Objet : Projet de décret « publicité extérieure »
Paris, le 16 mai 2018,
Monsieur le ministre,
Par courriel du 7 mai 2018, la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) demande l’avis de notre association sur un projet de décret, datant du 24 janvier 2018, concernant la publicité extérieure qui sera prochainement soumis à votre signature.
Notre association est quelque peu étonnée de la teneur de ce courriel. Il parle en effet « d’échanges entre tous les acteurs concernés » alors que notre association n’a jamais été consultée, ainsi que d’un « consensus » autour de ce projet de décret. Il nous paraît en effet étonnant de parler de consensus autour d’un projet de décret à sens unique, au seul profit des afficheurs, et ce, sans avoir pris la peine d’avoir consulté notre association qui est pourtant reconnue depuis de nombreuses années par les services du ministère de l’environnement comme une interlocutrice sur les questions de publicité extérieure1.
Le projet de décret aujourd’hui présenté reprend par ailleurs mot pour mot une partie du projet de décret « publicité sur les stades » de la loi pour la croissance et l’activité de 2016. Ce dernier avait été abandonné après la signature de plus de 60 000 personnes qui s’étaient manifestées contre.
Vous trouverez notre analyse de ce projet de décret ci-dessous.
Vous avez récemment alerté sur le « jour de dépassement ». Nous pensons donc que vous pourrez saisir les enjeux écologiques et civilisationnels qui imposent de limiter l’emprise de la publicité dans nos vies et dans nos villes.
Nous vous prions de croire, Monsieur le ministre, en l’expression de notre considération la plus distinguée.
Fabien DELECROIX, président de Résistance à l’Agression Publicitaire
Sur la notion d’éblouissement des publicités lumineuses (article 1)
Le décret n° 2012-118 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux préenseignes, prévoyait que la publicité lumineuse, et notamment numérique, soit encadrée par des seuils de luminance. Mais le ministère a abandonné l’idée de seuils de luminance au prétexte « qu’aucun protocole de contrôle n’est suffisamment satisfaisant pour être rendu opposable à des tiers ». En 2015 puis en 2016 le gouvernement a semblé vouloir retenir la notion d’éblouissement. Nous nous sommes opposés à ce critère totalement arbitraire qui laisse le juge impuissant et l’afficheur tout-puissant.
Or la publicité lumineuse, et surtout numérique, est celle qui mériterait le plus l’attention du ministère de la transition énergétique. En effet, ces dispositifs sont ceux dont la fabrication consomme le maximum de ressources et dont le fonctionnement est le plus énergivore. Ils sont par ailleurs souvent difficiles, voire impossibles à recycler.
Il est par ailleurs admis qu’ils sont ceux qui captent le plus l’attention du public. Or cette plus grande efficacité signifie deux choses:
– d’une part qu’ils sont donc plus propices à inciter à la (sur-)consommation de produits qui participent à l’épuisement des ressources naturelles, à la multiplication des déchets et à l’aggravation de désordres sociaux dont les problèmes de santé publique ne sont pas les moindres ;
– d’autre part qu’ils contribuent à cette omniprésence des écrans dont la dangerosité sur les cerveaux, et particulièrement sur les cerveaux des enfants, est de plus en plus démontrée et dénoncée.
Enfin, d’un point de vue purement biologique, si un tel article était adopté, l’État se rendrait lui-même impuissant à lutter contre les effets négatifs de cette pollution lumineuse – tant sur la faune, la flore, la biodiversité, que sur les êtres humains, auxquels elle inflige notamment des perturbations du sommeil.
Car si des seuils techniques et précis ne sont pas « suffisamment satisfaisants pour être opposables à des tiers », qu’en serait-il de cette notion si floue d’éblouissement ?
Un ministre de la transition énergétique avec vos convictions écologistes ne saurait se condamner lui-même à l’impuissance ni trahir ses engagements. Et il réparerait, non une « erreur rédactionnelle », mais une faute politique : celle d’avoir autorisé dans l’espace public des publicités lumineuses et numériques, en interdisant ces procédés plutôt qu’en favorisant leur essor sans contrôle possible.
Nous notons par ailleurs que le ministère n’a pas pris en compte les remarques de notre association, qui dans sa réponse au décret de 2016, faisait observer que l’article R581-15 du code de l’environnement faisait (et fait toujours) référence à l’arrêté ministériel qui devait fixer des valeurs moyennes et maximales de luminance. Ce projet de « simplification » maintient donc une référence à un arrêté qui n’existe nulle part.
De surcroît, ce décret n’établit toujours pas, comme nous le faisons remarquer au ministère depuis 2012, les niveaux de consommation électrique excessive qui, s’ils sont dépassés, limitent la surface maximum des panneaux numériques à 2,1 m² plutôt que 8 m², niveaux prévus à l’article R581-41 du code de l’environnement. De fait, actuellement, et sauf RLP plus restrictifs sur ce point, tous les panneaux numériques peuvent faire 8 m², quelle que soit leur consommation électrique.
Sur le mobilier urbain scellé au sol et numérique dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants faisant partie d’une unité urbaine de plus de 100 000 habitants (article 2)
Dans son exposé, comme dans celui de 2016 évoqué plus haut, le projet de décret parle d’une « erreur rédactionnelle »2 qu’il faudrait corriger pour permettre l’autorisation de mobiliers urbains numériques et de mobiliers urbains scellés au sol dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants faisant partie d’une unité urbaine de plus de 100 000 habitants.
Selon notre association, il ne s’agit pas d’une erreur rédactionnelle, mais d’un garde-fou nécessaire qui permet aux plus petites communes de France de se prémunir contre deux types de dispositifs les plus dommageables au cadre de vie : les scellés au sol et la publicité numérique. L’erreur rédactionnelle se situerait plutôt dans la rédaction de l’article R581-34, qui autorise la publicité lumineuse, et donc numérique, dans les agglomérations de moins de 10 000 habitant faisant partie d’une unité urbaine de plus de 100 000 habitants.
Concernant le mobilier urbain numérique, une telle modification serait une porte ouverte à tous les abus déjà constatés aujourd’hui. Les afficheurs qui exploitent des mobiliers urbains d’informations générales ont déjà une lecture des textes qui est nettement à l’avantage de leurs clients, et donc au désavantage des communes. En effet, la face la plus visible (quand ce ne sont pas les deux faces) est dévolue majoritairement (pour les panneaux déroulants), voire uniquement, à l’affichage commercial.
Pour empêcher ces abus et s’assurer que la publicité commerciale est bien accessoire par rapport à l’objet principal de ces mobiliers, (à savoir informer le maximum de personnes avec des messages non commerciaux), il faudrait plusieurs agents communaux qui vérifieraient chaque jour, et sur chaque panneau, le nombre de messages diffusés et le temps de diffusion, et qui s’assureraient que les messages d’intérêt général ne sont pas diffusés seulement en heures « creuses » où le trafic est moindre et où ils sont donc le moins visibles. Quelle commune, petite ou grande, en a les moyens dans le contexte actuel de restriction des dépenses publiques ?
Cette difficulté de contrôle n’a semble-t-il pas été pensée en amont et risque de léser les nombreuses communes qui auraient recours à ce type de mobilier.
Concernant la publicité non lumineuse sur mobilier urbain, ce projet de décret permettrait d’en apposer jusque dans les plus petites communes de France et d’ainsi de rajouter de la pollution visuelle en des lieux où elle a encore moins sa place qu’ailleurs. Nous nous opposons donc à cet ajout.
Sur les surfaces d’enseignes (article 3)
Si nous comprenons bien la logique de cette modification qui prend mieux en compte la règle de progressivité, notre association propose une règle plus simple qui permet un contrôle tant par les citoyens et citoyennes que par l’autorité de police : une surface fixe, et non un pourcentage de la surface de la façade commerciale. En effet, un pourcentage de la surface de la façade implique de connaître ladite surface, qui, selon les architectures, est plus ou moins facile à déterminer pour connaître la surface de l’enseigne applicable. Les contrôles sont donc plus ou moins ardus, et les abus rendus plus faciles. Nous faisions d’ailleurs déjà part de nos craintes lors de la loi pour la croissance et l’activité en 2016 qui introduisait la possibilité d’apposer des dispositifs muraux dont la surface unitaire peut aujourd’hui aller jusqu’à 20 % de la surface de la façade.
Une règle simple serait par exemple d’autoriser une enseigne de 8 m² pour les façades de moins de 100 m² et deux enseignes de 8 m² pour les façades de plus de 100 m². Ainsi, aucune enseigne ne pourrait dépasser 8 m². Il s’agirait simplement de savoir si l’établissement peut en apposer une ou deux.
D’autres « erreurs rédactionnelles » à « corriger »
Nous profitons de ce courrier pour rappeler les « erreurs rédactionnelles » du code de l’environnement que nous avions déjà soulignées lors de la consultation publique sur le décret de la loi croissance et activité de 2016 et qui sont malheureusement restées sans corrections :
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la possibilité de déroger aux interdictions prévues par l’article L581-8 par le biais d’un RLP, possibilité qui est contraire au principe qui veut que les RLP soient nécessairement plus restrictifs que la loi nationale ;
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le passage des écrans numériques de 2,1 m² (prévu dans le projet de décret de 2011), à 8 m², l’autorisation des écrans numériques relevant elle-même de la faute politique ;
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l’autorisation des dispositifs de 50 m², hors agglomération, dans l’emprise des aéroports et des gares ferroviaires, et maintenant dans celle des stades de plus de 15 000 places assises, ces dérogations ont en effet considérablement complexifié le code de l’environnement ;
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la règle de densité (R581-25) difficilement lisible, qu’il aurait fallu simplifier en proposant une règle d’inter-distance entre dispositifs, et qui aurait dû englober les publicités sur palissades et toitures, celles sur le mobilier urbain, les bâches publicitaires, le micro-affichage et les pré-enseignes dérogatoires ;
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le rétablissement de l’interdiction de publicité sur baies (R581-57) ;
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l’impossibilité de réguler les publicités et enseignes visibles d’une voie ouverte à la circulation publique lorsque ces dernières sont situées dans un local (L581-2), laissant la possibilité à tous les abus.
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Notes
1 Participation au Grenelle de l’environnement, concertations sur les préenseignes dérogatoires, participations actuelles aux nombreux RLP en cours de révision (Lille, Lyon, Troyes, Paris pour n’en citer que quelques-uns)
2 Notons que le ministère s’appuie, pour parler ainsi « d’erreur rédactionnelle », sur le guide pratique sur la réglementation de la publicité extérieure, qui a notamment été rédigé par le dirigeant de Cadre et Cité, ancien cadre de l’afficheur Avenir, racheté en 1999 par JCDecaux. L’autre associé de Cadre et Cité est, lui, un ancien cadre de JCDecaux. Cette dernière société a un intérêt particulier à parler d’erreur rédactionnelle concernant cet article. Il paraît donc compromettant de s’appuyer ainsi sur un document dont l’un des rédacteurs est possiblement en conflit d’intérêt.