À la veille des débats à l’Assemblée nationale sur la « loi Climat », nous revenons ici sur les débats des articles « publicité » qui ont eu lieu mi-mars en commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi.
On pourra retrouver tous les débats à cette adresse (les débats sur la publicité se sont tenus lors des séances des 10 et 11 mars). Pour les amendements et le sort qui leur est réservé, on pourra visiter cette page.
Pour se faire une idée des différentes prises de position institutionnelles sur ce projet de loi, nous vous invitons à lire l’avis du Conseil d’État, celui du Haut Conseil pour le Climat et celui de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), tous trois fort critiques sur les résultats attendus par le projet de loi tel qu’il est rédigé actuellement.
Article 4 : une « loi Évin climat » au rabais
Elle ne concerne que les énergies fossiles, secteur qui recourt peu à la publicité….
La Convention Citoyenne pour le Climat avait proposé de calquer le principe de la loi Évin, qui interdit, pour des raisons de santé publique, la publicité pour le tabac et limite celle pour l’alcool depuis 1991, aux publicités pour les produits les plus polluants.
Les membres de la CCC avaient donc envisagé de mettre en place un « score carbone » pour évaluer si un produit pouvait où non être promu, sur le principe du « nutri-score ». En attendant la mise en place d’un tel « score carbone », la CCC prévoyait d’interdire le plus vite possible la publicité sur les produits la pollution ou la nocivité est d’ores et déjà incontestable, à savoir les véhicules malussés et les aliments proscrits par la plan national nutrition santé (PNNS).
En réponse à cette mesure, le gouvernement a proposé d’interdire la publicité sur les seules énergies fossiles, et donc le seul secteur des producteurs de cette énergie, pas les secteurs qui les utilisent (automobile, aviation..). Pour résumer ce premier « filtre » apporté aux mesures de la Convention, nous citerons le député Dominique Potier qui, en commission a affirmé « C’est comme si la loi Évin interdisait la publicité pour les cigarettes mais l’autorisait pour les paquets. C’est à peu près le même ridicule. »
En effet, n’interdire la publicité que pour les seules énergies fossiles serait certes un premier pas dans la possibilité d’interdire certains produits de publicités pour des raisons écologiques, mais les dépenses de ce secteur sont tellement rares que l’impact d’une telle mesure serait minime. Au risque même de se faire retoquer par le Conseil Constitutionnel. C’est en tout cas la menace que fait peser le Conseil d’État qui, dans son avis du 4 février sur le projet de loi, estime que « Si le champ de l’interdiction devait être interprété comme ne visant que la publicité directe pour des sources d’énergie, et elles seules, le caractère peu fréquent de ces publicités directes et l’absence de référence à des modes de consommation ne permettent pas de considérer cette mesure d’interdiction comme adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi ». Or si le Conseil Constitutionnel valide le principe d’une entorse à la liberté d’entreprendre pour des raisons de protection de l’environnement, érigé en objectif de valeur constitutionnelle, le Conseil d’État rappelle qu’une interdiction de publicités pour des biens et services fortement consommateurs d’énergie fossile « pourrait être justifiée […] dès lors qu’elle permettrait de diminuer de manière significative l’émission de gaz à effet de serre. »
Malgré cet avis défavorable du Conseil d’État, le gouvernement n’a pas revu la copie de son projet de loi avant le passage en commission.
Tous les amendements proposant d’élargir les produits interdits de publicité ont été rejetés avec avis défavorable de la rapporteure et du gouvernement, cette dernière expliquant qu’elle « ne souhaite pas étendre à l’infini les interdictions de publicité », et qu’une mission confiée à l’ADEME et l’agence de publicité Publicis doit donner les engagements volontaires du secteur pour savoir s’il convient ou non de légiférer sur certains points.
La décision de légiférer sur la publicité reportée dans l’attente d’un rapport nous rappelle les débats lors de la loi « économie circulaire » où tous les amendements en ce sens avait déjà été rejetés avec la même justification.
Les déclarations de la ministre Barbara Pompili nous rappellent aussi celles de Valérie Boyer en 2009, lorsque cette dernière avait perdu la bataille d’une proposition de loi visant à limiter la publicité pour les produits trop gras et trop sucrés à la télévision. C’était lors de cette séquence que la « Charte alimentaire » avait été élaborée, montrant la capacité des annonceurs à empêcher une réglementation contraignante en mettant en avant des engagements volontaires.
Valérie Boyer avait donc affirmé, après cet échec « Aux publicitaires de faire leurs preuves » et elle leur donnait un délai d’un an pour montrer l’efficacité du dispositif. Douze ans plus tard, la ministre Barbara Pompili affirme que « Si les engagements ne sont pas suffisamment sérieux, il y aura des mesures d’interdiction dans la loi ».
Or, la mission Ademe/Publicis a rendu une partie de son travail quelques heures avant la fin du dépôt des amendements pour les député·es. La mission est aujourd’hui prolongée « afin d’obtenir d’autres engagements volontaires ». Mais ces nouveaux engagements risquent d’arriver après les débats à l’Assemblée nationale. Les député·es ne pourront donc pas juger du sérieux des engagements et donc ne pourront pas proposer de légiférer réellement si elles et ils considèrent que ces engagements ne vont pas assez loin.
…Et ne serait applicable qu’à l’affichage extérieur !
D’autant plus qu’en audition avec la rapporteure Aurore Bergé avant les débats en commission, nous l’avions aussi alertée de la portée limitée de l’article dans sa rédaction actuelle. La création de ces articles L581-25 et L581-35 insère en effet cette interdiction dans la partie « publicité, enseignes et préenseignes » du code de l’environnement. Or cette partie, et il n’y a aucun doute à ce sujet, ne concerne que « fixe les règles applicables à la publicité, aux enseignes et aux préenseignes, visibles de toute voie ouverte à la circulation publique » (L581-2). Nous précisons qu’il n’y a aucun doute parce que le député (LREM) Mounir Mahjoubi a proposé un amendement pour rectifier l’article. Réponse de la rapporteure : « Je persiste à penser que la place donnée à cet article au sein du code de l’environnement est la bonne. Le code de l’environnement ne traitait initialement que des publicités visibles à l’extérieur pour des raisons évidentes, mais ça ne limitera pas la portée de cet article, qui s’appliquera aux publicités dans les médias écrits ou audiovisuels. C’est tout l’enjeu de cet article. Avis défavorable. »
Cette partie du code de l’environnement traite toujours, et pas seulement initialement, des publicités visibles à l’extérieur. Son champ de compétence est même limité, puisque les publicités et enseignes qui sont à l’intérieur des vitrines ne sont pas concernées par la réglementation, même lorsqu’elles sont visibles d’une voie ouverte à la circulation publique. La jurisprudence est malheureusement constante à ce sujet et une décision qui interdirait une publicité pour les énergies fossiles dans la presse ou à la télévision, basée sur l’article ainsi rédigé, serait retoqué par le Conseil d’État dans l’instant.
Pour résumer, nous avons donc une « loi Évin climat » limitée aux seuls énergies fossiles, déjà très rares dans le paysage publicitaire, et cantonnée aux seuls supports d’affichage extérieur.
Si le gouvernement voulait faire retoquer cet article par le Conseil Constitutionnel, il ne s’y prendrait pas autrement.
Article 5 : une consécration de l’autorégulation, du temps perdu pour un (non-)résultat attendu
Cet article est l’autre réponse du gouvernement à la proposition de la CCC d’interdire la publicité pour les produits les plus polluants. Il consiste donc a créer un « contrat-climat » sur le modèle de la « Charte alimentaire » déjà évoquée ci-dessus, à savoir des codes de bonne conduite signé par le CSA et les professionnels
De nombreux amendements de suppression de cet article, jugé « contre-productif » par Matthieu Orphelin, relevant du « greenwashing » selon Delphine Batho, voire « Tartuffe » par Dominique Potier qui ajoutait que « Comme dit souvent Boris Vallaud, « Il y a pire que de ne pas faire, c’est faire semblant. » Renvoyer les médias et la communication à leur autorégulation, c’est de l’hypocrisie et c’est insupportable. » Tous ces amendements ont été rejetés et l’article 5 a été voté sans réelle modification par rapport au projet de loi.
Cet article consacre donc l’auto-régulation comme modèle, alors même que toutes les études sur le sujet montrent que la « Charte alimentaire » n’a pas tenu ses promesses. En septembre dernier, l’UFC-Que Choisir montrait par exemple que 88 % des publicités destinées aux enfants faisaient la promotion d’aliments dont le Nutri-score était D ou E. Malgré les alertes sur l’inefficacité de l’autorégulation, le gouvernement confirme que c’est cette « philosophie » qui est retenue. « Assumant » alors de perdre encore dix ans supplémentaires sur le sujet.
Notons enfin l’analyse des juristes Arnaud Gossement et Meryem Deffairi à propos de ce « contrat » climat : « Un document purement déclaratif ne saurait caractériser un contrat. Un contrat ne peut recevoir ce nom qu’à la condition de définir des obligations précises qui engagent ses parties prenantes. Pour l’heure, le projet de loi ne comporte aucune précision quant aux conditions de rédaction et d’exécution de ce « contrat climat » qui doit pourtant être signé par le CSA et la ministre de la Transition écologique. Il est donc indispensable de cesser de compiler les déclarations d’intention et de créer le cadre juridique des contrats publics d’engagements volontaires pour l’environnement pour en assurer l’efficacité et la crédibilité. »
Article 6 : un grave recul sur la police de l’affichage extérieur
Nous en avons déjà longuement traité sur ce site. Il s’agit de l’article le plus problématique du volet « publicité » de la loi climat puisqu’il ne répond à aucune mesure de la CCC et qu’il constituerait un grave recul pour le respect du code de l’environnement en matière d’affichage extérieur.
Notre avis envoyé au ministère de l’Écologie, l’audition que nous avons pu avoir avec la rapporteure, et nos différentes alertes n’y ont rien changé. La rédaction n’a pas changé entre le projet de loi et le passage en commission et aucun amendement visant à l’améliorer (si ce n’est ceux « de rédaction » de la rapporteure), voire le supprimer (amendements de Delphine Batho, Hubert Wulfranc, Guillaume Garot), n’ont été adoptés.
Puisque les débats n’ont rien modifié, notre analyse reste la même que précédemment. Nous renvoyons donc vers nos précédents articles pour ne pas alourdir celui-ci.
Article 7 : Une possibilité de légiférer derrière les vitrines… remise à la Saint-Glinglin
Comme nous l’expliquions dans notre avis envoyé au ministère de l’Écologie en janvier dernier, nous sommes tout à fait favorables à ce que l’on puisse faire respecter les règles du code de l’environnement aux publicités et enseignes situées derrière les vitrines à partir du moment où celles-ci sont visibles depuis l’espace public.
Nous répétons ici que la méthode choisie, à savoir donner la possibilité aux maires de l’introduire dans leur règlement local de publicités (RLP) est insatisfaisante. La majeure partie des intercommunalités a déjà révisé récemmennt son RLP ou est en passe de le finaliser après un processus long. La plupart de ces RLP ne seront donc pas révisé avant 10 ou 15 ans, laissant ainsi le temps aux dispositifs numériques de se multiplier et de décourager les élu·es d’agir, étant mis·es devant le fait accompli.
D’autant que si la première mouture du texte permettait « d’encadrer » les dispositifs derrière les vitrines, donc éventuellement d’en interdire certains (comme les écrans numériques), au sortir de la commission spéciale, l’article 7 restreint cette possibilité de dérogation pour ne faire respecter que « des prescriptions [que le RLP] définit en matière d’emplacement, de surface, de hauteur, de consommation énergétique et de prévention des nuisances lumineuses. » Avec cette nouvelle rédaction, l’article 7 ne permettrait donc pas d’interdire les publicités et enseignes numériques, y compris dans les villes qui les interdisent par ailleurs dans l’espace public.
Notons aussi que le code de l’environnement est ainsi fait que lorsqu’une réglementation sur la publicité extérieure, locale ou nationale, est modifiée, les enseignes ont six ans pour se mettre en conformité.
C’est pourquoi nous préférons changer directement la loi, à savoir supprimer la dernière phrase de l’article L581-2, plutôt que de laisser les maires introduire éventuellement, dans plusieurs années, cette possibilité, encore restreinte par ce passage en commission spéciale. Notre proposition laisse déjà six ans aux enseignes pour se mettre en conformité.
La proposition du gouvernement ferait courir ce délai à 15 ou 20 ans (révision du RLP + délai de mise en conformité).
Nous estimons que les urgences écologiques ne nous laissent pas ce délai.
Il semblerait que pour le gouvernement, il est urgent d’attendre.
Article 8 : l’interdiction des avions publicitaires devrait être effective
Seule proposition qui constitue une légère avancée, cet article souhaite interdire une pratique qui est certes anecdotique, mais surtout anachronique : la publicité tractée par avions. Ce n’était pourtant pas gagné car dans les premières versions, s’il y avait bien la création d’une sanction, l’article qui créait l’interdiction n’était pas modifié, comme nous l’expliquions dans notre avis.
Il semblerait que sur ce point, et sur ce point seulement, la rapporteure ait revu sa copie et que l’interdiction des avions publicitaires soit en bonne voie pour être adoptée dans le texte final.
Ce serait l’unique mesure de la CCC reprise « sans filtre » par le gouvernement.
Article 9 : « Oui pub », une expérimentation sur les boîtes aux lettres
Enfin, les membres de la CCC avait aussi proposé d’interdire la publicité dans les boîtes aux lettres sauf celles munies d’un autocollant signalant la volonté d’en recevoir. « Oui pub » plutôt que « Stop pub », c’est une demande historique de notre association qui considère qu’on ne devrait pas avoir à faire de démarche pour ne pas être démarché·es.
En réponse, le gouvernement propose de recourir à une expérimentation de trois ans dans des villes volontaires, pour étudier l’impact d’une telle mesure.
À droite, beaucoup d’arguments pour défendre « les emplois » de ce secteur qui emploient beaucoup de retraité·es, sans jamais d’ailleurs prouver qu’une telle mesure en détruirait, et sans jamais se dire que des retraité·es devraient peut-être ne pas devoir avoir recours à ce type d’emplois précaires pour survivre…
À gauche les député·es ont demandé la généralisation du dispositif, ou au moins de prévoir les conditions d’une telle généralisation si l’expérimentation était concluante.
Aucun amendement de droite ou de gauche n’a été retenu.
Nous aurons donc une expérimentation de trois ans sur le « Oui pub », dans les villes volontaires, tant que ça ne dépasse pas 10 % de la population française totale.
Bonus : Aurore Bergé nous a cité !
Lors des débats, certain·es député·es ont demandé à rendre obligatoire des mentions légales (affichage de l’impact environnemental ou mentions type « en avez-vous besoin », « nuit gravement au climat ») sur les publicités. Citant notre rapport sur la loi « économie circulaire », Aurore Bergé, se disant très opposée à la multiplication des mentions, a donc affirmé « Je ne suis pas la seule, du reste, puisque l’association Résistance à l’agression publicitaire, avec laquelle j’ai pourtant peu de connivences [NDLR : on aura remarqué], affirme que « les rapports, textes, études et synthèses les plus récentes concernant les mentions légales dans la publicité montrent clairement les limites de ces dispositifs pour la prévention des comportements nocifs. »
Outre la pique qui l’introduit, la citation est parfaitement exacte. Nous avons effectivement souligné dans ce rapport que les mentions légales étaient généralement insuffisantes, voire parfois contre-productives, créant des injonctions contradictoires. Mais nous avons aussi précisé que, dans certains cas, elles pouvaient être utiles. La conclusion de notre rapport à ce sujet : « Pour les produits qui ne sont pas jugés comme devant être interdits de publicité, et qui font déjà l’objet de campagnes de prévention, l’éventuel recours aux mentions légales sur les supports publicitaires ne sera utile qu’à condition de prendre acte des recommandations de la recherche : taille suffisante et graphisme non modifiable, contenu des messages ciblant la nocivité du produit lui-même, indiquant ses propriétés objectives et changeant régulièrement, réduction du contexte publicitaire ».
Nous sommes donc ravi·es d’apprendre que la majorité nous lit [on commençait à en douter tant nous ne sommes pas entendu·es depuis le début de ce mandat]. En revanche, si elle pouvait ne pas utiliser notre expertise pour lui faire dire exactement l’inverse de ce que nous avançons, tout le monde s’en porterait mieux.