me forcer à la donner. » Jugement mis en délibéré au 29 avril.
6 – Le 8 avril 2009, les associations ont eu vent que le président de la Région Île-de-France (Jean-Paul Huchon), également président du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) – qui tenait ce jour-là son conseil –, aurait manifesté une certaine opposition aux écrans espions. L’information nous a été confirmée par son cabinet.
7 – Le 22 avril 2009, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a diffusé un communiqué indiquant qu’elle se déclarait « compétente » sur la question des écrans espions, sans pour autant s’alarmer outre mesure sur les procédés en cause.
8 – Jugement du 29 avril 2009 : les cinq associations, jugées « irrecevables à agir », sont déboutées pour vice de forme (problèmes dans les statuts), et le tribunal rejette leur demande d’expertise, ne jugeant donc même pas bon d’examiner la requête sur le fond. Le sentiment des antipublicitaires et des défenseurs des libertés publiques est que, dans cette affaire, la RATP et ses partenaires ont fait preuve d’une agressivité juridique qui prouve qu’ils sont très gênés aux entournures, et que sur toute cette affaire flotte un certain parfum de scandale…
IV – Saisie de la CNIL
Dans un premier temps, nous avions annoncé notre intention de faire appel. Cependant, il est difficile de lutter sur le terrain judiciaire face à des gens qui déploient des armées d’avocats pour faire capoter la procédure sur la forme, afin de ne pas avoir à s’expliquer sur ce qui leur est reproché.
De plus, quelques jours avant le jugement, la CNIL a annoncé qu’elle est compétente et qu’elle contrôle actuellement la légalité et la légitimité du dispositif. Nous nous félicitons du fait que celle-ci se soit décidée, grâce à notre action, à prendre l’affaire en main, alors qu’au départ elle s’était déclarée incompétente sur cette question.
Du coup, puisque l’expertise que nous souhaitions est actuellement réalisée par la CNIL, nous avons choisi de jouer le jeu et de voir quelle position celle-ci va prendre. Cependant, il serait trop facile que la CNIL se contente des belles déclarations de Métrobus et de Majority Report. De plus, à la lecture du communiqué de la CNIL, nous nous sommes aperçus qu’un certain nombre de points de première importance n’étaient pas évoqués. Au cours de ces dernières semaines, nous avons donc dû réaliser notre propre analyse juridique et technique, que nous avons remise à la CNIL lundi 6 juillet 2009.
V – Contenu du dossier remis à la CNIL
Dossier complet : Dossier_CNIL_v.3.1-1.pdf
Cette analyse, intitulée « Ecrans publicitaire du métro parisien – Illégalité et illégitimité du système », porte sur les points suivants :
1 – Loi de 1995 sur la vidéosurveillance, possibilité d’enregistrement et finalité mercantile du dispositif.
2 – Loi de 1978 : loyauté et licéité, finalité, consentement, information et droit d’opposition.
3 – Collecte de données téléphoniques personnelles via le Bluetooth.
4 – Evolutions techniques possibles en matière de ciblage et de reconnaissance des individus, d’analyse comportementale et d’interaction avec d’autres technologies.
5 – Possibilité d’utilisation à des fins d’expérimentations sécuritaires.
Nous attendons de la CNIL un véritable travail d’analyse. A la lecture de ce dossier, nous ne voyons pas comment un tel dispositif pourrait être autorisé en France, tellement les irrégularités au regard de la loi sont nombreuses. Nous espérons d’ailleurs que la CNIL prononcera des sanctions sur les points les plus flagrants.
VI – Soutiens politiques
Jean-Christophe Mikhaïloff, adjoint au maire du 11è arrondissement.
Jacques Boutault, Maire du 2è arrondissement.
Martine Billard, députée de Paris, qui a interpellé le gouvernement à l’Assemblée Nationale sur ce sujet, en séance du 18 février 2009.
Anne Souyris, conseillère régionale d’Ile de France, qui a obtenu de la part de Jean-Paul Huchon la promesse d’un débat public sur le sujet (qu’on attend toujours…).
Les conseils municipaux des 9è, 11è et 12è arrondissements de Paris, qui ont adopté un vœu au Maire de Paris demandant l’arrêt du dispositif (à l’unanimité dans le 11è).
Les groupes des Verts, du Parti Communiste, des Radicaux de Gauche et du parti de gauche, qui ont présenté un vœu en conseil de Paris demandant l’arrêt du dispositif. Ce dernier a adopté le vœu après amendement, demandant des éclaircissements à M. Mongin, Président de la RATP. Celui-ci s’est contenté d’une réponse lénifiante, en se faisant même le défenseur des intérêts de la société Métrobus, société privée, donc pourtant théoriquement indépendante de la RATP…
VII – Les prochains épisodes
Dans l’attente de la décision de la CNIL La mobilisation des élus, des associations et des citoyens continue, et elle continuera sans relâche, jusqu’à ce que la RATP dans un premier temps, et la SNCF ensuite, annoncent l’abandon définitif de ce système inacceptable. Rendez-vous à la rentrée pour la suite des évènements.
Annexes et liens :
– Communiqué de la CNIL du 22 avril 2009 : « Panneaux publicitaires de mesure d’audience : la CNIL est compétente et contrôle ! » : http://www.cnil.fr
– Publicité dans le réseau RATP : les revendications de R.A.P.