Ce mardi 15 juin, le Sénat débattait en plénière du volet « publicité » de la « loi climat et résilience ». Si le Sénat a permis d’étendre les interdictions de publicités – initialement prévues uniquement pour les énergies fossiles – aux véhicules les plus polluants à partir de 2028, il a aussi supprimé certaines avancées votées à l’Assemblée nationale. Entre les maigres avancées et les reculs évident, la loi climat ne sort pas grandie de ce passage au Sénat, et n’est toujours pas à la hauteur au regard des enjeux écologiques.
Une « loi Évin climat » toujours au rabais, mais un peu élargie
L’article 4 de la loi climat prévoyait une simple interdiction de la promotion des énergies fossiles. Alors qu’à l’Assemblée nationale, la rapporteure du volet « consommer », Aurore Bergé, et la ministre de l’Écologie, Barbara Pompili, n’ont cessé de rejeter tous les amendements visant à élargir cette interdiction à d’autres produits polluants, le Sénat avait adopté en commission l’amendement de la rapporteure au Sénat, Marta de Cidrac qui prévoit l’interdiction de publicité pour les véhicules qui émettent1 plus de 95 g de CO2/km à partir du 1er janvier… 2028 ! Rappelons ici que 95 g de CO2/km correspond à la moyenne de voitures neuves fixée par l’Union Européenne à partir de… 2021. Et que cette moyenne passera à 59 g de CO2/km à partir de 2030. Rappelons aussi que la « loi climat et résilience » se donne pour objectif de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 20302, soit deux ans après l’interdiction. Les sénateur·ices Marie-Claude Varaillas et Thomas Dossus ont d’ailleurs tenté d’améliorer le texte en avançant la date d’application ou en ajoutant une notion de poids pour éviter de promouvoir la vente des tanks urbains que sont les SUV. En vain.
Par ailleurs, le Sénat a aussi voté l’interdiction de publicités proposant des remises ou réductions annulant l’effet du malus applicable aux voitures particulières les plus polluantes (de type « malus offert »), proposé par le groupe écologiste. Cette pratique était en effet à interdire. Le fait que le gouvernement ait donné un avis favorable peut laisser penser que cette interdiction passera dans le texte final.
À noter aussi que le Sénat a voté l’interdiction de la publicité sur les liaisons aériennes substituables par un trajet en train d’une durée de 2h30, ce qui revient, selon les mots du chef de fil du groupe écologiste, Ronan Dantec, à « interdire la publicité pour des vols interdits », puisque la loi climat prévoit effectivement l’interdiction de ces vols3. Le groupe écologiste proposait effectivement d’interdire la publicité pour les vols substituables par un trajet en train d’une durée de 3h30, mais un sous-amendement de la rapporteure Marta de Cidrac a diminué cette durée à 2h30.
Enfin, le Sénat a aussi amendé un article qui prévoyait d’interdire « toute formulation visant à indiquer que le produit, le service ou l’activité du fabricant est neutre en carbone ou dépourvu de conséquence négative sur le climat » dans la publicité ou sur les emballages. Le Sénat a ajouté la possibilité de le faire si la formulation s’appuie « sur des certifications fondées sur des normes et standards reconnus au niveau français, européen et international », diminuant ainsi la portée de cet article.
Si cette « loi Évin climat » revue par le Sénat est donc un peu améliorée par rapport à la version votée par l’Assemblée nationale, elle reste largement en deçà de ce qu’il faudrait faire au regard des enjeux écologiques actuels.
Des codes de bonne conduite qui pourront finalement être sanctionnés
Plutôt que d’interdire la publicité pour les produits les plus polluants, comme le proposait la Convention citoyenne pour le climat (CCC), le gouvernement avait choisi d’inscrire dans la loi le principe d’autorégulation par le biais de codes de bonne conduite en « faisant confiance » au secteur et à ses engagements volontaires. Engagements qui devaient être produits par la mission « Publicis/ADEME » avant les débats à l’Assemblée nationale, pour que les parlementaires puissent juger de la pertinence de ces engagements avant de savoir s’il fallait légiférer en dur ou non. Ces engagements sont finalement sortis, mais seulement le 7 juin dernier, soit une semaine avant les débats au Sénat et trois jours avant la date limite de dépôt des amendements. Nous n’entrerons pas ici dans une analyse détaillée de ces « engagements volontaires pour une publicité responsable », mais afin se faire une idée du niveau des objectifs fixés, on pourra se référer à cette capture d’écran qui résume les promesses du secteur sur ce qu’il va promouvoir à l’avenir.
Ce que nous disions de cet article 5 avant les débats à l’Assemblée nationale reste donc en majeure partie encore valable, à la différence notable qu’un amendement du sénateur Joël Bigot rend ces codes de bonne conduite plus contraignants en instaurant une sanction par le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Cette sanction consiste en « une mise en demeure et, en cas de non mise en conformité des écrans publicitaires après cette mise en demeure, de prononcer soit une suspension de programme (pour tout ou partie) ou de diffusion publicitaire, soit une sanction pécuniaire, dans les conditions du droit commun des manquements aux obligations des services audiovisuels ». La portée est donc limitée à la publicité télé et radio et ne pourra pas toucher la publicité extérieure, dans la presse, dans les boîtes aux lettres, au cinéma… Si l’éventualité d’une sanction rend cet article un peu plus intéressant que la version initiale, nous sommes encore loin d’une autorité indépendante comme nous le demandons avec de plus en plus de mouvements écologistes ou d’associations de consommateur·ices.
Police de l’affichage : la France moche n’a pas dit son dernier mot
L’article 6 est certainement le plus problématique du volet « publicité » de cette loi climat. Il serait un grave recul dans le respect du code de l’environnement en matière d’affichage publicitaire. C’est pourquoi avec plusieurs autres associations nous avons tenté d’interpeller les parlementaires à ce sujet. En effet, il prévoyait au départ de retirer purement et simplement la compétence de police de l’affichage aux préfet·es pour la donner exclusivement aux maires, et éventuellement aux président·es des intercommunalités. Or actuellement, que la commune dispose ou non d’un règlement local de publicité (RLP), si un·e maire n’agit pas contre des panneaux illégaux, le ou la préfet·e peut prendre la main sur le dossier, ce qui augmente les chances d’aboutir en cas de recours, notamment des associations.
Le « projet » du gouvernement était donc de rendre plus difficile le travail associatif, et peut-être d’éviter à l’État de continuer de se faire condamner par les tribunaux administratifs pour inaction fautive, en laissant la responsabilité aux seul·es maires, sans leur donner plus de moyens pour accomplir cette tâche.
Le Sénat a légèrement modifié la rédaction initiale pour laisser le pouvoir de police aux préfet·es lorsqu’une commune n’est pas doté d’un RLP, en laissant la possibilité aux maires de ces communes de conserver ce pouvoir. Ce qui signifie qu’à partir du moment où une commune dispose d’un RLP – soit l’écrasante majorité des communes de France – l’État n’aurait plus la possibilité de reprendre la main. Si la rédaction du texte sortie du Sénat est donc légèrement moins pire que celle de l’Assemblée nationale, cet article reste un recul majeur par rapport à la situation actuelle.
Réglementation des publicités derrière les vitrines : le Sénat vote contre
Le projet initial de la loi climat prévoyait de pouvoir, enfin, réglementer les publicités et enseignes derrière les vitrines. Certes, comme nous le disions dans un précédent article, cette possibilité n’était ouverte que par une révision du RLP, avec un délai de mise en conformité de deux ans pour les publicités et six ans pour les enseignes. Or la plupart des RLP en France viennent d’être révisés ou sont en passe de l’être. Et les mairies ne révisent pas leur RLP à chaque mandature, tant la procédure est lourde et incertaine. Ce qui renvoyait l’application de cette mesure à 15 ou 20 ans dans le meilleur des cas.
Aussi, l’Assemblée nationale avait déjà réussi l’exploit de rendre cet article encore plus timide en modifiant la rédaction pour empêcher l’interdiction des écrans numériques. La seule possibilité était donnée aux maires de pouvoir instaurer des règles de hauteur et de taille des affichages.
Mais le Sénat, certainement guidé par le lobby « Touche pas à ma vitrine » qui se présentait comme étant celui des petits commerces et qui cachait en fait l’Union de la publicité extérieure, syndicat des afficheurs, a trouvé que c’était encore trop d’atteinte à la liberté de ce dernier de nous imposer ses messages. Le Sénat a en effet, purement et simplement, supprimé cet article. Il y a cependant de fortes chances que cet article soit rediscuté en Commission mixte paritaire cet été, mais les espoirs d’un texte amélioré4 par rapport à la version initiale sont faibles.
Interdiction des avions publicitaires : retour à la case départ
La seule mesure de la Convention citoyenne pour le climat reprise « sans filtre » concerne l’interdiction des avions publicitaires. Comme nous l’avions fait remarquer dans notre premier avis sur le texte, la rédaction initiale était lacunaire, puisqu’elle remettait l’interdiction à la publication d’un décret. Or, il arrive fréquemment que les décrets ou arrêtés prévus par une loi ne soient jamais écrits. Par exemple, nous attendons toujours certains arrêtés relatifs au Grenelle de l’environnement, voté en… 2012.
L’Assemblée nationale avait donc corrigé la copie en commission puis en 1ère lecture en inscrivant l’interdiction directement dans la loi.
Mais le Sénat ne l’a pas entendu de cette oreille : alors que la commission du Sénat avait déjà ré-écrit l’article pour revenir à la version de départ, des amendements des sénateur·ices Marie-Claude Varaillas et Thomas Dossus, ainsi que du gouvernement, proposaient de remettre l’interdiction dans la loi et d’ajouter celle des bateaux publicitaires que l’on a vu fleurir récemment en Côte d’Azur (signez la pétition !).
Tous ces amendements ont été rejetés, laissant l’interdiction en suspens tant que le décret n’est pas paru.
Ceci étant dit, comme pour l’article précédent, il y a de fortes chances que la Commission mixte paritaire et l’Assemblée nationale, qui aura le dernier mot, reviennent sur la rédaction antérieure et ajoutent une interdiction pour les bateaux publicitaires, sachant que sans cette mesure, le gouvernement n’aura repris « sans filtre » aucune proposition des conventionnel·les sur le volet « publicité ».
Une expérimentation « Oui Pub » transformée en rapport sur le « Stop Pub »
Enfin, dernier article du volet pub, le projet de loi initial proposait de faire une expérimentation sur l’autocollant « Oui Pub » sur les boîtes aux lettres, qui inverserait la logique actuelle. Aujourd’hui, pour éviter de recevoir des dizaines de prospectus au milieu de son courrier, il faut apposer un autocollant « Stop Pub », dont l’efficacité est réelle, mais relative en fonction des lieux d’habitation. Alors que la loi « anti gaspillage et économie circulaire » a créé une amende en cas de non-respect de l’autocollant « Stop Pub », applicable depuis le 1er janvier 2021, le projet de loi climat proposait de faire, en parallèle, une expérimentation sur l’autocollant « Oui Pub », soit le fait de devoir apposer un tel autocollant sur sa boîte aux lettres si on désire recevoir des publicités, et de ne rien apposer si on ne le désire pas, ce qui serait une application encore plus concrète du principe de liberté de réception qui est cher à notre association.
Alors que l’Assemblée nationale avait déjà minimisé cette expérimentation en la limitant à 10 % maximum de la population française, le Sénat a préféré commander un rapport à l’ADEME sur l’autocollant « Stop Pub » pour 2023, et a donc supprimé l’expérimentation sur l’autocollant « Oui Pub ».
Reviendra-t-elle dans le texte final ? C’est fort probable tant le gouvernement ne peut se permettre de voir sa timide « loi climat », déjà très « filtrée » par les différents lobbies industriels depuis les trois premiers « jokers » du président Emmanuel Macron, se rétrécir comme peau de chagrin.
Une loi climat pas à la hauteur des enjeux
Alors que les températures au Canada frôlent les 50° C, que l’on sort les déneigeuses dans les Vosges fin juin, ou que les agriculteur·ices doivent chauffer leurs terres à la bougie pour éviter le gel au début du printemps, alors, donc, que l’on voit les effets du changement climatique sous nos yeux, que les scientifiques revoient leurs prévisions chaque année plus alarmantes, en expliquant qu’il faut changer nos modes de vie et de consommation, nos élu·es majoritaires (LREM à l’Assemblée, LR au Sénat) s’escriment à défendre la machine à coloniser nos imaginaires pour toujours plus de consommation superflue, envoyant ainsi un message de plus en plus inaudible : « il est urgent d’attendre ».
Le texte doit passer en Commission mixte paritaire à partir du 12 juillet prochain, et devrait passer en lecture finale à l’Assemblée nationale en septembre.
L’été portera-t-il conseil à nos parlementaires et au gouvernement ?
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Notes
1 Selon la norme NEDC
2 L’objectif initial était de -40 %, mais les sénateurs ont voté la hausse de l’objectif à -55 %
3 Avec cependant certaines dérogations prévues qui minimisent la portée de cette interdiction.
4 Par exemple en modifiant directement l’article L581-2 du code de l’environnement, qui empêche actuellement de réglementer les publicités et enseignes à l’intérieur d’un local, y compris si ces dernières sont visibles de l’espace public, comme nous le demandons depuis de nombreuses années.