Libérons les trottoirs parisiens

Photo d'un panneau publicitaire qui prend la moitié du trottoir, empêchant les piéton·nes de circuler librementAu prochain Conseil de Paris, du 11 au 14 février 2025, les conseiller·es de la Ville seront amené·es à débattre et voter pour ou contre le renouvellement du contrat des mobiliers urbains d’information à caractère général ou local supportant de la publicité à titre accessoire, aussi appelés « sucettes publicitaires », qui encombrent les trottoirs. Ces mobiliers, inventés par JCDecaux, sont encadrés par le code de l’environnement1 et permettent aux villes de diffuser de l’information locale, mais surtout aux afficheurs d’ajouter encore et toujours de la publicité commerciale dans nos rues.

En novembre 2023, lors du Conseil de Paris, Anne Hidalgo s’était prononcée en faveur d’une sortie « de la publicité commerciale d’ici trois ans ». L’exécutif avait donc la possibilité de tenir cette promesse en ne renouvelant pas le contrat avec Cityz Média (ex-Clear Channel), comme l’avait fait en son temps la ville de Grenoble. Seul contrat publicitaire à arriver à terme dans le mandat actuel, c’est donc la seule occasion qu’a la Maire pour initier cette sortie de la publicité commerciale. Sa volonté semblerait toute relative puisque le renouvellement du contrat est mis à l’ordre du jour du prochain Conseil de Paris. Certes, la délibération annonce bien une diminution de la publicité dans ce nouveau contrat, mais nous sommes loin de l’annonce de novembre 2023.

Une diminution de la publicité commerciale, mais pas une sortie

Le contrat, d’une durée de deux ans, prévoit en effet une réduction de la publicité au profit de l’affichage municipal, ce dernier passant de 50 % à 75 % la première année, puis à 90 % la seconde année. Aussi, la Ville se réserve à terme la possibilité de diminuer le nombre de mobiliers de 10 % voire de 20 %, passant de 1630 sucettes à 1467 voire à 1304. Quel que soit le pourcentage retenu, l’encombrement des trottoirs restera donc massif.

Le calcul de l’affichage municipal pose lui aussi question. Généralement, le calcul se fait par dispositif : une sucette peut supporter de la publicité commerciale jusqu’à la même surface que l’information locale. Si le recto est consacré à l’information générale, le verso peut être consacrée à la publicité. En cas de dispositifs déroulants, on compte le nombre d’affiches (ou « faces ») qui défilent et la moitié peut supporter de la publicité. Le contrôle peut donc être fait par tout le monde : si le nombre de faces publicitaires est supérieur aux faces municipales sur un dispositif, on sait que l’afficheur ne respecte pas ses engagements.

En revanche, dans le nouveau contrat, le calcul se fait sur la totalité du parc. Or il est impossible, y compris par une organisation comme la nôtre, de vérifier l’ensemble des 1630 panneaux, toutes les semaines, pour effectuer un contrôle citoyen. La délibération prévoit certes que le concessionnaire communique aux services municipaux la proportion de l’affichage général et publicitaire mais il faut donc s’en remettre à la bonne foi de Cityz Média sur les éléments communiqués. Nous imaginons mal la Mairie mobiliser des centaines d’agent·es pour effectuer ces contrôles, auquel cas le coût de cette opération serait à mettre dans la balance de ce que rapporte le contrat à la Ville.

La publicité rapporte, mais elle coûte aussi

Ce contrat doit rapporter au minimum 26 millions d’euros sur les deux ans (17 M€ la première année, 9 M€ la seconde). C’est sans doute une des raisons qui expliquent le renouvellement. Si la somme peut paraître importante, elle ne représente que 0,2 % du budget de Paris2 la première année et 0,1 % la seconde. S’il est simple de voir ce que la publicité rapporte, il est plus difficile de quantifier ce qu’elle coûte à la collectivité. Mais ce coût est indéniable. Le système publicitaire promeut majoritairement des biens et services nocifs tant pour les individu·es que pour l’environnement : alcools, paris sportifs, automobile, malbouffe, voyages à l’autre bout du monde, appareils électroniques à renouveler sans cesse… Et si tous les cerveaux disponibles qui passent devant une affiche ne courent pas directement acheter ces produits, la publicité est tout de même responsable d’une partie de la surconsommation : c’est son objectif. Rappelons que l’alcool, la malbouffe ou l’automobile causent des dizaines de milliers de morts par an, des cancers, des maladies cardio-vasculaires, que le renouvellement prématuré des équipements électroniques est ce qui pèse le plus lourd dans le bilan carbone du numérique, ou qu’un aller/retour Paris-New York émet deux tonnes de CO2 par voyageur·euse, soit l’objectif annuel par personne à atteindre pour espérer ne pas dépasser les +1,5°C d’ici la fin du siècle.

Autre coût caché de la publicité : l’aggravation du sexisme. Le précédent contrat contenait une « clause antisexiste ». Celle-ci était largement insuffisante puisque c’était au concessionnaire de « veiller à éviter toute publicité qui utilise des stéréotypes sexistes ». Ainsi, on a pu voir ces cinq dernières années passer des publicités positivement sexistes. Manifestement, Cityz Média, comme par ailleurs le reste du secteur, a une vision plus laxiste de ce qui est sexiste, selon nos critères. La clause est reprise dans le futur contrat. Au regard de son inefficacité, on peut anticiper que ces panneaux continueront à diffuser des stéréotypes sexistes.

Il nous paraît très dommageable de faire financer l’information municipale, un service public, par ce que la Ville affirme combattre : le réchauffement climatique, la surconsommation, l’emprise de l’automobile ou le sexisme.

Engagements environnementaux du concessionnaire

La délibération affirme en outre que « l’exploitation des mobiliers doit avoir une influence la plus limitée possible sur l’environnement » rappelant les plans Climat et Biodiversité, ou le plan « économie circulaire ». Ainsi le concessionnaire s’engage à utiliser des énergies renouvelables pour faire fonctionner ses panneaux et à utiliser une « flotte de véhicules décarbonée ». Qu’elle soit renouvelable ou non, « l’énergie est notre avenir, économisons-là », car « chaque geste compte ». Or s’il est bien une consommation énergétique superflue, c’est bien l’éclairage des panneaux publicitaires, qui constitue une agression visuelle, ajoute de la pollution lumineuse, s’avère accidentogènes ou nuit à la biodiversité. C’est pourquoi nous demandons « Zéro watt pour la pub », que l’électricité soit renouvelable ou non.

Quant à la « flotte de véhicules décarbonée », nous nous interrogeons sur l’écoblanchiment pratiqué par Cityz Média, repris par la Ville : il n’existe aucun véhicule « décarboné ». Si les véhicules électriques émettent moins de CO2 à l’usage, leur production en demande beaucoup plus qu’un véhicule thermique. Le CO2 ne connaît pas de frontières. Son émission, où qu’elle se produise, s’ajoutera au bilan carbone planétaire.

Cette volonté de faire croire que l’impact environnemental de la publicité se réduise à l’éclairage des affiches et aux gaz à effet de serre émis pour leur installation et maintenance ne prend pas en compte ce que promeut la publicité elle-même. C’est un débat récurrent ces dernières années : pour le secteur, la publicité peut être « responsable » si elle est « éco-conçue » quel que soit le bien ou service qu’elle incite à consommer. Cette approche est très réductrice, sinon hypocrite, et n’aborde pas le véritable ’impact environnemental d’une campagne publicitaire.

Sortir de la relation toxique avec la publicité

Si la volonté affichée dans la délibération de sortir progressivement de la publicité va dans le bon sens, nous estimons néanmoins qu’une sortie directe pourrait se faire, simplement en ne renouvelant pas ce contrat. Rappelons que les trottoirs de Paris ont déjà été libérés par le Conseil d’État entre janvier 2018 et septembre 2019. Or pendant cette période, la Ville ne s’est pas arrêtée de tourner. Elle a pu se passer de ce financement néfaste tout en continuant à communiquer avec ses administré·es via son journal municipal, son site Internet, les réseaux sociaux les médias ou les journaux électroniques d’information, pour faire connaître son action ou les différentes votations.

Pour toutes ces raisons, nous invitons les Conseiller·es de Paris à voter contre cette délibération, et de proposer une sortie immédiate de ce contrat, afin de désencombrer les trottoirs de ces obstacles urbains et de libérer la Ville de sa relation toxique avec la publicité.

Vous pouvez nous aider à appuyer cette demande en signant la pétition.


Notes

2  Budget de l’ordre de 9,8 milliards d’euros