À quelques jours des élections municipales, nous revenons sur un mandat qui a connu de nombreux débats au sujet de la publicité dans l’espace public. Entre le renouvellement de tous les contrats de mobiliers urbains publicitaires, dont celui des « sucettes » qui a connu de multiples péripéties, le démarrage d’un processus de révision du règlement local de publicité (RLP) et l’arrivée de nouvelles pratiques telles que l’affichage sauvage de masse, ou les bâches publicitaires sur les monuments historiques, le Conseil de Paris a eu fréquemment l’occasion d’aborder le sujet de la publicité dans l’espace public.
Nous faisons donc le point sur les différents contrats qui lient Paris à des sociétés d’affichage, quand ils prennent fin, combien ils rapportent, et ce qui (n’)a (pas) changé par les décisions de l’exécutif sortant, avec quelques conseils et points d’attention pour la future majorité. Nous abordons aussi les nouvelles pratiques qui se répandent, quels sont leurs régimes juridiques, et comment la Ville peut, ou non, les empêcher, sinon les freiner.
Sommaire
Contrat de mobiliers urbains publicitaires : des renouvellements systématiques
Abris de bus (2014 – 2029)
Le contrat entre la SOPACT, filiale de JCDecaux, et la Ville de Paris avait été conclu en toute fin de la mandature de Bertrand Delanoë, au Conseil de Paris de décembre 2013 (délibération 2013 DVD 230-2013 DF 108-2013 DDEEES 249).
C’est en octobre 2014 qu’ont commencé les travaux de remplacement des 2000 anciens Abribus©, pour une inauguration officielle qui a eu lieu en mars 2015 et un remplacement complet du parc quelques mois plus tard. Ces nouveaux dispositifs ont connu de vives critiques lors de leur implantation : prenant plus de place sur le trottoir, abritant moins bien, des sièges plus étroits, des dispositifs « anti-SDF »… Ce sont les principaux reproches que la presse a noté. La Ville de Paris a dû améliorer certains abris, à ses frais, pour un montant de 150 000 €.
Du point de vue publicitaire, nous avons pu constater que le toit, blanc, réfléchissait mieux la lumière émise par le mobilier (publicité + information), ce qui attire l’œil et met toujours mieux en valeur l’affiche.
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Ce contrat, signé pour 15 ans, rapporte 8,2 M€ par an à la Ville. À la fin du contrat, en 2029, soit après la prochaine mandature, Paris aura le choix :
- soit de racheter les mobiliers pour un coût de 17,4 M€ HT, l’équivalent de deux ans de redevance ;
- soit de faire déposer l’ensemble du parc pour un montant de 7,4 M€ HT, un peu moins d’un an de redevance.
Dans les deux cas, cette future dépense de fin de contrat devra être anticipée par l’équipe municipale qui sera au pouvoir à ce moment. Et qui sait, pourquoi pas, envisager des abris où l’on n’attend pas face à des affiches de formats démesurés, éclairés, et vantant des produits inutiles ?
Palissades de chantier (2015 – 2028)
Le 31 décembre 2014, arrivaient à échéance les deux conventions « palissades de chantier » :
- celle sur les « contrats chantiers privés », détenue alors par JCDecaux ;
- celle sur les « contrats chantiers publics », détenue alors par Clear Channel.
Le Conseil de Paris de décembre 2013, sous Delanoë donc, avait validé la ré-attribution du contrat « chantiers publics » à Clear Channel (délibération 2013 DFA 111) mais avait choisi l’opérateur CBS Outdoor (devenu depuis Exterion Media) à la place de JCDecaux pour le contrat « chantiers privés » (délibération 2013 DFA 112). Ce dernier a attaqué cette dernière délibération et obtenu que ce marché soit scindé en deux lots.
Le Conseil de Paris de septembre 2014 s’est donc penché sur le renouvellement de ce marché « contrat chantiers privés », qui est maintenant ainsi organisé :
- le contrat « hors du domaine public routier », attribué à JCDecaux (délibération 2014 DFA 14-1) ;
- le contrat « domaine public routier », attribué à Exterion Media (délibération 2014 DFA 1009).
Sans s’attarder sur tous les éléments d’écoblanchiment que ces deux sociétés avançaient dans leurs engagements pour obtenir les contrats (éclairage LED, véhicules électriques, panneaux photovoltaïques…), la palme en la matière revient sans conteste à Exterion Media qui « compte ainsi décliner sur chaque univers une expérimentation telle que la palissade végétalisée ou en bois (« citoyenneté et du bien-être des Parisiens »), la récupération de piles (« économie sociale et solidaire »), ou l’art dans la rue (« promotion de l’art et de la création »). » Arriver à placer autant de mots à connotation positive en une seule phrase pour finalement promouvoir des SUV constitue un effort de communication qui doit être salué.
Lors des débats au Conseil de Paris, la plupart des interventions (Jacques Boutault, EELV ; Eric Azière, UDI-Modem ; Jean-Bernard Bros, RGCI ; Jean-Noël Aqua, PCF) dénonçaient « des contrats [trop] longs qui, de fait, obligent des engagements à la Ville pour deux mandatures ». De nombreux groupes (EELV, RGCI, PCF, Danielle Simonnet) ont demandé de favoriser l’affichage associatif au détriment de l’affichage commercial. Les groupes UDi-Modem et Républicains ont beaucoup insisté sur le manque de transparence et les conditions de l’appel d’offres. Hormis les groupes Socialiste et Républicains, tous les groupes qui ont pris la parole ont émis de sérieuses critiques sur l’envahissement publicitaire.
À la suite de ces débats et pour y répondre, l’exécutif a proposé un vœu « bis », adopté, qui émettait que :
- « Un rapport présentant la mise en conformité au regard du règlement local de Publicité des dispositifs installés dans le cadre des conventions de la Ville de Paris sur l’affichage publicitaire soit disponible à la consultation des conseillers de Paris avant la fin de l’année, en anticipation de l’échéance fixée au 13 juillet 2015 ;
- Les services de la Ville de Paris […] maintiennent leur vigilance pour que les palissades de chantiers soient démontées concomitamment à la fin des travaux afférents ;
- Soit constituée une commission annuelle de suivi […] chargée de veiller à la bonne exécution des conventions, notamment au regard des dispositions ci-dessus.«
Les deux contrats ont donc été adoptés. Si le rapport prévu par le vœu « bis » a bien été rédigé et distribué aux conseillères et conseillers, les deux autres points de ce vœu n’ont pas fait l’objet de suivi à notre connaissance. Et le fait que la plupart des panneaux ne respectent pas les règles d’implantation du RLP ne nous incite pas à penser que la « commission annuelle de suivi » promise ait été très active, si tant est qu’elle ait jamais existé.
Le contrat avec JCDecaux (« hors domaine public routier ») rapporte à la Mairie 3,7 M€ par an et celui d’Exterion Media (« domaine public routier »), 1,35 M€. Les deux contrats courent sur treize ans à partir du 1er janvier 2015 et prendront donc fin au 31 décembre 2028. Comme pour le contrat des abris voyageurs, les renouvellements n’auront pas lieu durant la prochaine mandature, mais la suivante.
La convention avec Clear Channel sur les palissades « contrats chantiers publics » rapporte quant à elle 3,3 M€ et court sur six ans à partir du 1er janvier 2015, renouvelable six fois un an. Elle prendra donc fin le 31 décembre 2020 et pourra éventuellement être prolongée jusqu’au 31 décembre 2026, ce qui pourra être débattu lors des futurs conseils municipaux.
Kiosques à journaux (2016 – 2031)
À l’occasion du renouvellement du contrat des kiosques à journaux, Paris a décidé de remplacer une grande partie de ces mobiliers, afin de les « moderniser« . Les nouveaux modèles, si on peut saluer la volonté de mieux prendre en compte le confort des personnes qui y travaillent, ont néanmoins provoqué quelques critiques concernant leur esthétique.
Le Conseil de Paris de mai 2016 a voté le renouvellement du contrat des kiosques à journaux (délibération 2016 DAE 164) avec la société Mediakiosk, filiale de JCDecaux. Les premiers modèles commenceront à être déployés à l’été 2017. En tout, 360 kiosques seront remplacés et 49 autres rénovés pour un total de 409 kiosques à journaux. Les nouveaux kiosques comportent, comme les précédents, trois surfaces d’affichage strictement publicitaire (la quatrième étant dédié à la une d’un magazine et étant donc considéré comme faisant partie de l’enseigne). En effet, le code de l’environnement dispose que les kiosques à usage commercial ne peuvent supporter que 6 m2 de surface publicitaire totale avec une surface unitaire maximale de 2 m2 (art. R581-44 du CE), soit trois panneaux de 2 m2. Néanmoins, la mairie se vante d’avoir réduit de 20 % la surface publicitaire. Nous avons constaté, de notre côté, des surfaces relativement similaires à du 2 m2 : 1,85 m2 pour les formats « portrait » et 1,95 m2 pour les formats « paysage », soit une diminution comprise entre 2,5 % et 7,5 %. Bien loin des 20 % de diminution, qui seraient, dans tous les cas, bien peu perceptibles à l’œil nu.
Nous notons aussi qu’actuellement, de nombreux kiosques, anciens ou nouveaux, sont fermés et ne servent que de supports publicitaires, détournant ainsi le principe du code de l’environnement qui veut que le mobilier urbain ne puisse supporter de publicité commerciale qu’à « titre accessoire » (art. R581-42 du CE). Or tant que les kiosques ne vendent pas de journaux, ils ne remplissent pas leur rôle « principal » et le mobilier devient alors principalement publicitaire. On peut aussi se poser la question du côté « accessoire » de la publicité pour des kiosques « Lulu dans ma rue » qui ne sont ouverts que 15h par semaine alors que l’affichage publicitaire est visible 7 jours sur 7 et 24h/24, kiosques qui, du reste n’ont a priori pas de vocation commerciale et qui devraient donc être exclus de la possibilité de supporter de la publicité au regard du code de l’environnement.
Le contrat entre la Ville et Mediakiosk a été conclu pour une durée de 15 ans, soit jusqu’en 2031, et devrait rapporter une redevance de 8.5 M€ par an dont 1,8 M€ sont reversés en aide aux kiosquiers, laisant 6,7 M€ pour la Ville. La durée du contrat ne permettra pas, encore une fois, à la future majorité de changer de modèle sans résiliation prématurée.
Colonnes (Morris) et mâts porte-affiches (2019-2027)
Les colonnes Morris et les mâts porte-affiches sont des mobiliers urbains qui sont moins problématiques pour notre association. En effet, ils ne servent à promouvoir que des spectacles ou des manifestations culturelles pour les colonnes, et des manifestations économiques, sociales, culturelles ou sportives pour les mâts. Point donc de hamburgers dégoulinants, de SUV rutilants ou d’invites à partir à l’autre bout du monde pour quelques dizaines d’euros sur ces mobiliers.
Nous notons cependant que, dans le renouvellement de la concession adopté par le Conseil de Paris de février 2019 (délibération 2019 DFA 5), le nombre de colonnes avec affiches encollées diminue, passant de 150 dispositifs « colle » à 100, au profit de 50 colonnes avec affiches éclairées supplémentaires. En plus d’augmenter la pollution lumineuse et de gaspiller de l’énergie inutilement, cela rend plus difficile l’accès à l’expression pour de plus petites structures qui n’ont pas les budgets pour, ce qui favorise des spectacles qui bénéficient déjà par ailleurs d’une plus grande visibilité médiatique.
Le contrat entre JCDecaux et la Ville a été signé pour une durée de huit ans à partir du 8 juillet 2019 et prendra fin le 7 juillet 2027. Il doit rapporter 9,05 M€ par an à la mairie. Encore une fois, la future majorité n’aura donc pas l’occasion de revoir ce contrat. Notons cependant qu’à la fin du contrat, la Ville sera propriétaire des mobiliers.
Mobiliers urbains d’informations – « sucettes » (2019-2024)
Ce marché publicitaire est probablement celui qui a donné lieu au plus long feuilleton administratif de ce mandat. Tout a commencé avec un communiqué de la Ville qui annonçait, le 1er mars 2017, proposer au prochain Conseil de Paris de renouveler le contrat des mobiliers urbains d’information (MUI, aussi connus sous l’appellation de « sucettes ») qui devait arriver à terme au 31 décembre 2017. Ce communiqué mettait en avant la décision de la Ville d’une diminution de 40 % de la surface publicitaire sur ce contrat puisque les 350 MUI de 8 m2 allaient passer à 2m2, s’alignant ainsi sur les 1280 autres MUI, en omettant de préciser que le passage des 350 MUI de 8 m2 à un format plus petit était prévu par le RLP voté en 2011, sous la précédente mandature, et que la Ville ne faisait donc qu’appliquer son propre règlement. Cette communication avait certainement pour but de faire passer en second plan la volonté d’autoriser 15% du parc de ces mobiliers en version numérique, soit, permettre l’implantation de 245 écrans publicitaires dans l’espace public.
Mars 2017 : un contrat qui ne respecte pas le RLP
R.A.P. Paris a rapidement alerté sur ce contrat qui contrevenait manifestement au RLP qui interdit actuellement les écrans numériques (art P4.1.1). Nous avons pu nous procurer le contrat et l’analyser (ce qui nous a valu une mise en demeure de JCDecaux pour faire retirer les contenus, mais c’est une autre histoire – qui n’a par ailleurs donné lieu à aucune suite). Le contrat a été approuvé par le Conseil de Paris le 28 mars 2017, malgré l’opposition notable du groupe écologiste de Paris et de Danielle Simonnet qui ont avancé des arguments proches des nôtres pour voter contre la délibération. Le Tribunal administratif puis le Conseil d’État, sollicités par une plainte de Clear Channel et Exterion Media, rappelleront tour à tour à l’ordre la Mairie de Paris en faisant valoir l’incompatibilité de ce contrat qui prévoyait des écrans numériques avec son RLP, qui les interdit.
Novembre 2017 : un contrat qui ne respecte pas le droit de la concurrence
Cette dernière décision du Conseil d’État intervenait le 18 septembre 2017, soit trois mois avant la fin du contrat en cours. La Mairie, prise de court et ne voulant pas se passer des recettes publicitaires, a alors proposé de renouveler ce dernier pour vingt mois, le temps nécessaire pour refaire un appel d’offres pour ce marché. Proposition votée par le Conseil de Paris de novembre. À nouveau attaquée par la concurrence, cette décision a été invalidée, comme la précédente, par le Tribunal administratif qui ne voulait pas créer un précédent en autorisant une passation de marché sans mise en concurrence. L’arrêt définitif du Conseil d’État du 5 février 2018, après l’appel de JCDecaux et de Paris, a suivi le Tribunal administratif, mettant ainsi la Ville au même régime que Grenoble, même si, concernant Paris, la situation n’était pas due à une volonté politique assumée.
Janvier 2018 : Paris libérée (temporairement)
Malgré ce manque de volonté politique, les rues de Paris se sont tout de même éveillées vides de publicités dès le 1er janvier 2018. Et progressivement, les dispositifs ont été démontés, débarrassant ainsi les trottoirs de ces mobiliers urbains qui, outre le fait qu’ils participent au matraquage publicitaire, sont aussi des obstacles qui créent des goulots d’étranglement pour les piéton·ne·s.
Cette respiration n’a duré que le temps que la Mairie organise l’appel d’offres. Et à peine un après la libération des trottoirs par l’enlèvement des derniers panneaux, le Conseil de Paris d’avril 2019 votait l’autorisation de signer un nouveau contrat, avec l’opérateur Clear Channel plutôt que JCDecaux, ce dernier proposant une redevance annuelle moindre (délibération 2018 DFA 18).
Cliquer ici pour voir le résultat des votes du Conseil de Paris d’avril 2019
Septembre 2019 : Paris martyrisée (à nouveau)
C’est à l’été 2019 que les travaux pour installer les nouveaux dispositifs vont réellement débuter et en septembre que les premières publicités vont être affichées. À l’heure où nous publions ce bilan, il semblerait que les travaux touchent à leur fin et que les trottoirs parisiens en garderont des cicatrices.
À noter que ce déploiement n’a pas été sans protestations numériques. De nombreuses personnes ont fait savoir que ces obstacles urbains ne leur avaient pas manqué. Ce qui a donné lieu a quelques articles de presse dont certains s’alarmaient de placements plutôt malvenus.
Clause antisexiste
Notons que ce contrat est aussi le seul qui comporte une « clause antisexiste » :
« Le concessionnaire veille à éviter toute publicité qui utilise des stéréotypes sexistes, lesbophobes, homophobes et des représentations dégradantes, dévalorisantes, déshumanisantes et vexatoires des femmes et des hommes et des rapport entre eux.
De même, le concessionnaire veille à éviter toute publicité cautionnant toute forme de discrimination fondée sur l’origine ethnique, l’origine nationale, la religion, le sexe ou l’âge ou portant atteinte à la dignité humaine« .
Rappelons en effet qu’une mairie n’a que peu de recours légaux pour faire interdire une campagne publicitaire. Par cette clause, Paris a donc voulu se doter d’une possibilité contractuelle pour pouvoir agir. À notre connaissance, une telle clause est une première en France dans ce type de contrats. L’initiative est donc à saluer puisqu’elle ouvre la brèche à des mairies qui voudraient aller plus loin en imaginant par exemple des clauses qui interdirait la promotion de comportements non compatibles avec les objectifs de réduction des pollutions et des émissions de gaz à effet de serre.
Malgré cette avancée relative, nous nous interrogeons cependant sur la portée réelle de cette clause, telle qu’elle est rédigée dans ce contrat. C’est, en effet, « le concessionnaire » qui « veille à éviter » de diffuser des stéréotypes sexistes. C’est donc Clear Channel qui jugera de ce qui est sexiste ou non avant diffusion et aucune sanction n’est prévue dans le contrat en cas de manquement à cette « veille ». Il serait aussi peut-être nécessaire de mieux préciser ce qui est sexiste ou non, au regard de ce qui est diffusé.
Des plans au dos ?
Le contrat prévoit aussi que, sur les 1630 sucettes, 200 seront pourvues de plans du quartier, au dos du panneau. Or, ces plans sont un des rares intérêts de ces mobiliers. Nous déplorons donc que le nouveau contrat n’en prévoit que 200, alors que le précédent en comptait 400. À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous n’avons pu observé aucun plan sur les nouveaux panneaux Clear Channel. Nous avons donc lancé un appel pour vérifier leur présence grâce à la liste des emplacements prévus et mis en ligne. Les premiers résultats confirment qu’aucun plan n’a été aperçu pour l’instant. Faut-il croire qu’il est plus compliqué d’imprimer un plan qu’une publicité pour un parfum ?
Le contrat Clear Channel des mobiliers urbains d’information, signé pour cinq ans, rapporte 34 M€ par an à la Ville et prendra fin en 2024. La future majorité municipale aura donc l’occasion de renouveler ou non ce contrat. Ce dernier prévoit que la Ville sera propriétaire des dispositifs à son terme, ce qui facilite d’autant plus une municipalisation du service.
Récapitulatif des contrats mobiliers urbains
Les recettes totales de la ville de Paris étaient de 8,5 Mds € en 2018. Rapportant 66,3 M€, la totalité des redevances des contrats de mobiliers urbains publicitaire représente donc moins de 1 % du budget.
On peut ajouter aussi la taxe locale sur la publicité extérieure, qui est d’environ 8,5 M€ par an, ce qui amène à des recettes isues de la publicité d’un total de 74,8 M€, restant ainsi toujours sous la barre du 1 % du budget global de la Ville.
Date début | Date fin | Opérateur | Redevance/an (en M€) |
% redevance Pub totale |
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Contrats « mobiliers urbains » | |||||
Mobiliers urbains d’information | 2019 | 2024 | Clear Channel | 34 | 51,3% |
Abris voyageurs | 2014 | 2029 | SOPACT (JCDecaux) | 8,2 | 12,4% |
Kiosques commerciaux | 2016 | 2031 | MediaKiosk (JCDecaux) | 6,7 | 10,1% |
Mâts & colonnes Porte-affiches | 2019 | 2027 | JCDecaux | 9,05 | 13,7% |
Contrats « palissades » | |||||
Contrat « chantiers publics » | 2015 | 2020-2026 | Clear Channel | 3,3 | 5,0% |
Contrat « hors du domaine public routier » | 2015 | 2028 | JCDecaux | 3,7 | 5,6% |
Contrat « domaine public routier » | 2015 | 2028 | Exterion Media | 1,35 | 2,0% |
TOTAL | 66,3 M€ |
Journaux électroniques d’information
Malgré l’interdiction des écrans publicitaires par le RLP de Paris, un type d’affichage extérieur est tout de même passé au numérique, celui prioritairement dédié aux messages municipaux, et accessoirement aux annonces d’événements d’associations culturelles ou sportives. Ces 160 nouveaux panneaux ont remplacé les anciens, en lettrage jaune sur fond marron. Ils sortent quelque peu de l’objet de notre association puisqu’ils ne diffusent que de l’information d’intérêt général, mais nous pouvons cependant déplorer ce passage au numérique, sorte de cheval de Troyes qui habitue le public aux affichages numériques pour permettre de mieux accepter de futurs panneaux vidéo à vocation publicitaire. D’autant que ces panneaux ne semblent pas particulièrement plus sobres que les précédents, tant en matière d’énergie consommée qu’en ressources nécessaires à leur fabrication. On peut donc raisonnablement douter que cela favorise le Plan Climat Air Énergie de Paris « pour une ville neutre en carbone »…
Affichage d’opinion
Si tous les contrats ont été renouvelé ces six dernières années, il est un mobilier urbain publicitaire qui a été oublié durant cette mandature : celui de l’affichage d’opinion, associatif et politique, c’est à dire celui qui garantit normalement la libre d’expression des pensées et des opinions telle que prévue par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. À cet égard, le code de l’environnement impose aux communes une mise à disposition d’une surface minimale de panneaux d’affichage « libre » en fonction du nombre d’habitant.e.s.
Or, Paris, et ce, depuis de nombreuses années, ne respecte pas ses obligations légales. Avec ses 2,2 millions d’habitant.e.s, Paris devrait disposer de plus de 1100 m2 d’affichage libre. Dotée de 289 panneaux d’affichage libre de 2 m2, Paris atteint laborieusement la moitié du minimum légal (578 m2). À titre de comparaison la bâche publicitaire actuellement visible à Opéra mesure, à elle seule, 1350 m2, soit plus du double de la surface actuellement allouée à l’affichage d’opinion.
Le Conseil de Paris aurait pourtant eu l’occasion de décider de remédier à cette situation durant ce mandat, en adoptant le vœu de Danielle Simonnet proposé lors du Conseil de Paris de juillet 2014. Mais c’est malheureusement le seul cas où, en matière de publicité, l’exécutif sortant a estimé qu’il n’était « pas souhaitable de voir proliférer des dispositifs d’affichage » pour des raisons de « risque de pollution visuelle« , voire de « risque de dilution de l’information« , comme s’il y avait trop d’informations d’opinion dans l’espace public.
Rappelons ici que, de l’aveu même d’agents de la direction de l’urbanisme, Paris est « tolérante » vis-à-vis de l’affichage sauvage associatif et politique. Il serait en effet difficilement tenable d’attaquer des structures légitimes à s’exprimer, mais qui n’ont pas d’espaces d’expression pour le faire, du fait même de la politique de la ville. Gageons qu’un tel affichage sauvage pourrait être endigué si des surfaces suffisantes étaient allouées à une telle publicité, qui, au passage, est bien moins énergivore que la publicité commerciale, laquelle est majoritairement lumineuse, déroulante et que certains acteurs voudraient numérique.
Révision du règlement local de publicité
Après l’invalidation des sucettes numériques par le Conseil d’État car ces dispositifs ne respectaient par le règlement local de publicité, l’exécutif sortant a décidé de proposer une révision de ce dernier, dont l’objectif principal était « d’intégrer les nouvelles technologies », afin de s’assurer que Paris puisse offrir aux sponsors des Jeux Olympiques de 2024 un écrin publicitaire « moderne ». Apprenant cette décision, R.A.P.-Paris a tenté d’alerter en expliquant en quoi cette modernisation était une impasse au regard des enjeux écologiques, et quels autres problèmes nous posaient les objectifs de cette révision. Le jour du vote au Conseil de Paris, nous avons organisé une action « tapis de pub devant une mairie qui déroule le tapis rouge à la pub« . En vain ! Le Conseil de Paris de novembre 2017 a validé cette révision et ses objectifs (délibération 2017 DU 244). On pourra se référer au compte rendu de cette séance que nous avions fait à l’époque, où les voix du groupe écologiste de Paris et de Danielle Simonnet ont pu émettre des craintes et des arguments que nous partageons.
Lancement de la concertation publique
Le processus de révision du RLP a alors commencé. Une première réunion publique du 23 janvier 2018 lançait la concertation publique qui permettaient aux habitant·e·s de s’exprimer sur le projet, jusqu’au 2 mai 2018. De nombreuses personnes étaient venues à cette réunion pour manifester leur refus d’une telle révision. Le compte rendu élaboré par la Mairie en atteste. C’est dans cette réunion que Jean-Louis Missika, maire adjoint à l’urbanisme, a fini par affirmé que « si une hostilité radicale de l’ensemble des Parisien·ne·s vis-à-vis de l’affichage numérique se manifestait, la Maire de Paris et les élus en tireraient toutes les conséquences ». Il annonçait également le lancement d’une grande étude d’impact pour vérifier si le numérique pouvait être compatible avec les enjeux écologiques.
Peu de temps après cette réunion, notre association a été entendue par les personnes chargées par la VIlle de la pré-rédaction du RLP. Nous avons pu soumettre nos revendications lors de cette réunion, mais nous doutons que nos options aient été retenues dans les arbitrages faits par l’exécutif, étant donné les positions soutenues par ce dernier.
À la différence des associations écologistes, dont R.A.P.-Paris, la Mairie n’a absolument pas promu cette concertation publique. Aucun communiqué, pas d’articles sur le site paris.fr ni dans les journaux municipaux, aucune annonce sur les tout récents journaux électroniques d’information qui venaient d’apparaître sur les trottoirs, et rien non plus sur les comptes des réseaux sociaux de la ville. La seule communication autour de cette révision fût un gazouilli annonçant la réunion du 23 janvier 2018, mais pas la concertation en elle-même.
Rejet du projet par la concertation
Malgré le sujet, le manque de communication de la Ville et l’austérité du formulaire qui consistait en une « feuille blanche » à remplir en ligne, sans questions précises, 2300 contributions ont tout de même été recueillies. Nous les avons analysées. 96 % des personnes répondantes se disaient opposées à ce projet de révision, et 80 % explicitement opposées aux écrans numériques.
La Mairie n’a pas plus communiqué sur les résultats de cette concertation et nous n’avons plus eu de nouvelles, hormis les personnes en charge de la rédaction du RLP, qui nous disaient que ça n’avançait plus réellement. C’est alors que, début 2019, nous avons été appelé·e·s par le cabinet de Jean-Louis Missika pour participer à une seconde réunion publique, mais cette fois-ci en intervenant à la tribune, aux côtés notamment de Maurice Lévy, ancien PDG de Publicis, pour un débat sur la place de la publicité dans la ville. Cette volonté de nous inviter à la tribune avait certainement pour but d’éviter les réactions très hostiles qu’ont avait pu voir lors de la précédente réunion de janvier 2018. La Mairie avait aussi pris soin de prévenir les professionnels que leur présence à cette réunion dans le public était vivement recommandée. C’est ainsi que dans le public, se côtoyaient des militant·e·s R.A.P., Greenpeace, FNE, Paysages de France, et des hauts cadres de JCDecaux, Exterion Media, Clear Channel ou de Mediatransports. Les questions du public étaient donc plus « équilibrées » que lors de la précédente réunion, chaque personne présente pouvant sentir quels étaient les intérêts des unes et des autres lorsqu’elles prenaient la parole.
Remise de la révision à la prochaine mandature
C’est lors de cette réunion que nous avons eu confirmation de la pause dans le processus de révision du RLP pour laisser le projet à la future majorité, après les élections municipales. L’exécutif a certainement jugé qu’imposer des écrans numériques publicitaires supplémentaires n’était peut-être pas une si bonne idée à quelques mois des élections municipales et que cette décision risquait d’écorner l’image « écolo » que la Maire de Paris tente d’incarner depuis six ans.
C’est aussi lors de cette réunion que Jean-Louis Missika a affirmé que les résultats de la concertation publique étaient « biaisés » du fait de la trop forte communication des associations et qu’ils ne pouvaient donc pas être pris en compte pour la suite du processus de révision du RLP. Au temps pour les 2300 personnes qui avaient pris le temps de participer et qui auraient pu avoir la délicatesse d’être d’accord avec ce projet.
Enfin, Jean-Louis Missika a aussi affirmé que si l’étude d’impact concluait que les écrans numériques n’étaient pas compatibles avec les enjeux écologiques, la mairie reviendrait sur sa position. Nous n’avons toujours pas vu cette étude paraître, promise depuis maintenant près de deux ans.
Depuis cette réunion, nous sommes donc en attente de savoir que fera la future majorité. Trois possibilités s’offriront à elle :
- continuer le processus de révision du RLP sur la base de la délibération de novembre 2017, mais en changer les objectifs pour prendre en compte la concertation publique, et rendre le RLP bien plus restrictif qu’il ne l’est ;
- annuler la délibération de novembre 2017 et maintenir le RLP actuel en l’état ;
- continuer la révision en maintenant les objectifs de la délibération de novembre 2017 et en effaçant d’un trait de plume la concertation publique, comme semble le souhaiter l’exécutif sortant.
Dans ce dernier cas, il faudrait alors nécessairement refaire une concertation publique pour respecter tant la délibération de novembre 2017 que les obligations légales en la matière.
Nouvelles pratiques publicitaires
Cette mandature a aussi vu l’explosion de certaines pratiques publicitaires plus ou moins légales, augmentant ainsi le nombre de publicités auxquelles les Parisiennes et les Parisiens sont confronté·e·s chaque jour.
Publicités et enseignes numériques derrière les vitrines
Si le RLP de Paris interdit les publicités et les enseignes numériques (à l’exception des cinémas et des établissement culturels), le code de l’environnement précise que ses dispositions ne s’appliquent pas aux publicités et enseignes situées à l’intérieur d’un local, y compris lorsque ces dernières sont visibles d’une voie ouverte à la circulation publique (art. L581-2 du CE).
« Arrêt Zara » ou le « chat perché » des afficheurs
En 2004, la Ville avait tenté de faire interdire des affiches géantes placardées derrière les vitrines d’un magasin. Le Conseil d’État avait malheureusement confirmé cette règle dans son arrêt, dit « arrêt Zara », du 28 octobre 2009 (CE n°322758). Pour tenter de remédier à cette situation, l’actuel RLP de Paris prévoit dans son article E2.2 que les enseignes sont interdites lorsqu’elles sont placées « immédiatement derrière une baie« . La majorité sortante n’a cependant jamais fait valoir cet article de son règlement, pour tenter d’inverser la jurisprudence.
Phenix fait renaître Insert
Les opérateurs se sont donc engouffrés dans cette incongruité du code de l’environnement pour installer des dispositifs numériques derrière les vitrines. C’est l’opérateur Phenix, groupe dont l’afficheur Insert fait partie, qui a en quelque sorte ouvert le bal en 2016, en installant des écrans derrière des petits commerces (pharmacies, boulangeries, bars…). Des écrans commençaient déjà à fleurir depuis quelques mois, mais c’est le premier opérateur qui a réellement « maillé » le territoire avec ses écrans. Résultat, aujourd’hui, le groupe revendique 1600 écrans en Île-de-France.
JCDecaux s’allie à Monoprix…
Rapidement après que ses sucettes numériques ont été sorties par la grande porte du Conseil d’État, JCDecaux est entré par la vitrine des Monoprix. En effet, l’afficheur a signé un contrat avec l’enseigne de distribution pour installer 100 écrans numériques publicitaires derrière ses vitrines à Paris. Ces dispositifs diffusent 40 % de publicités pour les produits vendus ou les promotions faites par Monoprix et 60% d’annonceurs qui n’ont rien à voir (automobile, voyages en avion, téléphones…). Une analyse des tickets de caisse permet aussi de voir l’impact direct sur les ventes d’une campagne publicitaire diffusée sur ces panneaux, permettant de déterminer ce qui fonctionne ou pas et d’améliorer l’efficacité des messages pour inciter toujours mieux à consommer toujours plus.
…et Exterion Media au caviste Nicolas
L’afficheur Exterion Media a rapidement imité ses concurrents en signant un contrat avec le caviste Nicolas, mais aussi d’autres petits commerces avec pour objectif d’en implanter 500 dans tout Paris. La presse spécialisée présente expressément ces contrats comme « un moyen de contourner l’interdiction de mobiliers urbains digitaux dans les rues de Paris« , et ce, à plusieurs égards puisque le RLP de Paris prévoit aussi que « l’installation de tout système de mesure automatique de l’audience d’un dispositif publicitaire [ou d’une enseigne] ou d’analyse de la typologie ou du comportement des personnes passant à proximité d’une publicité |ou d’une enseigne] est interdite » (art. P1.7 et E2.4). Or, dans son programme CATCH, Exterion Media promet que les écrans seront « dotés d’outils de captation instantanée de data socio-démographiques« , soit « des détecteurs de mouvement intégrés aux écrans et qui vont permettre d’analyser en temps réel le flux et l’audience effectifs de chaque mobilier« , ce qui contrevient manifestement aux dispositions du RLP de Paris.
Autre « innovation » de l’offre d’Exterion Media, son partenariat avec le magazine Vice, pour placer des pastilles vidéo entre deux publicités, « de manière à imprimer une ligne éditoriale qualitative et audacieuse à l’ensemble du dispositif autour de quatre axes principaux : Culture – Sport – Planète – Food« . Une innovation reprise sur le modèle de ce qu’a initié, en 2018, l’opérateur Clear Channel avec le média d’information Brut, à Rennes, pour son contrat de mobilier urbain d’information. Le principe étant d’alterner vidéos « de sensibilisation » (à des « écogestes » comme le tri, par exemple) pour mieux vendre des boissons dans des bouteilles en plastique par la suite.
Des enseignes qui se numérisent de plus en plus
Sans passer par des opérateurs comme JCDecaux ou Exterion Media, mais toujours en contournant l’interdiction d’enseignes numériques, de plus en plus de magasins parisiens s’équipent d’écrans géants derrière leurs vitrines, pour promouvoir leur activité. Tant et si bien que certains quartiers comme Opéra ou la rue de Rivoli deviennent par endroits de véritables « Times Square » en milieu haussmannien.
À noter que certains établissements sont autorisés, par dérogation, à user d’enseignes numériques. Cette dérogation existe pour les cinémas et les établissements culturels et salles de spectacles. Cependant les écrans doivent diffuser des images « fixes ». Or que ce soit l’Opéra de Bastille, les grands cinémas, comme le Grand Rex ou le nouveau Gaumont Alesia, ou encore le café culturel EP7, tous ces établissements diffusent des images animés, contrevenant ainsi au RLP sans que la Mairie s’en préoccupe.
Qu’en dit la mairie actuelle ?
L’exécutif s’est dit sensible à la prolifération de ces écrans derrière les vitrines, notamment lors de notre entretien en novembre 217. Il n’a cependant pas souhaité tenter d’appliquer son règlement local de publicité pour inverser la jurisprudence « Zara ». Jean-Louis Missika a néanmoins affirmé avoir écrit au ministère de l’Écologie à ce sujet, mais, malgré nos demandes, nous n’avons pas pu avoir copie de cette lettre pour en connaître la teneur.
Si la possibilité juridique d’interdire les écrans derrière les vitrines se pose, l’obligation d’extinction des lumières des enseignes et des vitrines, elle, est acquise. Celle-ci impose de les éteindre entre 1h et 6h pour les enseignes et entre 1h et 7h pour les vitrines. Cette règle, difficile à faire respecter étant donné les horaires, est, de fait, peu respectée. La Ville a adopté, au Conseil de Paris de septembre 2018, le vœu, proposé par le groupe écologiste, d’informer les commerçants et de les sanctionner en cas de non-respect six mois plus tard, avec suivi régulier du dossier.
Nous n’avons pas connaissance que de telles mesures ont bien été prises. Mais au regard de promenades parisiennes nocturnes, il semble peu vraisemblable que le non-respect soit massivement sanctionné.
Bâches publicitaires sur les monuments historiques
Bien que la possibilité de pouvoir apposer des bâches publicitaires sur les monuments historiques en travaux date de 2007, le phénomène ne s’est développé que vers 2013-2014. Nous avions rappelé tout l’historique de cette loi et de son application dans un article de 2016. Depuis, les choses ont peu évolué, les monuments historiques continuant à être le terrain de jeu des afficheurs. Nous pouvons donc voir certains annonceurs sauter de monuments en monuments, au gré des travaux de rénovation. Certaines places qui comportent de nombreux monuments, comme la Concorde, se voient devenir des emplacements permanents, et très attractifs, pour les marques. Les promoteurs de ces bâches nous rabâchent que « c’est temporaire », nous constatons que c’est un temporaire qui dure.
Si la mairie de Paris ne peut rien contre les installations de bâches qui ne sont pas de son ressort, puisque la loi, issue du code du patrimoine, déroge au code de l’environnement et destitue ainsi les maires de leur pouvoir de police en matière d’affichage extérieur, l’exécutif aurait cependant pu choisir de ne pas recourir à ces bâches pour les bâtiments dont Paris à la charge. Ainsi les églises de la Madeleine, Saint-Augustin, Saint-Eustache, le Théâtre du Châtelet ou le Théâtre de l’Hôtel de Ville ont vu des bâches autorisées. En tout, sept monuments dont Paris a la charge ont accueilli des bâches pour financer une partie des travaux. Ce ne sont certes « que » sept monuments sur les dizaines qui ont supporté des bâches publicaitres durant ce mandat, comme s’en prévaut Anne Hidalgo dans son bilan, mais il paraît peu cohérent d’autoriser des affiches de plusieurs centaines de mètres carré, lorsque le règlement que l’on est censé faire respecter n’autorise ces bâches que jusqu’à 16 m2.
Affichage sauvage commercial et « guérilla marketing »
Jusqu’au milieu des années 2010, l’affichage sauvage a toujours été pratiqué par des « petits » acteurs qui n’avaient pas les moyens de passer par les affichages légaux. Il était donc essentiellement l’apanage des associations de quartiers, des petits théâtres, des festivals de musique non subventionnés ou des partis politiques, notamment lors des périodes électorales. Des voix peu entendues dans le système publicitaire mais qui ont autant, sinon plus, de légitimité à une libre expression que des multinationales qui ont actuellement un oligopole sur l’expression dans l’espace public.
Mais à partir de 2013-2014 sont apparues de nouvelles agences, spécialisées en « guérilla marketing », technique marketing de plus en plus utilisée par des grandes marques, notamment de mode, pour accroître la visibilité de leurs campagnes à moindre frais, tout en donnant un côté « rebelle » à sa campagne. Parmi les agences les plus actives à Paris, nous avons pu recenser :
Sur leurs sites, on peut voir que ces agences n’hésitent pas à se vanter d’utiliser les affichages dédiés à la publicité des opinions (« affichage libre ») à des fins commerciales, détournant les rares espaces d’expression citoyenne pour ajouter encore des messages marchands dans un espace public qui en est déjà saturé.
Ces agences redoublent de créativité pour enfreindre méthodiquement les règles du RLP : publicités au sol ou par projection (art. P1.3.5), affichages sauvages sur les murs comportant des ouverture (art. P2.2.2.1), sur les potelets, les feux de signalisation, les arbres, les boîtiers d’électricité (art. P1.3.1), avec des ballons.
Certaines agences ont aussi colonisé un mur emblématique de Paris. En effet, Quai de Valmy, le mur, haut lieu du « street art » qui avait accueilli la devise de la Ville « Fluctuat nec mergitur » après les attentats de novembre 2015, s’est vu repeint aux couleurs de différentes marques. La première put terminer son opération malgré notre alerte à la mairie. La deuxième fut gênée par des militant·e·s antipub puis interrompue prématurément par les services de la ville à la suite de notre interpellation. Les fois suivantes, la mairie du 10e arrondissement a été pour le moins réactive, retirant les affichages avant qu’ils ne soient finis, et la maire, Alexandra Cordebard le faisait savoir : ici en mars 2018, là en juin 2018, et ici en septembre 2019. Notons que ces affiches, en plus d’être apposées sans l’autorisation des propriétaires de l’immeuble (art. L581-24 du CE), dépassaient la surface maximale autorisée (8 m2, art P2.1.4), la hauteur maximale (7,5 m, art. P2.2.1.1) et étaient situées dans une zone interdite de publicité (ZPRD, art. DG1)
Mais, hormis ces promptes réactions sur ce mur en particulier, on ne peut pas dire que les actions de la mairie aient réussi à endiguer le problème de l’affichage sauvage.
Durant ce mandat, les premiers débats à ce sujet au Conseil de Paris ont concerné la publicité au sol. Après deux vœux, à l’initiative de Danielle Simonnet, pour que le RLP soit appliqué en la matière, qui ont été adoptés en juillet (2014 V 143) et décembre 2014 (2014 V 359), la Ville a voté la hausse des tarifs de nettoyage lors du Conseil d’avril 2015 (délibération 2015 DPE 54). Malgré ces vœux et cette délibération, la pratique perdure encore. Certainement moins que si ces règles et ces rappels n’existaient pas, mais les sanctions restent suffisamment aléatoires et peu dissuasives aux yeux de certains acteurs du secteur pour que les opérations en vaillent la chandelle.
En décembre 2016, Mao Peninou, qui était alors adjoint à la maire en charge de la propreté, déclarait à BFMTV : « Il faut que ces boîtes de communication qui font la totalité de leur activité sur des choses illégales soient condamnées, interdites, voire dissoutes s’il y a besoin. Il faut que les marques qui utilisent ces canaux-là puissent avoir des sanctions qui soient largement au-delà des sanctions financières, pour qu’ils soient dissuadés de le faire. On ne peut pas fonder une activité économique uniquement sur des choses illégales« . Le Conseil de Paris de ce mois de décembre 2016 votait un vœu à l’unanimité pour demander au gouvernement des moyens juridiques renforcés, l’intervention du Préfet de région pour mettre en œuvre les sanctions prévues par le code de l’environnement et des poursuites judiciaires contre les marques et agences qui utilisent ces procédés (2016 V. 383). Plus de trois ans plus tard, le vœu n’a pas été exaucé.
En décembre 2018 le Conseil de Paris validait une nouvelle grille tarifaire pour les interventions de nettoyage, grille applicable au 1er janvier 2019, et qui se voulait plus dissuasive (délibération 2018 DPE 27 DPSP).
Face à cette invasion publicitaire la mairie répond que le code de l’environnement, et donc le règlement local de publicité qui en découle, n’est pas tout à fait adapté pour lutter contre l’affichage sauvage, puisqu’il impose d’envoyer un arrêté de mise en demeure pour supprimer la publicité litigieuse cinq jours plus tard, sous peine d’astreinte (art. L581-30 du CE). Or en cinq jours, certains emplacements se voient recouverts par plusieurs agences différentes, pour le compte de plusieurs marques différentes. Difficile, dès lors, de déterminer qui attaquer et à qui facturer quoi. C’est pourquoi la Ville affirme avoir écrit une lettre au ministère de l’Écologie à ce sujet, mais, malgré nos demandes, nous n’avons pas pu en connaître la teneur. Nous ne savons donc pas quelle a été la requête. À noter que la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a modifié l’article L581-30, faisant passer le délai pour commencer à faire courir l’astreinte de quinze jours à cinq jours. Ce qui constitue donc une avancée, mais qui ne permet toujours pas d’attaquer les guérilléros du marketing, puisqu’en cinq jours, il y a toujours beaucoup d’affiches recouvertes. La mairie continue donc de jouer au jeu du chat et de la souris avec ces sociétés, en tentant de passer derrière, pour effacer leurs passages quotidiens.
Si nous pouvons admettre que le code de l’environnement est mieux adapté pour les dispositifs « en dur » qui supportent de la publicité (support mural dédié, panneau scellé au sol…) que pour l’affichage sauvage qui est apposé sur des supports qui ne sont pas destinés à la publicité, nous estimons que la puissance publique n’est pas démunie face à l’affichage sauvage. En effet, des militant·e·s se voient interpellé·e·s et placé·e·s en garde à vue, puis assigné·e·s au tribunal, pour des actions ponctuelles, symboliques et moins dégradantes. Ils et elles le sont sur la base de l’article 322-1 du code pénal. Nous nous demandons donc à quel titre les dirigeants de ces agences de guérilla marketing ne connaîtraient pas le même sort que ces militant·e·s, à savoir les joies d’un passage en correctionnelle. Le passage devant la justice de l’un d’entre eux pourrait servir d’exemple pour les autres.
Aussi, nous déplorons que l’idée de Mao Peninou de dissoudre ces sociétés n’ait pas été creusée. Elle a pourtant été appliquée à des groupes de tagueurs arrêtés à Paris pour « association de malfaiteurs » et « dégradations volontaires ». Une brigade spéciale de la police a été formée pour traquer ces agissements. Or, dans le cas des agences de street marketing, il s’agit d’acteurs qui ont pignon sur rue, et qui communiquent leurs méfaits sur Internet. Il paraît donc peu compréhensible qu’on ne débloque pas autant de moyens contre des agences commerciales facilement trouvables que contre des tagueurs, étant donné que les actions de la mairie pour lutter contre ces deux phénomènes sont sensiblement les mêmes.
Fêtes des sponsors
Euro 2016
En 2016, Paris a accueilli le tournoi de football Euro 2016. Cette « fête du sport » a en fait plutôt été une « fête des sponsors ». L’association Sites et Monuments a en effet recensé de nombreux dispositifs sur des emplacements interdits (lampadaires….) ou dans des lieux où la publicité est normalement interdite (fan zone avec écran numérique géant sur le champs de Mars, site classé…)
L’association a attaqué et a eu gain de cause, mais seulement un an plus tard. En juin 2017, le tribunal administratif a donné raison à Sites et Monuments en estimant que les autorisations d’affichage lors de l’Euro 2016 avaient été prises « en infraction avec le code de l’environnement et du règlement local de publicité« . La Ville a donc été condamnée à verser 2000 € pour frais de justice. Mais la décision est arrivée bien trop tard pour pouvoir faire retirer les affichages non réglementaires.
JO 2024
Le mandat qui s’achève a aussi connu la candidature de la ville de Paris aux Jeux Olympiques de 2024. Rappelons ici qu’en campagne électorale en 2014, la candidate Anne Hidalgo se prononçait contre les JO à Paris. Mais une fois élue, l’actuelle maire a changé de position. Pour faire passer ce revirement, celle qui déclarait encore deux mois plus tôt que « les Jeux, c’est très joli, mais il n’y a pas une ville qui s’y soit retrouvée sur le plan financier » promettait en avril 2015 une consultation publique pour valider la candidature… consultation qui ne s’est jamais tenue.
Si la ville ne s’y retrouvera peut-être pas, les sponsors, eux, pourront bénéficier de l’écrin publicitaire que constitue la ville de Paris. Et pour éviter les déboires juridiques de l’Euro 2016, le gouvernement d’Édouard Philippe a élaboré un projet de loi olympique, que l’association Sites et Monuments avait fort bien analysé en novembre 2017, et qui prévoit de nombreuses dérogations au droit commun publicitaire dans le cadre de ces JO, notamment la possibilité d’afficher des publicités sur les monuments et dans les sites classés, et ce, durant trois mois, entre juillet et septembre 2024.
Or ce projet de loi est bien passé et la future majorité parisienne, quelle que soit sa position face aux Jeux Olympiques et à la publicité en général, sera démunie face à la prolifération de dispositifs publicitaires placés là où ils sont normalement interdits et où la mairie est garante du respect de ces interdictions.
On nous annonce des Jeux Olympiques « écologiquement responsables » et « neutres en carbone« . S’il est un domaine où ils ne seront pas neutres, c’est dans la colonisation de l’espace public par la publicité, ajoutant une couche supplémentaire à une exposition qui est déjà au delà du raisonnable. Et le ou la futur·e maire ne pourra rien faire contre, sauf à proposer l’annulation de ces Jeux.
Répétons aussi que si l’actuel exécutif tient tant à autoriser les écrans numériques, c’est aussi dans la perspective de ces JO. En effet, il semble qu’il lui soit inconcevable de recevoir les sponsors officiels sans pouvoir leur offrir notre temps de cerveau disponible sur un plateau numérique. Paris a donc lancé un processus de révision du règlement local de publicité, qui n’est, normalement, pas un document que l’on révise à chaque mandat, tant la procédure est lourde et incertaine dans le calendrier d’exécution, dans le but de changer une des seules règles protectrices notables du RLP actuel, et ce, pour plusieurs années, voire décennies, pour simplement répondre aux exigences d’un événement de quelques semaines.
Quand le court terme guide le long terme. C’est en substance le mantra, en matière publicitaire, du bilan du mandat qui s’achève.