Le lobby publicitaire à l’assaut des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat

A l’encontre des revendications des mouvements sociaux, des préconisations des associations et des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, Emmanuel Macron et ses ministres reprennent « sans filtre » les arguments du lobby publicitaire contre la régulation du secteur, laissant passer une nouvelle chance de ralentir la surconsommation.Depuis juin dernier, le secteur publicitaire se mobilise, médiatiquement et politiquement.

La cause ? Les revendications des Gilets Jaunes pour plus de justice sociale et environnementale, et celles du mouvement climat pour maintenir la France dans le cadre de l’accord de Paris, avaient commencé à faire leur chemin vers l’Assemblée Nationale. La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) mise en place par Emmanuel Macron, a formulé plusieurs propositions de réglementation des pratiques publicitaires et marketing :

  • Interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de Gaz à effet de serre (GES), sur tous les supports publicitaires

  • Rendre obligatoire l’affichage des émissions de GES dans les commerces et lieux de consommation ainsi que dans les publicités pour les marques

  • Développer puis mettre en place un score carbone sur tous les produits de consommation et les services

  • Réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non-choisies à la consommation

  • Mettre en place des mentions pour inciter à moins consommer

  • Interdire la publicité sur les produits proscrits par le Programme National Nutrition Santé (PNNS)

  • Interdire les écrans numériques publicitaires sur la voie publique

  • Interdire les avions publicitaires

  • Informer les consommateurs du degré de transformation des produits, notamment via un étiquetage obligatoire et la mise en place d’une charte éthique agroalimentaire qui renseigne et qualifie les auxiliaires techniques et les additifs alimentaires en matière de GES1.

L’intérêt écologique de telles propositions avait été montré par deux rapports associatifs et un rapport commandé par le Ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES)2. Il correspond à la vague sociale en faveur d’une prise en compte réelle de l’écologie dans les politiques publiques.

Ces avancées démocratiques ont suscité un lobbyisme intense du secteur publicitaire, qui s’est d’abord manifesté par une grande activité médiatique : des dizaines de tribunes depuis juin, de nombreuses interviews de publicitaires, représentant·es de syndicats professionnels, président.e.s d’agences. Publiées dans la presse spécialisée mais aussi grand public, ces tribunes, articles et interviews diffusaient un discours répétitif et ambigu : la publicité ne doit pas être régulée, et continuer à faire croître la consommation, car sans cela l’économie française sombrera dans la crise économique. Cependant, le secteur publicitaire peut être « le bras armé de la transition écologique », en faisant consommer avec plus de « responsabilité »3.

A cette omniprésence médiatique est venu s’ajouter un dispositif extraordinaire, qui témoigne de la puissance médiatique, économique et politique de cette industrie : le 27 novembre, soit le jour où le Conseil de défense devait rendre les arbitrages de l’Élysée concernant les propositions de la CCC, se sont tenus les « États Généraux de la communication ». Pour cette visiconférence de 2h30, les grands groupes de la communication et de la publicité (Havas, l’Union des marques…), se sont offert un dispositif important : tribunes dès la veille dans les médias, sondage commandé à Odoxa, véritable plateau télé avec multiples caméras et montage direct, présentation par une journaliste célèbre (Marie Drucker), mise en place d’une plateforme numérique haut de gamme (système d’échange, de vote en direct), dispositif de live-tweet élaboré (émission permanente de citations en direct accompagnée de montage photos, hashtag relayé par de nombreux gros comptes). Y étaient invité.e.s une députée porte-parole de La République en Marche (Aurore Bergé) et l’un des conseillers du MTES chargés de rédiger un rapport sur la publicité (Thierry Libaert).

Au fil de la journée, le même message revient : les professionnel·les de la communication répètent l’importance de l’incitation par la publicité plutôt que de l’interdiction de la publicité. Autrement dit, encore plus de publicités, incitant à « bien » consommer encore plus de bons produits. Qu’est ce qu’un bon produit ? Qu’est ce qu’une communication vertueuse ? Comment limiter l’impact écologique direct des supports publicitaires (prospectus, écrans…) ? Ces questions-clés furent soigneusement évitées, au profit d’une avalanche de déclarations de bonnes intentions et d’éléments de langage creux. Force est de constater que, si les moyens sont au rendez-vous, le contenu reste évasif et purement déclaratif : l’industrie de la communication a peu d’argument, mais beaucoup de budget. Hélas, cela fait la différence.

En effet, le 8 décembre, le gouvernement a présenté l’ébauche de son projet de loi censé traduire « sans filtre » les propositions de la CCC, où il recule sur toutes celles régulant la publicité, à l’exception de la plus symbolique : l’interdiction des avions publicitaires, pratique certes inutile et nocive, mais peu représentative des activités de l’ensemble du secteur. L’interdiction de publicité pour les produits à forte émission de GES est remplacée par une interdiction de publicité pour les énergies fossiles, secteur qui recourt en fait très peu à la publicité et peut aisément s’en passer ; l’interdiction générale est remise à plus tard, avec la promesse d’un CO2-score qui est encore à construire. Plutôt que d’interdire les écrans numériques et l’affichage publicitaire, le gouvernement propose de donner aux maires la compétence de police de l’affichage, et la possibilité d’interdire les écrans numériques dans leur règlements locaux de publicité… Ce qui est en fait déjà possible aujourd’hui ! L’obligation d’intégrer un bloqueur de pub sur les navigateurs Internet et l’interdiction de promotion pour les aliments nocifs pour la santé ont tout simplement disparu. L’interdiction de publicité pour les véhicules malusés, qui avait été demandée « a minima » par la convention, « n’est pas retenue » avec l’argument  du financement des médias.

Les discours tenus par Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec la CCC le 14 décembre, ainsi que les propos tenus par ses différents ministres, montrent qu’ils reprennent directement et « sans filtre » les arguments du lobby publicitaire, que nous avons analysés dans un récent article4. Pour Bruno Le Maire et Roselyne Bachelot respectivement ministre de l’Économie et de la Culture, on risque de « fragilis[er] un secteur déjà en grande difficulté » « hypersinistré par la crise sanitaire. N’en rajoutons pas ! »5 : on retrouve ici la victimisation et le chantage à l’emploi systématiquement exercés par les porte-parole du secteur publicitaire dans leurs écrits. Selon Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, on peut se fier aux « engagements des filières » pour limiter la publicité pour les aliments nocifs pour la santé : on retrouve ici le mythe de l’autorégulation et de la bonne volonté du secteur. Selon Emmanuel Macron, la régulation bénéficiera à la publicité sur Internet et coupera les médias de leur financement : on retrouve ici la menace des « GAFAM » agitée par de nombreuses tribunes, et l’argument paradoxal selon lequel la publicité serait le « sponsor de la démocratie » car les médias sont dépendants de l’argent de la publicité pour exister.

En effet, en France, l’industrie publicitaire finance depuis près de deux siècles la plupart des médias : ce modèle économique n’est cependant nullement naturel, mais résulte d’un défaut de soutien fiscal de l’État français envers les médias6. Or le constat de cette dépendance n’est en rien une réponse, mais constitue plutôt un problème, auquel il devient urgent de s’attaquer : la mise sous tutelle des médias par l’argent publicitaire ne menace-t-elle pas leur indépendance idéologique ? N’est-ce pas plutôt un danger pour la démocratie – et donc, aujourd’hui, pour l’écologie que tant de citoyen.ne.s réclament ? La vague médiatique en faveur d’un secteur publicitaire qui s’oppose aux propositions des mouvements sociaux, des associations et des dispositifs de consultation démocratique, suggère que la réponse est oui.


Notes :

2 Résistance à l’Agression Publicitaire, Légiférer sur la publicité pour diminuer le gaspillage et favoriser l’économie circulaire, décembre 2019 ; Renaud Fossard, Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique, rapport SPIM, juin 2020 ; Thierry Libaert et Guéraud Guibert, Publicité et transition écologique, rapport commandé par le MTES, juin 2020.

3 Pour un compte rendu détaillé de ces différents arguments, avec citations à l’appui, voir cet article de RAP : https://antipub.org/contre-les-avancees-ecologistes-lindustrie-publicitaire-se-mobilise/

4 Ibid.

5 « De la pub au conseil de défense », Le canard enchaîné, 9 décembre 2020.

6 Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la publicité est regroupée en France dans les « feuilles d’annonce », livrets de petites annonces entre particuliers. Les autres journaux n’en contiennent pas, ou très peu. La publicité telle qu’on la connaît aujourd’hui, c’est-à-dire l’inclusion d’annonces commerciales dans des médias de masse qui n’ont pas, a priori, de lien avec les produits ou marques promus, apparaît à un moment précis : la hausse des impôts sur les frais de port des journaux en 1827. Le « droit de timbre » augmenta d’un facteur de 2,5, et une partie de la presse eut alors recours à la publicité pour se financer. Entre 1825 et 1845, la part de publicités dans les 3 plus grands titres parisiens passa ainsi de 0 à 17% en moyenne, laissant plus de place aux commerçants et industriels. En 1865, elle atteignait 30%. Si beaucoup de professionnel·les de la presse et de la politique dénoncèrent cette réforme fiscale, certain·es y virent une opportunité économique : en 1835 fut lancé Tam Tam, le premier journal gratuit français, qui contenait 50% de publicités. En 1836, fut lancé La Presse, un journal payant qui comprenait 75% de publicités et coûtait moitié moins que les autres journaux. Au même moment, on assistait à une multiplication des « agences », ou « bureau de placement d’annonces ». Chargées de vendre de l’espace médiatique aux entreprises, elles travaillaient à la frontière de la presse et de la publicité, comme Havas qui était dès sa création une agence de diffusion et de traduction de dépêches et une régie publicitaire à la fois. Cf. Marc Martin, Trois siècles de publicité en France, éd. Odile Jacob, Paris 1991.