Non, Paris, le Los Angeles de Blade Runner n’est pas censé être un modèle

Après sa déconvenue au Conseil d’État du 18 septembre dernier, la Mairie de Paris persiste à vouloir imposer des écrans publicitaires dans l’espace public et ainsi revenir sur l’une des rares avancées de l’actuel Règlement local de publicité (RLP) : leur interdiction. La Ville se prépare en effet à réviser son RLP en vue d’autoriser les écrans. Une aubaine pour l’afficheur JCDecaux.

Un RLP par mandat ?

Comme nous le soupçonnions, Paris s’apprête à entrer dans une procédure de révision de son RLP. Son objectif : entrée en vigueur à l’automne 2019. Cependant la procédure est longue et peut ne pas aboutir aussi facilement que le prévoit l’exécutif parisien. Pour mémoire, la précédente procédure de révision avait débuté en 20031 pour une adoption en 2007. Jugé trop restrictif par les afficheurs, ces derniers l’ont attaqué, sur la forme et pas sur le fond, leur permettant d’obtenir gain de cause par l’annulation de cette version du RLP. Une nouvelle procédure fut donc engagée en 2009 pour aboutir à l’actuel RLP, adopté en 2011. Il a ensuite encore fallu attendre juillet 2015 pour que le texte soit pleinement applicable.

« Intégrer les nouvelles technologies » : le credo de Paris pour sauver le climat ?

À quelques jours du prochain Conseil de Paris2, nous avons pu nous procurer le projet de délibération qui va y être discuté, en vue de faire valider le principe de révision. L’exposé des motifs nous fait craindre le pire, notamment au sujet des écrans numériques publicitaires, puisque l’un des objectifs poursuivis est d’« intégrer les nouvelles technologies », objectif expliqué en ces termes :

« La possibilité d’introduire les technologies les mieux adaptées, comme les écrans numériques, pour permettre la diffusion de messages d’information, quelle qu’en soit la nature, devra donc être examinée sous cette double préoccupation de qualité du paysage et d’efficacité économique. Elle devra être aussi examinée sous l’angle de la contribution de ces technologies à la réalisation des objectifs du plan climat air énergie territorial, compte tenu de l’importance des déplacements en véhicules à moteur qui pourraient être économisés grâce à la télégestion que la mise en œuvre de ce type de procédé permet. »

JCDecaux n’aurait pas mieux dit. Faire passer les écrans publicitaires pour un instrument de la lutte contre le réchauffement climatique, il fallait l’oser ! La Mairie, pour transformer Paris en Los Angeles de Blade Runner, utilise des arguments de 1984 : « La liberté, c’est l’esclavage ».

Nous l’expliquons depuis des années, les écrans numériques sont tout sauf écologiques. Ceux actuellement prévus par JCDecaux consomment treize fois plus que les mobiliers déroulants les plus économes. Outre la consommation énergétique, rappelons que les écrans sont fabriqués à partir de matériaux rares qui sont extraits dans des conditions sociales et écologiques qui n’ont rien de durable et qui ne sont assurément pas climato-compatibles.

Le numérique ne permet pas l’évaporation du trafic

L’exécutif parisien l’affirme : les écrans numériques permettraient de limiter les déplacements motorisés de l’afficheur qui, grâce à la « télégestion » (gestion à distance, donc) n’a plus besoin de se déplacer physiquement pour changer les affiches, ce qui limiterait le nombre de véhicules à moteur.

Précisons que nous ne parlons que de 375 véhicules pour toute l’Île-de-France, dont 251 pour Paris. Une paille au vu des plus de 700 000 véhicules en circulation dans la seule capitale3.

Quand bien même la baisse des déplacements serait significative, reste l’entretien des mobiliers numériques dont JCDecaux lui-même promet qu’il sera quotidien et motorisé et qui exige en effet autant sinon plus de contrôle et de nettoyage que les panneaux déroulants, dont la maintenance est hebdomadaire.

Autoriser les écrans publicitaires, un très mauvais signal pour l’accord de Paris

L’argument ne tient donc pas. Les écrans ne limitent pas les déplacements motorisés, sont énergivores et incitent à la surconsommation, tout en banalisant dans l’espace public un objet qui est loin d’être anodin et dont toutes les études montrent qu’il faut que nous apprenions et notamment les plus jeunes d’entre nous, à nous en détacher. De plus, animés et lumineux, ils sont une agression publicitaire supplémentaire qu’il est encore plus difficile à éviter que les publicités « classiques ». Les autoriser dans la capitale serait donc un très mauvais signal envoyé par la ville où a été signé l’accord de Paris lors de la COP21.

Notes

1 – Lire l’article de 2011 de Jacques Boutault, maire du IIe arrondissement qui a participé à l’élaboration de l’actuel RLP : http://www.jacques-boutault.fr/article/1212

3 – Le parc automobile de Paris était constitué de 617 000 voitures et de 130 000 camions et camionnettes en 2015. Source : Bilan de déplacements à Paris en 2015 par l’Observatoire des déplacements à Paris

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